En mars 1969 eurent lieu des heurts armés entre gardes-frontières soviétiques et chinois dans l’île Zhenbao, sur l’Oussouri, à la frontière sino-soviétique. A ce sujet, Simon Leys, grand spécialiste de la Chine, rappelait ce qui suit dans son livre « Les Habits neufs du président Mao ».
« Entre tous les impérialismes étrangers dont la Chine fut successivement la victime, la Russie occupe la première place, et par l’ancienneté (la pression russe sur les frontières chinoises a commencé dès la fin du XVIIe siècle) et pour le degré de rapacité dans les annexions territoriales (en Asie centrale, les républiques soviétiques des Kazaks, des Kirghizes, des Uzbeks et des Turkmènes ont été taillées dans les anciens territoires de l’empire des Qing ; sur la frontière du Nord-Est chinois, les amputations territoriales au nord de l’Amour couvrent une superficie de plus de 600.000 km2, et celles à l’est de l’Oussouri de plus de 400.000 km2). A la différence des autres impérialismes étrangers, la Russie n’a jamais rendu gorge, et malgré les nobles déclarations de principes faites par Lénine pour dénoncer les annexions tsaristes, l’Union soviétique n’a fait que consolider son emprise sur le butin qu’elle a hérité de la Russie impériale. La première république chinoise, faible et absorbée par ses problèmes intérieurs, n’avait pas été en état de discuter avec l’Union soviétique du problème des frontières. En ce qui concerne la Chine populaire, l’Histoire reprochera à Mao Zedong de n’avoir pas su, dans les premières années du régime, faire valoir les droits de la Chine à Moscou. Faisant passer les intérêts du Parti avant ceux du pays, Mao jugea expédient de s’appuyer totalement et inconditionnellement sur le « grand frère soviétique ». Dans une certaine mesure, les heurts sanglants dont l’Oussouri est aujourd’hui le théâtre ont été rendus possibles par les dispositions (libre utilisation du fleuve frontière) attachées au pacte d’amitié sino-soviétique signé par Mao à Moscou en février 1950.
Sitôt après la rupture sino-soviétique (la façon dont l’Union soviétique renia brutalement tous ses engagements dans le domaine de l’assistance technique fut à juste titre considérée par les Chinois comme un odieux acte de sabotage et de trahison), l’Union soviétique reprit activement l’ancienne politique tsariste d’expansion territoriale, et, en 1962, le Xinjiang, objet par excellence des convoitises russes, fut le théâtre d’incidents graves (révoltes et exodes de minorités nationales à l’instigation des soviétiques).
En 1964, la Chine entama des pourparlers avec l’URSS sur la question des frontières, et se montra même disposée en principe à reconnaître les frontières tracées par les traités inégaux du XIXe siècle, moyennant certains amendements de détail. La proposition était généreuse, et il n’y a pas lieu d’en mettre la bonne foi en doute (c’est sur la base des mêmes principes en effet que la Chine régla à l’entière satisfaction des parties intéressées tous les vieux problèmes de frontières avec ses différents voisins ; l’Inde seule fit exception, mais là, encore une fois, les conclusions, aujourd’hui universellement acceptées d’observateurs impartiaux, ont démontré depuis que la mauvaise foi s’était trouvée du côté indien, l’attitude chinoise s’étant caractérisée au contraire par la naïveté, puis par la raideur d’une bonne foi outragée). Ces pourparlers échouèrent ; si l’on en croit la version chinoise – elle semble digne de créance –, les Soviétiques d’une part refusèrent au niveau des principes de reconnaître la nature expansionniste des anciens traités*, et d’autre part émirent de nouvelles prétentions territoriales inacceptables pour la Chine.
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* En 1858, au moment où Tientsin venait de tomber sous les coups de l’expédition franco-anglaise, la Russie profita de ce que la Chine se trouvait aux abois pour lui faire signer sous la menace du canon le traité d’Aigun. Ce traité amputait la Chine de ses territoires situés au nord de l’Amour, et plaçait ses territoires situés à l’est de l’Oussouri sous administration conjointe sino-russe. En 1860, après que les Franco-Anglais se furent emparés de Pékin, la Russie s’empressa à la curée, et se fit octroyer par le traité de Pékin la cession pure et simple de ces territoires situés à l’est de l’Oussouri.
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