Le 9 novembre marque chaque année l’anniversaire de la chute du mur de Berlin, en 1989. Pour l’occasion, l’opposante cubaine au régime castriste Yoani Sánchez* a publié le texte ci-dessous. Il rappelle utilement qu’il existe encore dans son pays une sorte de « mur » qui prive un peuple des libertés les plus élémentaires depuis plus de soixante ans.
Jusqu’alors, ma vie s’était déroulée entre des murs. Le mur du Malecón**, qui me séparait d’un monde dont je n’avais entendu que des horreurs. Le mur de l’école où j’étudiais lors de la réunification de l’Allemagne. Un long mur derrière lequel se cachaient des vendeurs illégaux de bonbons et de friandises. Près de deux mètres de briques superposées par-dessus lesquelles certains collègues sautaient pour échapper à des cours aussi endoctrinés qu’ennuyeux. A cela s’ajoutait le mur du silence et de la peur. À la maison, mes parents mettaient un doigt devant leurs lèvres, parlaient à voix basse… il se passait quelque chose, mais ils ne me le disaient pas.
En novembre 1989, le mur de Berlin est tombé. En fait, il a été abattu, à coups de maillets et de ciseaux. Par ces mêmes personnes qui, quelques semaines auparavant, semblaient obéir au parti communiste et croire au paradis du prolétariat. La nouvelle nous est parvenue lentement et par bribes. Les autorités cubaines ont tenté de détourner l’attention et de minimiser le problème, mais les détails ont peu à peu été révélés. Ce fut l’année de la fin de mon adolescence. Je n’avais que quatorze ans et tout ce qui allait suivre ne laisserait plus aucune place à la naïveté.
Les masques sont tombés les uns après les autres. Les Berlinois se sont réveillés au son des coups de marteaux et les Cubains ont découvert que l’avenir promis était un mensonge. Alors que l’Europe de l’Est se libérait de la longue étreinte du Kremlin, Fidel Castro criait du haut de la tribune et promettait au nom de tous que nous ne céderions jamais. Peu ont eu la lucidité de comprendre que ce délire politique nous condamnerait aux années les plus difficiles qu’aient connues plusieurs générations de Cubains. Le mur s’écroulait au loin, tandis qu’un autre parapet s’élevait autour de nous, celui de l’aveuglement idéologique, de l’irresponsabilité et du volontarisme.
Trente-quatre ans ont passé. Aujourd’hui, les Allemands et le monde entier célèbrent la fin d’une absurdité. Ils font le bilan de ce qu’ils ont accompli après ce mois de novembre et jouissent de la liberté de se plaindre de ce qui n’a pas fonctionné. À Cuba, nous avons perdu tout ce temps pour rejoindre le train de l’histoire. Pour notre pays, le mur est toujours debout, même si, désormais, rares sont ceux qui soutiennent un rempart érigé plus par caprice d’une poignée d’hommes que par la décision d’un peuple.
Notre mur n’est pas tombé… mais il n’est pas éternel.
Yoani Sánchez
_______________
* Voir la fiche Wikipédia qui lui est consacrée : https://fr.wikipedia.org/wiki/Yoani_S%C3%A1nchez
** Le Malecón est le nom de la promenade de front de mer de La Havane. La chaussée est bordée par une digue au long de ses huit kilomètres de longueur.
Traduction : Floréal Melgar.
Gracias, amigo Floréal, por la traducción y la publicación de este hermoso texto de Yoani.
Et c’est pas gagné, hélas…