Dans le quartier de Paris où je vis, nous avons droit, trois ou quatre fois par an, à la visite de jeunes gens qui font du porte-à-porte pour vendre leur journal. Ce ne sont pas les Témoins de Jéhovah, mais des militants d’un énième groupement gauchiste dont la publication porte pour titre L’Internationaliste.
Aujourd’hui, c’est donc une jeune femme qui a frappé à ma porte. Elle me présente son journal, « un mensuel d’analyse marxiste » destiné à « fournir aux jeunes et aux travailleurs les instruments de la science marxiste pour la stratégie révolutionnaire ». Elle me montre la fière devise qui figure à la une de son mensuel : « Opposition prolétarienne à l’impérialisme européen et à l’impérialisme unitaire ». J’en étais de mon déjeuner à la tarte aux framboises quand elle a frappé à ma porte. Je me suis tout de suite dit que je n’allais pas en apprécier le goût comme je l’espérais.
A chaque fois que l’un de ces militants internationalistes vient rendre visite aux gens de mon immeuble, je leur pose invariablement la même question. En l’occurrence ici : « Mais vous, mademoiselle la prolétaire, vous faites quoi dans la vie ? » Ce n’est d’ailleurs pas une vraie question, car je connais déjà la réponse. Ils sont tous étudiants. « Ça ne doit pas être facile pour approcher les ouvriers chaudronniers ou les travailleuses sur les chaînes de montage », lui dis-je. Mais je vois bien que ma remarque teintée d’ironie la laisse de marbre. Alors, je change de sujet. « Et alors, votre groupement, c’est quoi exactement ? Vous vous réclamez de quoi, de qui ? » Là, la réponse fuse : « Nous sommes des léninistes ! » Ça y est, la tarte aux framboises va me rester sur l’estomac.
Je lui dis le dégoût que m’inspire son idole, mais ça ne l’intéresse pas du tout. Elle, ce qui la branche, on le sent tout de suite dans le propos qu’elle tente de me tenir, c’est l’idée centrale chez Lénine qu’on ne peut instaurer le communisme dans un seul pays. Oui, bon, lui-dis-je, mais quand même les centaines de milliers de morts, la création de la Tchéka, l’instauration de la terreur, les déportations au goulag, l’élimination de tous les partis et groupements politiques autres que le parti bolchevik, l’invention du totalitarisme, tout ça, bien avant Staline, c’est du Lénine pur jus. Je la regarde et je constate que ça la fait rire. Pas un rire aux éclats, non, mais un petit rire par lequel je devine qu’elle voit dans mes paroles l’illustration même d’une désolante sensiblerie petite-bourgeoise.
Il me restait un tout petit bout de tarte aux framboises dans la main, trop petit hélas pour que je lui écrase sur le visage afin d’effacer ce sourire obscène.
Porte-à-porte
11 février 2024 par Floréal
Ça valait pas le coup, j’espère que tu as fini ton bout de tarte !
C’est avec du vieux qu’on fait du neuf ! Ces visiteurs surprise ont commencé le lendemain même des barricades de la rue Gay-Lussac, soit le 11 mai 1968, en créant dans nos « rangées » des pâtés de grive moitié – moitié = anarchisme = une grive + marxisme = un bœuf !
Par la suite on nous a reproché de mettre de la poésie dans nos paroles et musiques et de ne pas offrir tribune à des « révolutionnaires » qui pratiquaient la peine de mort.
Les vieux parlent encore !
Une tarte plus une religieuse à l’ancienne, attention à l’indigestion.