Si Cuba occupe le deuxième rang des pays comptant le plus fort taux de population carcérale*, il est un autre sinistre domaine où ce pays, soumis à une dictature depuis soixante-cinq ans, doit également figurer dans le peloton de tête de ceux qui ont vu migrer, ces dernières années, une importante partie de leur population.
En deux ans, en effet, ce sont près de 535.000 Cubains qui ont quitté l’île pour rejoindre les Etats-Unis [25.060 pour le mois de décembre 2023], qui ne sont d’ailleurs pas le seul pays de destination de ceux qui ont fui. Des dizaines de milliers d’autres ont en effet choisi de s’installer dans des pays d’Amérique latine ou d’Europe, principalement l’Espagne. Cela représente au total 4,8% de la population (11,2 million d’habitants). Un taux énorme.
Il s’agit de la vague migratoire la plus importante depuis l’instauration de la dictature castriste en 1959. On estime en effet à 300.000 personnes le nombre de Cubains ayant quitté l’île au cours des trois années ayant suivi la prise de pouvoir des frères Castro. Puis en 1980, au cours de l’épisode connu sous le nom d’« exode de Mariel », du nom du port situé à une quarantaine de kilomètres de La Havane à partir duquel eut lieu cet exil, ce sont 125.000 autres Cubains qui furent expulsés, parmi lesquels nombre de délinquants et de citoyens considérés comme « contre-révolutionnaires » ou gusanos (« vers de terre »), expressions favorites du régime désignant tout opposant à la dictature. Quatorze ans plus tard, après des manifestations massives de Cubains excédés par la situation économique désastreuse suite à l’effondrement du bloc soviétique, ils seront encore 35.000 à partir.
Les raisons de l’exode massif actuel relèvent tout à la fois d’une situation économique plus catastrophique que jamais et d’une absence totale des libertés les plus élémentaires ayant amené le régime, ces temps derniers, à accroître sa répression contre tous ceux qui expriment un mécontentement quelconque, notamment après les importantes manifestations qui ont secoué le pays en juillet 2021. Si la période Covid a porté un coup très dur au secteur du tourisme, deuxième source de revenus pour l’Etat cubain après l’exportation de personnel médical, une production agricole en déclin continu, une politique économique archaïque fondée sur une idéologie prétendument socialiste cachant mal la mainmise sur le pays d’une richissime oligarchie toute-puissante, et enfin la nuisible habitude des dirigeants de l’île, dès qu’elle s’est transformée en colonie de l’ex-URSS, de la transformer en pays assisté et mendiant, comptent aussi et surtout parmi les causes qui expliquent ce désastre.
Bien sûr, le régime castriste et avec lui tous ses admirateurs ainsi que la cohorte d’imbéciles ânonnant les slogans de propagande vous diront qu’il n’est qu’une seule raison à ce marasme : l’embargo** américain, cette autre explication qui relève de l’imposture.
Il peut paraître invraisemblable que les dirigeants d’un pays puisse assister à cet exode sans précédent sans prendre de décisions à même de le freiner. Mais il n’est pas tout à fait exact de prétendre que le régime castriste ne réagit pas. Cependant, les mesures prises ne font paradoxalement qu’accentuer le problème, l’inflation demeurant galopante et la pauvreté toujours grandissante. Au point que certains observateurs de la réalité cubaine, telle Rafaela Cruz, spécialiste des questions économiques pour le journal en ligne Diario de Cuba, se demandent si les décisions prises par le premier ministre et le ministre de l’Economie cubains (ce dernier vient d’être débarqué du gouvernement, ce qui ne changera rien à rien) ne sont pas de nature à entraîner volontairement ces départs massifs.
Sans jamais reconnaître la responsabilité du gouvernement dans la débâcle actuelle, le Premier ministre Manuel Marrero a présenté en décembre dernier un « plan de stabilisation macroéconomique » reposant sur des augmentations considérables des prix des produits de base monopolisés par l’État – carburant, électricité, eau, transport – qui ont entraîné à leur tour une hausse de tous les prix. En bref, le plan consiste à augmenter les prix et les impôts afin que l’État puisse engranger davantage de fonds et équilibrer ses comptes. Mais une telle décision pose plusieurs problèmes.
L’un d’eux est d’ordre moral, nous dit Rafaela Cruz, surtout pour un gouvernement qui se prétend socialiste et qui est donc censé défendre les intérêts des plus faibles. « Contrôler l’inflation en augmentant les prix exclut du marché les consommateurs marginalement plus pauvres, qui cesseront de consommer parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas payer, concentrant et stabilisant ainsi la demande dans la couche la plus riche. N’est-ce pas là la définition même de l’iniquité sociale, celle-là même que le socialisme est censé combattre ? Il semble que le “gouvernement de l’égalité”, qui s’est engagé “à ne jamais laisser personne de côté”, soit prêt à laisser les Cubains les plus pauvres non pas de côté, mais directement en dehors du cadre, en promouvant l’inégalité de la consommation, qui est l’inégalité la plus criante.
La logique du plan est que, puisque des prix plus élevés devraient conduire à une consommation plus faible, l’augmentation des prix forcera l’épargne en réduisant la demande actuelle, ce qui, à long terme, calmera l’inflation. Le problème, cependant, réside dans la capacité totalement inexistante des Cubains à épargner, car leurs niveaux de dépenses sont actuellement si bas qu’ils ne pourront guère consommer moins qu’ils ne le font déjà.
Un autre problème de ce plan est qu’il ignore complètement l’inflation actuelle pour soi-disant contrôler l’inflation future, de sorte que même si la stabilité monétaire était finalement atteinte, le pays aura alors un niveau de prix beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui, ce qui signifie que d’ici là le pouvoir d’achat des Cubains continuera à s’éroder, c’est-à-dire qu’ils continueront à s’appauvrir.
Comment est-il possible qu’avec ce qui se passe à Cuba le gouvernement parie sur une augmentation de l’inflation et de la pauvreté ? La seule réponse rationnelle est qu’il encourage une nouvelle vague de migration parce que, bien qu’ils aient déjà expulsé plus de 600.000 Cubains au cours des trois dernières années, les revenus du pays provenant des envois de fonds ont chuté de manière drastique.
Pour le castrisme, chaque Cubain qui émigre est un problème de moins et, s’il laisse sa famille derrière lui, devient un distributeur automatique de billets potentiel, dont la clé d’accès est la misère de ses proches. Un pays de vieillards fatigués entretenus depuis Miami semble être l’idéal d’une vieille révolution qui ne se lasse pas d’être entretenue. »
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** Il me faudra un jour revenir précisément sur ce point, qui figure parmi les grands mensonges savamment utilisés par la dictature castriste.
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