Le texte ci-dessous a été publié sur le site cubain « 14yMedio » et traite de la situation économique catastrophique que connaît ce pays depuis plusieurs années maintenant.
Je me permettrais, dans ces quelques lignes de présentation, de regretter que presque toujours les articles consacrés à l’économie, aussi intéressants et informatifs soient-ils, aient la froideur des rapports d’experts, l’alignement de chiffres et de statistiques ne pouvant réellement traduire ce qu’entraîne concrètement, dans la vie de tous les jours, un état de pauvreté permanent. En l’occurrence, dans le cas cubain, les files d’attente quotidienne pour une nourriture frugale, le délabrement de l’habitat, une mendicité croissante, des gens fouillant les poubelles pour leur subsistance, un exode massif des couches les plus pauvres de la population, etc.
Cet état de décrépitude est en revanche illustré abondamment grâce aux Cubains eux-mêmes, qui peuvent désormais, à l’aide leurs téléphones portables et du réseau internet, fournir aux sites d’opposition au régime castriste d’innombrables photos qui en disent aussi long que bien des éditoriaux.
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Cuba a perdu trente places dans l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies en seulement quinze ans et risque de passer du niveau élevé au niveau moyen, ce qui serait un coup dur pour le gouvernement qui, pendant des années, a présenté cet indicateur – qui, avec le revenu, prend en compte l’espérance de vie et l’alphabétisation de la population – comme l’une de ses grandes réussites. Cette donnée est d’autant plus inquiétante qu’elle indique un degré de pauvreté supérieur à celui de 1995, au plus fort de la « période spéciale* ».
Cette information figure dans un article publié par le média anticapitaliste de gauche Kaosenlared, intitulé « Cuba, pauvreté et données », signé par l’économiste, ancien membre de la Sécurité d’Etat (la police politique cubaine) et journaliste à la retraite Manuel David Orrio del Rosario, auteur de plusieurs textes récents très critiques à l’égard de la politique du gouvernement. Il y fournit plusieurs indicateurs sur la dégradation des conditions de vie des Cubains, en attirant notamment l’attention sur deux secteurs, historiquement favoris du régime, l’Education et la Santé, deux piliers sur lesquels la Révolution a construit son mythe international.
L’IDH divise les pays en quatre groupes : très élevé (indice actuel supérieur à 0,8), élevé (à partir de 0,7), moyen (supérieur à 0,55) et faible (tous les autres). En 1990, Cuba se situait au 53e rang mondial (avec un indice de 0,68), et en 1995, pendant la « période spéciale », le pays est tombé au 70e rang. Cependant, au moment où les subventions vénézuéliennes ont commencé à être versées, Cuba a regagné le terrain perdu et est remonté au 55e rang (en 2007). En 2018, une chute s’est produite, aggravée par la suite par la pandémie, qui l’a amené à la 83e place du classement mondial, avec un score de 0,764.
« Les chiffres sont implacables : selon l’économiste et démographe Juan Carlos Albizu-Campos, ces dernières années, la plus grande île des Antilles régresse en termes d’espérance de vie à la naissance, d’accès à l’éducation et au travail, de revenus, ce qui expliquerait sa chute de 30 places dans l’indice de développement humain et créerait la possibilité qu’elle cesse d’être un pays à développement humain élevé et qu’elle passe à un développement humain moyen », indique l’article.
Une autre donnée dévastatrice qui apparaît dans le texte est le coefficient de Gini, qui est passé de 0,22 en 1989 à plus de 0,45 en 2022. Ce coefficient mesure les inégalités au sein de la population dans une fourchette allant de 0 à 1. Il montre clairement que ces inégalités sociales dans l’île, bien qu’elle obtienne un bon chiffre par rapport au reste du continent, ont doublé.
La note indique clairement que l’utilisation du terme « pauvreté » devient de plus en plus fréquent chez tous les spécialistes et, bien qu’elle souligne l’influence du « blocus » américain sur Cuba, elle met sur le même plan les « graves problèmes de modèle, de politique et de performance économiques, et cela de longue date, marqués par une quasi-stagnation du produit intérieur brut (PIB) depuis 2013 environ ».
L’auteur reproche également au gouvernement de tricher sur de nombreuses autres données qu’il ne publie pas ou ne met pas à jour, notamment le recensement de la population et le logement, qui devait être effectué en 2022 et a déjà été retardé deux fois, prétendument en raison de problèmes économiques. Orrio del Rosario utilise également l’une des données qui suscitent le plus de réactions de mécontentement parmi la population, à savoir l’investissement disproportionné dans le tourisme. Il utilise un graphique élaboré par l’économiste indépendant Pedro Monreal, qui montre les pourcentages d’argent public alloué aux services commerciaux et immobiliers, à l’hôtellerie et à la restauration, ainsi qu’à l’investissement dans l’agriculture. Il met en évidence les 47,6 % consacrés au tourisme en 2020, année de la pandémie et de la fermeture des frontières, et les 5,9 % consacrés à l’alimentation.
« Cette politique entraîne, dès le départ, une grave insuffisance de l’offre alimentaire et l’inflation qui s’ensuit, cette insuffisance étant reconnue comme la cause première de la flambée des prix, nonobstant les impacts sur d’autres secteurs et les effets sur la valeur réelle des salaires et des pensions, qui sont depuis longtemps inférieurs à ceux de 1989 », déclare l’auteur.
Un autre des facteurs auxquels l’économiste attribue l’augmentation de la pauvreté est la mauvaise gestion des réformes, qu’il considère comme nécessaires mais extraordinairement tardives – il rappelle, par exemple, que les coopératives agricoles ont été proposées en 1985, tandis que les micro-, petites et moyennes entreprises (Mipymes) sont arrivées vingt et un ans ans après que l’on a mentionné pour la première fois leur nécessité.
La note ajoute deux autres problèmes responsables de l’escalade de la crise. Le premier est l’unification monétaire et de change tardive, « mal réalisée et même contre-productive », qui devait faire du peso une monnaie souveraine et qui a conduit à la circulation de trois monnaies et de deux unités de compte, et par conséquent à l’inflation, à la baisse des salaires et des pensions de retraite.
Enfin, une attention de plus en plus déficiente accordée aux politiques sociales, qui détériore les services qui avaient permis à Cuba d’occuper le premier rang régional dans des domaines tels que la santé et l’éducation, « qui sont des facteurs clés de la chute de l’IDH ».
« Ces quatre facteurs, ainsi que d’autres, forment une sorte de cocktail explosif qui menace la crédibilité du projet socialiste cubain ; aucun d’entre eux n’est directement lié aux facteurs externes mentionnés ci-dessus ; il s’agit de problèmes politiques internes. Point final », conclut l’auteur.
Le texte se termine en demandant au gouvernement d’expliquer quelles erreurs et distorsions il entend corriger et pourquoi elles se sont produites, ainsi que de mettre fin à la spirale inflationniste qui menace les Cubains d’une pauvreté plus grande encore.
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* On a appelé « période spéciale » le temps qui s’est écoulé entre 1991, avec l’effondrement du bloc soviétique, et 2000, une période marquée par de grandes difficultés économiques pour la population cubaine.
Texte d’origine : https://www.14ymedio.com/cuba/pobreza-Cuba-momento-Periodo-especial_0_3696230343.html
Traduction : Floréal Melgar.
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