Le 11 janvier 1924, rue de la Grange-aux-Belles, à Paris, un meeting était organisé par le Parti communiste dans un vaste local, siège de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU). Au cours de ce meeting, particulièrement perturbé, des coups de feu vont éclater. Il y aura deux morts et plusieurs blessés, dont certains gravement.
La CGTU était née à la fin de l’année 1921 d’une scission au sein de la CGT. Elle va regrouper les courants communiste, syndicaliste révolutionnaire et anarchiste. Mais très vite, dès 1922, les communistes vont mettre la main sur l’organisation syndicale, syndicalistes révolutionnaires et anarchistes formant alors le courant minoritaire. La CGTU glissera complètement dans l’orbite communiste dès 1923 avec son adhésion, votée lors du congrès de Bourges, à l’Internationale syndicale rouge.
L’hostilité du courant minoritaire envers les partis politiques va amener certains de ses militants à se rendre au meeting convoqué par le Parti communiste. Le simple fait qu’il puisse se tenir au sein d’un local syndical leur apparaissait comme une véritable provocation. Un représentant de ce courant, Louis Barthes, prendra d’ailleurs brièvement la parole, avant que ne s’expriment les orateurs communistes, pour avertir que ses camarades n’étaient pas venus pour empêcher la tenue du meeting mais simplement pour qu’il n’y soit pas question de syndicalisme.
Cette précision ne servira évidemment à rien, le chahut monstre et les bagarres commençant dès l’apparition de la première oratrice communiste à s’exprimer, Marthe Bigot. Lui succéderont à la tribune Marcel Cachin puis Albert Treint, ce qui ne fera qu’envenimer les choses, tant était grande la détestation des anarchistes envers ces deux personnages. Le premier, comme le rappelait Le Libertaire, en sa qualité de « jusqu’au-boutiste de la guerre, de super-bolchevik (…), de politicien de carrière et de non-syndicable » ; le second, que les anarchistes nomment invariablement, en raison de son passé militaire, « le capitaine Treint » ou « le soudard », en sa qualité de secrétaire du Parti communiste.
C’est au cours de la prise de parole de ce dernier que vont éclater les coups de feu qui vont provoquer la mort de deux ouvriers et des blessures parfois importantes pour d’autres participants présents. Chaque camp en présence rejettera aussitôt la responsabilité de la tragédie sur le camp adverse. La police, bien sûr, puis une commission d’enquête syndicale, au sein de laquelle les communistes se trouvaient en majorité, tenteront de faire la lumière.
Le livre* que l’historien Sylvain Boulouque consacre à cet événement se compose de documents d’époque – articles de L’Humanité et du Libertaire, dépositions des témoins du drame, rapports de police… – proposés ici dans un ordre chronologique qui permet au lecteur de suivre cette histoire comme une enquête qui se déroule sous ses yeux et peu à peu va déboucher sur la vérité des faits. A savoir, comme l’indique le sous-titre de cet ouvrage, que les auteurs des coups de feu sont bien deux militants communistes, dont les noms sont ici révélés. Il faut voir avec quelle perfidie le communiqué final des communistes présents au sein de la commission d’enquête syndicale, bien que sachant parfaitement qui a tiré les fameux coups de feu, continue à en rendre les anarchistes indirectement responsables. Les méthodes employées par le Parti communiste pour transformer faussement l’une des deux victimes en militant de leur organisation sont à inscrire également au registre du dégoût qu’elles inspirent.
Dans son utile introduction, Sylvain Boulouque rappelle le contexte historique dans lequel les événements ont eu lieu, mais revient aussi sur l’éternelle rivalité qui a opposé anarchistes et communistes, afin de mieux comprendre la violence de l’époque, exacerbée alors par ce qui se joue au sein du mouvement syndical et qui débouchera, comme le rappelle l’auteur dans sa conclusion, par la bolchevisation de celui-ci et l’effacement du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarcho-syndicalisme dans le mouvement ouvrier français, mais c’est une autre histoire. Et pour rester dans celle qui nous occupe, Sylvain Boulouque souligne également combien est évidente, dans cette tragédie, la responsabilité au moins morale d’Albert Treint, alors secrétaire du PC, qui semble bien, en effet, selon divers témoignages versés dans cette enquête, avoir donné le signal de la tuerie à un service d’ordre clandestin que son organisation, sur ordre de Moscou, avait constitué quelques mois auparavant.
Cet ouvrage de Sylvain Boulouque, admirable travail de recherche, de consultation et d’utilisation d’archives, est à ranger auprès de ceux qui, consacrés à l’histoire de l’anarchisme là où les partis communistes ont sévi, mettent en lumière l’ignominie de ces partis pour qui le mensonge, la calomnie et jusqu’à l’assassinat ont servi de moyens pour parvenir aux fins que l’on sait.
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* Meurtres à la Grange-aux-Belles – « Quand les communistes flinguaient les anarchistes », de Sylvain Boulouque, éditions du Cerf, Paris, 2024.
Excellent Sylvain Boulouque !
Admirable travail de recherche, comme celui mené sur le mouvement des Gilets jaunes !
En novembre 2018, il souligne dans plusieurs médias la présence de l’extrême droite dans certaines manifestations du début du mouvement des Gilets jaunes. Une polémique naît de sa confusion du drapeau picard avec un drapeau royaliste.
Pour savoir si ce livre résulte d’un travail admirable sur les archives, il faut l’avoir lu, et non établir son opinion à partir d’une rancune accumulée à propos d’un sujet, les Gilets jaunes, qui n’a rien à voir avec la Grange-aux-Belles. S’être trompé sur un drapeau aperçu sur un écran télé lors d’une manifestation ne discrédite en rien un historien, ça peut arriver à tout le monde, sauf à ceux qui ne se trompent jamais, mais je n’en connais pas. Avoir souligné que l’extrême droite fut présente parmi les Gilets jaunes ne correspond, par ailleurs, qu’à la stricte vérité, largement avérée, même si ce mouvement des Gilets jaunes présentait heureusement des aspects plus sympathiques.
Bis repetita placent, après les drapeaux, l’historien spécialiste des Gilets jaunes chez télé Bouygues ou Boloré reconnaît avoir fait une erreur et confondu deux hommes dans une manifestation, ce qui peut devenir gênant lorsque l’on veut travailler sur des documents d’archives et que l’on montre alors
une certaine disposition à l’erreur ou plutôt au ressentiment fort apprécié par les chiens de garde
https://www.liberation.fr/checknews/2019/02/19/un-proche-de-dieudonne-a-t-il-insulte-alain-finkielkraut-comme-l-a-dit-un-historien-sur-tf1_1710319/
Si tu ne fais aucune différence entre le fait de regarder des images de manif sur écran que tu dois commenter en direct et un travail de consultations d’archives, c’est vraiment dommage.
Mais bon, on a compris que tu n’aimais pas Sylvain Boulouque, auteur de plusieurs ouvrages historiques dans lesquels personne n’a jusque-là relevé d’erreurs.
Sur le bouquin consacré à la Grange-aux-Belles, tu as quelque chose à dire ? Car c’est le sujet de mon article.