Le texte ci-dessous, que l’on doit à Juan Miguel Baquero, a été publié en langue espagnole sur le site « elDiario.es ». Il date d’août 2019, en un moment où pour la énième fois il fut question de la recherche de la fosse commune où repose García Lorca, après que sa famille, par la voix de sa nièce, eut fait savoir qu’elle s’opposait à cette recherche.
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Le poète espagnol le plus universel est enterré dans une fosse commune aux côtés d’un enseignant républicain et de deux banderilleros anarchistes : Dióscoro Galindo, Francisco Galadí et Joaquín Arcollas. Victimes du fascisme espagnol, tous les quatre. Exécutés par les putschistes aux premières heures d’un sanglant mois d’août 1936.
Lorca est « le disparu le plus pleuré au monde », selon les termes de l’hispaniste et chercheur sur Lorca Ian Gibson. Mais les chroniques disent qu’il partage la même terre que Galindo, Galadí et Arcollas. Ils ont tous été exécutés, peut-être, à 4 h 45, au petit matin du 18 août 1936, dans un endroit sur le chemin entre Víznar et Alfacar.
Ils sont tous là, dans une tombe anonyme, non localisée. Dans l’une des 708 fosses communes d’Andalousie. Dans la région la plus punie par la terreur fondatrice du régime franquiste, avec au moins 45.566 personnes assassinées, selon la carte des charniers. Ils sont tous là, Lorca, Galindo, Galadí et Arcollas, ajoutant leurs noms et prénoms aux milliers de disparus que l’Espagne, pays de l’oubli, continue de compter.
Dióscoro Galindo González a été l’un des milliers d’enseignants « purgés » par les autorités putschistes. L’accusation principale était de « nier l’existence de Dieu ». Il fut exécuté et jeté dans une fosse au côté de Lorca. Des béquilles, en raison de sa boiterie, a-t-on toujours dit, devraient permettre d’identifier ses ossements en cas de découverte de la fosse commune.
Dióscoro Galindo, né à Valladolid, voulait devenir vétérinaire. Il est allé étudier à Madrid. Mais un accident de tramway lui a coûté l’amputation d’une jambe. Il est retourné dans sa ville natale et a fini par étudier pour devenir enseignant. Galindo a trouvé là sa vocation. Il a enseigné à Llano (Cantabrie), Aya (Guipúzcoa), Algete (Madrid), Caravaca (Murcie) et Tejina, à San Cristóbal de La Laguna (Ténériffe). Sa dernière destination sera Pulianas, dans la plaine de Grenade. Dióscoro était un athée et un homme de gauche, formé aux idées de l’Institution libre de l’enseignement. « Il ne voyait pas d’inconvénient à donner des cours le soir aux enfants des journaliers, qui devaient travailler avec leurs parents pendant la journée », explique le chercheur Francisco Vigueras dans son livre Los ‘paseados’ con Lorca : el maestro cojo y los dos banderilleros (« Les ‘promeneurs’ avec Lorca : l’instituteur boiteux et les deux banderilleros »). Un mois après le début de la conspiration armée contre la Seconde République, un groupe de falangistes l’a enlevé et abattu, et a jeté son corps dans une fosse commune. Personne, jusqu’à présent, n’a retrouvé sa trace.
« J’essaie de retrouver mon grand-père depuis 1995 », explique la petite-fille de Galindo, Nieves García Catalán. Le fait qu’il soit enterré à côté de Lorca est positif, car la figure du poète « a donné un nom à la fosse ». Mais cela entraîne des « complications » supplémentaires : « la famille Lorca ne respecte personne », ajoute-t-elle. Toutes les recherches sont restées infructueuses jusqu’à présent.
Ils ont été chargés sur un camion à La Colonia – une ferme qui servait d’antichambre à la mort – jusqu’à un endroit encore indéterminé entre le Barranco de Víznar et la Fuente Grande. Lorca, l’instituteur républicain et deux autres compagnons d’exécution et d’enterrement clandestin : deux banderilleros connus à Grenade à l’époque, Francisco Galadí Melgar et Joaquín Arcollas Cabezas. Les toreros étaient des « hommes d’action » de la CNT-FAI, la section la plus combative du syndicat anarchiste. Ils défendaient « les droits des travailleurs contre un patronat despotique et tout-puissant, habitué à violer la législation du travail et qui n’hésita pas à financer le soulèvement militaire contre la République », explique Vigueras.
L’auteur de Los ‘paseados’ con Lorca clarifie l’un des noms : Juan Arcollas, et non « Joaquín ». Une erreur qu’il impute au « manque d’intérêt » avec lequel leurs biographies ont été établies. « Ni Gerald Brenan, ni Agustín Penón, ni Claude Couffón, ni Marcail Oclair, ni Enzo Cobelli…. Pratiquement aucun chercheur ne s’est intéressé aux personnages qui ont partagé les bourreaux et la fosse commune avec Lorca », dit-il. Seul Ian Gibson a fourni « les premières informations sur ces personnages ». Et il a donné « pour la première fois des noms et des prénoms à l’instituteur et aux deux anarchistes », écrit Francisco Vigueras, également fondateur et ancien membre de l’Association grenadine pour la récupération de la mémoire historique.
Francisco Galadí était marié à Paca Calleja Usero. Il avait été ferblantier et plombier. Il était aussi « torero et anarchiste dans l’âme », résume son petit-fils, Francisco Galadí Córdoba. Juan Arcollas, alias Magarza, appartenait au syndicat de la construction CNT. Il était maçon de métier et journalier. Il habitait au numéro 3 de la rue Horno de Vidrio, à l’entrée du seul quartier de Grenade qui ait résisté au coup d’État fasciste, l’Albaicín. Tous deux étaient connus « pour leur ferveur politique et leur passion dans les arènes, et ils auraient été des toreros célèbres s’ils n’avaient pas choisi le camp des vaincus », déclare le descendant de Galadí.
Ils ont été condamnés à l’oubli, même dans le monde de la tauromachie. Mais ce sont ces « autres », affirme-t-il, qui ont organisé la résistance populaire contre les militaires putschistes dans le quartier Albaicin. La résistance a duré quelques jours. Mais ils voulaient continuer à lutter pour la démocratie républicaine. Galadí a échappé au siège des rebelles dans les environs de Grenade, avec son compagnon Arcollas. Il se rendait à une réunion secrète pour faire ses adieux à son fils. La réunion s’est révélée être un piège. Un mouchard a permis leur arrestation puis leur assassinat. Ils furent auparavant torturés dans le centre de la ville, en guise de leçon publique. Un exemple de la pédagogie de la terreur. « Ils n’ont pas été tués parce qu’ils étaient banderilleros, mais parce qu’ils étaient anarchistes », souligne Vigueras.
« Il s’agit d’une fosse commune dans laquelle nous trouvons un symbolisme absolu, dans son ensemble : deux anarcho-syndicalistes qui ont participé à la résistance antifranquiste ; un instituteur, tué parce que les franquistes ne voulaient pas de cette nouvelle forme d’éducation ; et Lorca, assassiné en tant que poète et homosexuel », déclare la secrétaire fédérale à la culture de la CNT, Sonia Turán. Le syndicat a demandé la recherche et l’exhumation des restes de ceux qui sont de la « famille politique », Galadí et Arcollas.
Toutes les victimes sont « d’égale importance. Mais si Lorca n’avait pas été là, mon grand-père n’aurait probablement pas ces noms et prénom qu’il a retrouvé aujourd’hui », confie la petite-fille de l’enseignant républicain, consciente des répercussions de la recherche dans la presse internationale.
Juan Miguel Baquero
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