L’article ci-dessous, que l’on doit à la journaliste Maialen Ferreira, a été publié le 5 décembre 2023 sur le site en langue espagnole « elDiario.es ». Il évoque la découverte, au Pays basque, de trois nouvelles fosses communes parmi les centaines qui restent à découvrir sur le territoire espagnol, dans lesquelles ont été jetés sans ménagement les corps d’opposants à la barbarie franquiste.
S’il est toujours nécessaire de divulguer ce qui relève de la mémoire historique, rien n’oblige personne, en revanche, à partager les propos assez honteusement consensuels tenus par l’actuelle maire d’Amorebieta-Etxano, que l’on trouve en fin d’article et qui évoquent une « réconciliation » qui ne saurait être autre chose qu’une ineffaçable indignité.
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Olatz, étudiante en anthropologie, creuse sans relâche en compagnie de l’anthropologue et historienne Lourdes Herrasti sur l’un des sites marqués signalant la présence d’une fosse commune de la guerre civile trouvée dans le cimetière d’Amorebieta-Etxano, en Biscaye. Sous la pluie, dans la boue, avec de petites pelles métalliques et en prenant bien soin de ne pas casser les ossements trouvés, elles découvrent sur l’un d’eux quelque chose qui attire leur attention. L’étudiante enlève le sable de l’os. C’est un fémur. « Il s’agit d’une jambe amputée », assure Mme Herrasti. Cette découverte confirme les soupçons de la dizaine de chercheurs de la Société des sciences Aranzadi qui effectuent ce mardi-là des fouilles à la recherche de victimes de la guerre civile : certains des corps retrouvés sont ceux de combattants décédés à l’hôpital militaire d’Amorebieta-Etxano.
Au total, trois fosses communes ont été trouvées, mais pour l’instant deux d’entre elles font l’objet de fouilles, dans lesquelles ont été trouvés « au moins » huit corps dans chacune d’elles. « Ce sont des morts de la guerre civile. Dans l’une des fosses, il est clair que ce sont des morts au combat car ils portaient les vêtements, les manteaux, avec les boutons et les chaussures cloutées qui étaient habituels chez les miliciens et les gudaris*. Cependant, dans l’autre fosse, nous n’avons pas vu beaucoup de vêtements, il y a peu d’objets et nous venons de découvrir que l’un des morts avait une jambe amputée, ce qui signifie qu’il est mort à l’hôpital et qu’on a coupé sa jambe peut-être parce qu’il avait une blessure qui s’est probablement gangrenée et qu’il en est mort », explique Mme Herrasti, qui indique qu’en ce moment la Société scientifique (Aranzadi) travaille pour découvrir ce qu’il y a dans la troisième tombe, un travail qui sera effectué tout au long des jours à venir.
Outre les corps et leurs vêtements, les enquêteurs ont trouvé une boîte de conserve, une croix que l’une des victimes portait autour du cou et deux insignes identifiant des combattants de la guerre civile. L’hypothèse principale est qu’il s’agit de combattants morts sur les fronts de guerre de la zone proche d’Amorebieta-Etxano, comme le mont Bizkargi, ou décédés à l’hôpital militaire. Selon les enquêteurs, il pourrait y avoir trois cents morts dans ces fosses. « Pour l’instant, nous en avons compté une vingtaine**, mais nous savons qu’il y en aura davantage dans la troisième fosse. Nous pensons que tous les morts sont des hommes, mais nous savons aussi que cinquante femmes et leurs enfants sont morts dans la prison pour femmes d’Amorebieta-Etxano. Nous ne savons pas où les corps ont été enterrés », a expliqué l’historienne et anthropologue.
Les travaux d’exhumation dans le cimetière d’Amorebieta-Etxano ont commencé après que l’on s’est rendu compte, en mai dernier, qu’il y avait une croix marquée « morts de la guerre ». « Nous sommes venus en mai et avons fait une recherche. Nous avons découvert qu’il y avait des corps avec des blessures perimortem, c’est-à-dire des blessures liées au décès, et deux pesetas du gouvernement d’Euzkadi de 1937. Cela nous a permis d’établir la chronologie. Elles datent de l’époque de la guerre civile. Entre avril et mai 1937, les batailles les plus importantes se sont déroulées à cet endroit, les morts datent donc de cette période », a-t-elle expliqué.
Ce mardi, la conseillère à l’égalité, à la justice et aux politiques sociales, Nerea Melgosa, a visité le cimetière en compagnie de la maire, Ainhoa Salterain, et de la directrice de l’Institut de la mémoire (Gogora), Aintzane Ezenarro. « Il y a 86 ans, un massacre a eu lieu dans cette zone et nous commençons à récupérer les corps. Nous avons retrouvé plus ou moins 20 personnes. Pour nous, il est important de retrouver la mémoire et de procéder à ces exhumations afin que les familles puissent récupérer ces corps. C’est pourquoi nous lançons un appel aux habitants de la région qui supposent qu’un membre de leur famille est décédé dans ces circonstances, afin que l’institut Gogora puisse effectuer une analyse génétique et la comparer avec les corps retrouvés », a déclaré Mme Melgosa, qui estime qu’il s’agit d’un « premier pas » vers la recherche des « plus de 300 personnes enterrées » dans le cimetière d’Amorebieta-Etxano.
Le cas d’Amorebieta-Etxano est particulier car, étant proche de Bilbao, pour parvenir à conquérir la capitale biscayenne il fallait d’abord traverser ce territoire, victime de plusieurs bombardements. La ville disposait d’un important hôpital de transfusion sanguine à l’époque et de l’une des plus grandes prisons pour femmes du pays, située à côté de la place du Calvaire dans un bâtiment appartenant aux pères carmélites déchaussés, construit entre 1931 et 1934, aujourd’hui l’école El Carmelo. Il y a plusieurs décennies, ce bâtiment abritait l’une des prisons franquistes pour femmes d’Euzkadi, par laquelle, selon le docteur en histoire contemporaine Ascesión Badiola, au moins 1241 femmes sont passées de 1940 à 1947.
En mai de l’an passé, la mairie d’Amorebieta-Etxano a voulu s’acquitter de sa « dette envers la mémoire historique » et a chargé la Société des sciences Aranzadi de réaliser un projet de recherche pour savoir ce qui s’est passé dans la ville dans les années précédant et suivant la guerre civile, de 1931 à 1945. « Nous étions conscients de la nécessité d’un ouvrage compilant les documents relatifs à Amorebieta et Etxano [à l’époque, il s’agissait de deux municipalités distinctes], les événements vécus en cette période si agitée et les violations des droits humains qui ont eu lieu », avait déclaré le maire de la ville de l’époque, Andoni Agirrebeitia.
L’actuelle maire, Ainhoa Salterain, a souligné sa collaboration pour que les exhumations et l’identification des victimes se fassent « dans le respect et la dignité ». « Plusieurs corps liés à cette période sombre de notre histoire ont été découverts. Bien que l’existence de sites d’enterrement dans des fosses communes liées à la guerre civile dans notre région était connue, cette découverte revêt une importance particulière dans le cadre de notre travail d’engagement pour la préservation de la mémoire historique. Cette découverte s’inscrit dans un processus global de récupération, de recherche et de diffusion scientifique, qui se déroule dans le plus grand respect de la sensibilité sociale de Zornotza*** et de tous les Basques en général. Elle témoigne de notre engagement en faveur de la vérité, de la justice et de la réconciliation », a conclu la maire.
Maialen Ferreira
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* Gudaris : jeunes soldats, en basque.
** Le 11 décembre, six jours après la publication de cet article, le nombre des morts auxquels appartenaient les restes trouvés dans les fosses communes s’élève à 51.
*** Zornotza : autre nom de la ville d’ Amorebieta-Etxano.
Traduction : Floréal Melgar.
Lien d’origine : https://www.eldiario.es/euskadi/desentierra-cementerio-hallan-tres-fosas-comunes-20-victimas-guerra-civil-amorebieta-etxano_1_10744993.html
Merci Floréal pour cet article.
Claire