Au lendemain des nombreuses manifestations qui ont secoué Cuba, les 11 et 12 juillet 2021, s’est créé le collectif Justicia 11J, qui a aussitôt entrepris un minutieux travail de documentation concernant les victimes de la féroce répression enclenchée par le régime castriste. Des listes, constamment mises à jour, de personnes arrêtées, avec leurs noms, âges et lieux de détention furent publiées sur les réseaux sociaux, suivies plus tard du relevé, détaillé là encore, des condamnations qui ont frappé les participants à ces manifestations.
Voici le dernier point que vient d’établir ce collectif sur la situation actuelle.
_______________
Début mai, des habitants de Caimanera (province de Guantanamo) ont protesté devant le siège local du Parti communiste. Outre le fait d’exiger des conditions de vie dignes, les manifestants scandaient des slogans tels que « Liberté ! », « Droits humains ! », « La patrie et la vie ! », « Vive Cuba libre ! ». On pouvait entendre également « A bas le communisme ! » et « A bas le Parti communiste ! ». En quelques minutes, toute communication avec Caimanera fut coupée. Les transmissions en direct cessèrent car il y eut une coupure du réseau internet et de téléphonie mobile au niveau national, qui empêcha de voir en temps réel la violente répression exercée par des policiers en civil et des militaires, comme cela s’était passé dans diverses localités du pays les 11 et 12 juillet 2021.
La protestation de Caimanera, à laquelle ont participé des centaines de personnes, est l’une des 33 manifestations, collectives ou individuelles, ayant eu lieu dans l’espace public ou dans les prisons, enregistrées par notre collectif depuis le début de l’année.
Ces manifestations de défense des droits ont entraîné au moins 21 arrestations, dont 11 de courte durée, et, dans les autres cas, les personnes concernées ont été privées de liberté dans le cadre d’une enquête ou de mesures conservatoires. Trois de ces personnes sont poursuivies uniquement pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages appelant à des manifestations publiques : Sulmira Martínez, Jesús Guerra et Agustín López Canino.
Signalons que sept protestations ont eu lieu à l’intérieur de prisons : Valle Grande (1), Guamajal (1), Granja 5 (1), Santiago de Cuba (1) et Quivicán (3), contre l’absence de droits fondamentaux et d’attention et contre le harcèlement envers des membres des familles de détenus. À notre connaissance, sept personnes ont été sanctionnées pour avoir mené ces manifestations : Jorge Luis Boada, Loreto Hernández, Roberto Pérez Fonseca, Abel Lázaro Machado, Yasiel Martínez, Alien Molina et Juan Enrique Pérez Sánchez. Cinq autres ont été menacées d’être transférées dans des prisons situées à plus de mille kilomètres de leurs familles. Il s’agit de José Manuel Arias Campo, Abdiel Cedeño Martínez, Wuilmer Sánchez Mojena, Maykel Mediaceja Ramos et Dairon Yunior Labrada Linares. Ienelis Delgado a par ailleurs été menacée de mesures disciplinaires.
À ce jour, et après une période de collecte et de vérification de nouvelles données, ce collectif a enregistré 1880 arrestations liées à des manifestations : 1555 dans le contexte du 11 juillet, 103 dans le contexte du 15 novembre, 207 en 2022, 21 en 2023. Notre nouveau total de personnes détenues dans le cadre d’au moins un scénario de protestation est de 1845. Sur ce total, 773 sont toujours en détention.
Depuis lundi de cette semaine, le procès de neuf manifestants dans la zone de Covadonga de la municipalité d’Aguada de Pasajeros, pendant l’été 2022, se déroule devant le tribunal provincial de Cienfuegos. Ils sont accusés de sabotage, de sédition et d’outrage.
Fin mai, le procès des manifestants de la rue Linea, le 1er octobre 2023, s’est tenu au tribunal de Centro Habana. Hillary Gutiérrez, Frank Artola, José Adalberto Fernández Cañizares, Alejandro Guilleuma et Cinthia Treviño ont été jugés pour les délits présumés d’outrage et de désordre public. Cela porte à 909 le nombre de personnes jugées et/ou sanctionnées dans le cadre de manifestations. En outre, au moins 84 personnes ont pris le chemin de l’exil après leur libération ou lors de libérations temporaires.
Justice 11J exprime son inquiétude quant à la continuité des schémas répressifs visant à empêcher l’exercice d’un droit fondamental tel que celui de manifester pacifiquement, et cela malgré les avertissements de diverses organisations internationales de défense des droits de l’homme et d’organismes régionaux, internationaux et intergouvernementaux sur cette question. Nous condamnons l’alignement du discours des médias accrédités du pays sur celui des médias officiels, mettant en doute la véracité de la manifestation de Caimanera*, en complicité ouverte avec le gouvernement. Le même schéma a été mis en pratique il y a quelques semaines par l’agence de presse EFE, lorsqu’elle a publié les propos de Mariela Castro (fille du dictateur Raúl Castro) niant les violations des droits humains dans les prisons cubaines.
Justicia 11J accompagne le peuple dans sa demande de « Liberté » et défend le droit de manifester. Malgré le fait que le régime les délégitimise et les criminalise, les manifestations sont un moyen légitime d’exprimer des revendications aux autorités. La liberté d’expression et de réunion pacifique sont des droits humains fondamentaux reconnus par le droit international. Nous affirmons notre engagement dans l’accompagnement direct et indirect des victimes de la violence d’Etat.
____________
* La thèse officielle mise en avant par les médias cubains veut que la manifestation de Caimanera ait été le fait de trois ou quatre poivrots. Or, avant que le gouvernement cubain ne coupe le réseau internet, les habitants de cette localité ont pu filmer la protestation en cours et diffuser sur les réseaux sociaux des images où l’on voit très nettement qu’il s’agit de plusieurs centaines de personnes. On peut se demander par ailleurs pourquoi un tapage nocturne engendré par quatre soiffards nécessite qu’on coupe le réseau internet et de téléphonie dans toute l’île…
Traduction : Floréal Melgar.
Laisser un commentaire