Le texte ci-dessous, que l’on doit à Alexis Romero, a été publié sur le site en langue espagnole « Público » le 7 janvier 2024.
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Fin 1936, un groupe de huit personnes en provenance de Roumanie franchit la frontière entre l’Espagne et le Portugal, visite Salamanque et rencontre à Soria le général Moscardó, l’un des responsables du coup d’État franquiste contre le gouvernement de la République. Il s’agissait de membres du parti fasciste roumain la Garde de fer, également connue sous le nom de « Légion de Saint-Michel l’Archange ».
La Garde de fer s’était développée dans la chaleur de la Roumanie rurale, qui embrassait l’ultranationalisme, le mysticisme et la religion, et dont l’une des principales références historiques était Vlad Tepes, le prince transylvanien surnommé « l’Empaleur » pour ses actions dans la guerre contre les Turcs ottomans au XVe siècle. La figure de Tepes servira plus tard de modèle pour la construction de la figure du comte Dracula, le personnage le plus célèbre des légendes de vampires.
Ion Mota et Vasile Marin étaient deux de ces militants fascistes qui avaient décidé de rejoindre l’expédition de la Garde de fer qui voulait soutenir le coup d’État franquiste, avec cinq autres hommes dirigés par le général Granicerul. Ils furent tous intégrés à la 21e compagnie du régiment du général Yagüe et, après plusieurs semaines de combat, se retrouvèrent dans ce qui était connu comme la Colline de la Radio à Majadahonda (appelée ainsi parce que c’est là que se trouvait le bâtiment de Radio Argentina).
Le 13 janvier 1937, l’aviation des Brigades internationales de la IIe République, alors en pleine offensive pour récupérer la ville de Majadahonda, lança un obus qui toucha la colline où se trouvaient Mota et Marin, provoquant leur mort. L’expédition de Granicerul abandonna la bataille et retourna en Roumanie avec les deux cadavres, qui reçurent des éloges funèbres et servirent alors d’outil de propagande pour un parti fasciste roumain en pleine ascension.
En 1948, un monument fut érigé à Majadahonda (province de Madrid) en l’honneur des deux membres de la Garde de fer ; quatre arcs plein cintre couronnés d’une croix situés derrière le cimetière municipal, tout près de la Colline de la Radio, où ils ont perdu la vie en luttant pour le succès du coup d’État de franquiste.
Depuis 1970, année après année, les ultradroites espagnole et roumaine se réunissent en ce lieu pour exalter la figure des deux fascistes, le coup d’État et le franquisme, dans une liturgie à mi-chemin entre le politique et le religieux.
L’ultradroite a déjà commencé à faire circuler deux annonces sur ses réseaux : une conférence le jeudi 11 janvier sur Corneliu Zelea Codreanu (leader de la Garde de fer) et Ion Mota, à laquelle participera, entre autres, le fils de Blas Piñar* ; et l’acte en hommage à Mota et Marin au monument dédié aux fascistes roumains à Majadahonda, le samedi 13 janvier.
Si l’hommage a finalement lieu, comme cela s’est produit les années précédentes, il sera réalisé alors qu’une loi sur la mémoire démocratique dont l’application se révèle insuffisante et inefficace pour les groupes, les partis et les victimes du franquisme qui, comme en d’autres occasions, ont déjà mis en garde contre cet acte d’exaltation du fascisme.
Les précédents historiques et récents sont aussi nombreux que les obstacles que les détracteurs du monument fasciste semblent rencontrer. Le parti Izquierda Unida (IU) de Majadahonda a demandé à plusieurs reprises l’enlèvement de l’arche, invoquant, comme l’a avancé La Marea, à la fois la loi sur la mémoire historique et un accord adopté lors de la session plénière du conseil municipal (soutenu par tous les groupes, à l’exception du Parti Populaire [PP, droite] qui s’est abstenu).
Au niveau de l’État, en novembre dernier, Enrique Santiago et Nahuel González, respectivement porte-parole parlementaire d’IU et responsable de la mémoire au Congrès des députés, ont transmis plusieurs questions écrites au gouvernement sur l’enlèvement du monument et sur les mesures à prendre pour empêcher les rassemblements fascistes autour de celui-ci.
Il était demandé, entre autres, si le gouvernement allait demander à la mairie de Majadahonda (gouvernée par le PP) sa « collaboration maximale » pour l’élimination de l’arche. L’exécutif a répondu que le 9 octobre dernier il avait déjà demandé à la Direction de la mémoire démocratique d’inclure ce monument dans le catalogue des symboles et des éléments contraires à la mémoire démocratique, une étape préalable à son enlèvement. « Au cas où les éléments inclus dans le catalogue ne seraient pas retirés ou éliminés volontairement, l’administration publique compétente entamera d’office la procédure d’élimination », est-il ajouté dans la réponse. En ce qui concerne le rassemblement fasciste prévu pour le 13 janvier (bien que la date exacte de l’événement n’était pas connue au moment de l’envoi de la réponse), l’exécutif assure que « la délégation du gouvernement sera informée à des fins appropriées ».
En ce sens, la lettre rappelle que « seront considérés comme des actes contraires à la mémoire démocratique ceux qui sont accomplis en public et qui impliquent le discrédit, le mépris ou l’humiliation des victimes ou de leurs proches, ainsi que l’exaltation personnelle ou collective du soulèvement militaire, de la guerre ou de la dictature, de ses dirigeants, des acteurs du système répressif ou des organisations qui ont soutenu le régime dictatorial ». L’un des principaux obstacles rencontrés par les groupes et organisations réclamant sa suppression est que le terrain sur lequel il se trouve est privé et que son propriétaire n’est autre que l’Association pour la sauvegarde du monument aux légionnaires roumains tombés à Majadahonda. Lorsque le conseil municipal a adopté l’accord de démolition, cette association est entrée en scène en faisant valoir que le conseil municipal ne pouvait pas approuver l’enlèvement d’une structure érigée sur un terrain privé (bien que l’accord ait été adopté sur la base de la loi sur la mémoire historique, qui prévoyait déjà l’enlèvement des symboles exaltant le fascisme). Cependant, bien que le terrain soit privé, il n’est ni clôturé ni fermé, ce qui permet aux gens de se rassembler facilement lors des hommages rendus aux membres de la Garde de fer.
A quelques jours de l’anniversaire de la mort des deux militants fascistes roumains venus en Espagne pour soutenir le triomphe du régime franquiste, la loi sur la mémoire démocratique et les administrations qui doivent veiller à son application sont confrontées à leur premier grand défi de la nouvelle année 2024.
Alexis Romero
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* Blas Piñar était un homme politique franquiste et catholique traditionaliste, fondateur du parti fasciste Fuerza Nueva.
Traduction : Floréal Melgar.
Lien d’origine : https://www.publico.es/politica/nazis-rumanos-monumento-franquista-majadahonda-primer-desafio-ley-memoria-2024.html
Merci Flo pour cette information importante.
Claire