A l’occasion du soixante-dix-neuvième anniversaire de Joan Manuel Serrat, ce beau texte, « Village blanc », dont il est l’auteur et qu’il a mis en musique.
Suspendu à un précipice
Mon village blanc dort
Sous un ciel qui à force
De n’avoir jamais vu la mer
A oublié de pleurer
Dans ses allées de poussière et de pierre
Désertées, même par la guerre
Seul l’oubli
Va lentement le long du ravin
Où aucune fleur ne pousse
Où aucun berger ne transhume
Le sacristain a vu
Le prêtre vieillir
Le prêtre a vu le corporal
Et le caporal le sacristain
Et puis mon village
A vu mourir les trois
Et je me demande pourquoi des gens naîtraient
Si naître et mourir ne diffèrent en rien
De la moisson à la semence
On vit dans la taverne
Les commères murmurent
Leur histoire sur le seuil
De leurs maisons de chaux
Et les jeunes filles brodent de la dentelle
Cherchant, cachées derrière les rideaux
Ce jeune homme
Que, nuit après nuit, elles ont forgé dans leur esprit
Fort pour être leur seigneur
Et tendre pour l’amour
Elles rêvent de lui
Et lui rêve de partir loin
De son village, et les vieux
Rêvent de mourir en paix
Et mourir pour mourir
Veulent mourir au soleil
La bouche ouverte sous la chaleur, comme des lézards
A demi cachés sous un chapeau de paille
Echappez-vous, braves gens
Cette terre est malade
Et n’attendez pas pour demain
Ce qu’hier ne vous a pas donné
Il n’y a rien à faire
Prends ta mule, ta jument, ton troupeau
Suis le chemin du peuple hébreu
Et cherche une autre lune
Demain peut-être la fortune sourira
Et si tu dois pleurer
Que ce soit face à la mer
Si je pouvais me joindre
A un vol de colombes
Et traverser les collines
Laisser mon village derrière moi
Je vous jure par ce que j’ai été
Que je partirais d’ici
Mais les morts demeurent captifs
Et ne nous laissent pas sortir du cimetière
(Joan Manuel Serrat)
(Traduction : Floréal Melgar)
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