L’intervention brutale de la police au siège du Mouvement San Isidro* (MSI), dans la nuit de jeudi à vendredi, a connu des répercussions jusque-là inédites depuis l’instauration de la dictature castriste à Cuba.
L’information ayant abondamment circulé grâce aux réseaux sociaux, quelques artistes, une vingtaine, se sont regroupés devant le siège du ministère de la Culture, à La Havane, vendredi en fin de matinée. Au fil de la journée, ce rassemblement n’a fait que prendre de l’ampleur, au point qu’en fin de soirée on dénombrait près de trois cents personnes devant le ministère. Bien d’autres Cubains ont d’ailleurs tenté de rejoindre les manifestants, mais bien vite la police a encadré le secteur, coupé l’électricité dans le quartier alentour et empêché les plus déterminés à parvenir à leur fin en leur envoyant des gaz lacrymogènes.
Sans être toutes parfaitement en phase avec le Mouvement San Isidro, les personnes présentes tenaient ainsi à lui manifester leur soutien pour la façon dont le régime et sa police sont intervenus pour mettre fin à une grève de la faim dont l’issue inquiétait de plus en plus de monde, à Cuba même comme à l’étranger. Mais ils tenaient également à faire part de quelques revendications et demandaient pour cela à être reçues par le ministre.
Après des heures d’attente, une trentaine d’entre eux, alors que les représentants du ministère ne souhaitaient en recevoir que deux, ont pu être entendues par le vice-ministre de la Culture, Fernando Rojas. Auparavant, un texte avait été lu à la foule présente par l’une des personnes déléguées, la poétesse Katerine Bisquet. Voici ce que dit ce texte :
« Les artistes et les intellectuels présents ici font partie de la citoyenneté cubaine. Nous revendiquons le droit d’avoir des droits. Nous exigeons le respect et l’exercice des garanties de ces droits :
– Le droit à la liberté d’expression.
– Le droit à la libre création.
– Le droit au désaccord.
Parmi nos requêtes :
– Révision et application des procédures légales à l’encontre de Denis Solis.
– Que l’artiste Luis Manuel Otero soit autorisé à rentrer chez lui.
– La fin du harcèlement, de la répression, de la censure, du discrédit et de la diffamation par les autorités et les médias officiels envers la communauté artistique et intellectuelle cubaine et envers tout citoyen en désaccord avec les politiques de l’État.
– Reconnaissance et respect du positionnement indépendant.
Plus de violence policière !
Plus de haine politique !
Que l’amour et la poésie soient ce qui unit ce peuple. »
Les personnes reçues par le vice-ministre sont ressorties avec la promesse de l’être à nouveau dans la semaine par le ministre lui-même, ainsi qu’avec l’assurance de pouvoir rentrer chez elles sans être inquiétées par la police politique.
Depuis cette rencontre, l’événement est abondamment commenté par les Cubains sur les réseaux sociaux. Beaucoup voient un encouragement dans le fait que ce rassemblement ait pu avoir lieu sans être aussitôt sévèrement réprimé, ce qui est une première à Cuba. La jeunesse de la grande majorité des personnes présentes est également mise en avant, ainsi que le fait qu’il peut permettre à beaucoup de Cubains d’ouvrir enfin les yeux.
Mais tous ne partagent pas ce point de vue. Nombreux sont ceux, également, qui ont fortement critiqué la demande exprimée d’être reçu par le ministre. Ainsi le musicien Gorki Aguila, membre du groupe rock Porno para Ricardo, constamment réprimé par le régime cubain et par deux fois emprisonné, affirme qu’on ne dialogue pas avec des assassins. D’autres, comme Omara Ruiz Urquiola, qui faisait partie des quatorze membres du Mouvement San Isidro délogés violemment par la police, ont condamné cette rencontre, allant jusqu’à qualifier de « traîtres » et de « déloyaux » les personnes ayant participé à la rencontre. Ces derniers estiment qu’avant de dialoguer avec qui que ce soit, devraient être satisfaites certaines conditions, comme la libération de Denis Solis, dont la condamnation à huit mois de prison fut à l’origine de la grève de la faim des membres du MSI, et le retour chez lui de Luis Manuel Otero Alcántara. Ce dernier a en effet été hospitalisé contre son gré et poursuit sa grève de la faim, tout comme Maykel Castillo « Osorbo » qui, lui, a pu regagner sa demeure.
Le commentaire le plus répandu, et plein de bon sens, veut qu’il serait illusoire de croire en la volonté réelle du gouvernement castriste de vouloir dialoguer, lui qui ne connaît que la répression envers toute voix dissidente. Les faits n’ont d’ailleurs pas tardé à donner raison à ceux qui s’expriment ainsi. Dès le lendemain, en effet, les médias officiels ont évoqué les événements survenus ces derniers jours et entonné pour la énième fois le refrain sur le complot de l’étranger, sur les « mercenaires » ennemis de la révolution payés par les Etats-Unis, etc. Dans le même temps, les liaisons internet et de téléphonie mobile des opposants les plus en vue à La Havane ont été coupées.
Il est difficile d’entrevoir dans ces conditions comment pourraient avoir lieu des rencontres entre un ministre du gouvernement communiste de l’île et des gens que ce même gouvernement s’applique à insulter et à calomnier.
A suivre…
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* Voir https://florealanar.wordpress.com/2020/11/27/cuba-intrusion-policiere-violente-au-siege-du-mouvement-san-isidro/ et aussi https://florealanar.wordpress.com/2020/11/25/greve-de-la-faim-a-la-havane/
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