Il y a deux ans, le 9 décembre 2020, paraissait mon bouquin sur la répression à Cuba, aux éditions l’Esprit frappeur.
Parmi les exilés cubains, il en est un qui aujourd’hui encore, par ses écrits, ses témoignages, lorsque les médias veulent bien faire appel à d’autres invités que les thuriféraires du régime castriste, continue inlassablement de dénoncer la dictature cubaine, ses méfaits et son histoire falsifiée : Jacobo Machover.
De lui, j’avais lu son indispensable La face cachée du Che, qui révélait la véritable nature de cet assassin idolâtré que même des anarchistes écervelés continuent d’admirer, bien qu’il fut l’un des fossoyeurs sans pitié du mouvement libertaire cubain au lendemain de la prise du pouvoir par Fidel Castro.
Il m’a donc semblé évident qu’il lui revenait naturellement de rédiger cette postface, utile conclusion à cet ouvrage qui parle de la répression permanente exercée par un régime détestable qui l’oblige, comme des milliers de ses compatriotes, à vivre loin de son pays.
Les noms que cite Floréal Melgar dans ces Chroniques d’un cauchemar sans fin, presque personne ne les connaît. Ce sont pourtant d’exemplaires combattants pour la liberté, parfois d’anciens prisonniers politiques condamnés à de lourdes peines et, souvent, à l’anonymat. Car ils ont le tort de se dresser contre une révolution sexy pour d’aucuns, celle de Fidel Castro et de Che Guevara. Ceux-ci, pourtant, ont été d’abominables assassins, de dignes émules de Lénine et Staline, de Mao et Deng, de Pol Pot et Ieng Sary, de Kim Il-sung, Kim Jong-il et Kim Jong-un, ou encore des Vietnamiens et des tueurs communistes d’Europe de l’Est. L’actuel leader de la révolution, Raúl Castro, toujours au pouvoir après six décennies, est un vieillard qui bénéficie de l’image « romantique » de son demi-frère Fidel.
Des dignitaires étrangers, tels François Hollande, Barack Obama et d’innombrables présidents latino-américains ou africains, se sont précipités pour aller lui rendre visite à La Havane lorsque les États-Unis ont tenté de normaliser leurs relations avec Cuba, avant la présidence de Donald Trump. Ce faisant, ils ont abandonné à leur sort – une répression permanente – les dissidents de l’intérieur de Cuba, ainsi que les exilés. En leur donnant une voix, Floréal Melgar leur rend un hommage mérité.
Leur situation n’est cependant pas la même que celle des opposants d’antan au castrisme triomphant, ceux qui ont été éliminés par vagues successives et récurrentes : les fusillés de la première heure, condamnés par les « tribunaux révolutionnaires » à la peine de mort et ceux qui, par défaut, ont écopé de vingt ou trente ans d’incarcération, les balseros, les fugitifs de toutes sortes par n’importe quel moyen, les intellectuels réduits au silence ou à d’infamantes « autocritiques », calquées sur le modèle stalinien, comme celle du poète Heberto Padilla en 1971. « Personne ne voulait entendre », disait un ancien prisonnier à mon ami le cinéaste Nestor Almendros. Tout le monde, surtout en Europe et particulièrement en France, fermait les yeux, à de rares exceptions près.
Il y avait déjà eu une brèche dans l’indécente solidarité avec le castrisme en 2003, pendant le « printemps noir », de triste mémoire. Les « 75 » journalistes, bibliothécaires et autres « indépendants », c’est-à-dire sans liens avec les institutions totalitaires, toujours uniques, du régime, dont les sentences allaient jusqu’à 28 ans de prison, n’ont fait, pour la plupart, « que » 8 ans de prison. C’est le cas de José Daniel Ferrer, qui a refusé de prendre le chemin de l’exil et qui, de ce fait, subit un harcèlement constant de la part des autorités en place. « Harcèlement » est un faible mot : il faut lire les témoignages recueillis à la fin du livre pour comprendre à quel point la situation est devenue invivable pour ceux et celles qui ont pris le relais de tous les valeureux dissidents d’autrefois, qui continuent la lutte avec acharnement depuis l’exil.
S’ils n’ont pas réussi à renverser les tyrans, tous ces héros de l’ombre se sont efforcés d’apporter leurs témoignages, pas seulement pour la postérité. Surtout pour les artistes, « artivistes », blogueurs, écrivains, professeurs, universitaires, simples citoyens, qui refusent de continuer à survivre sous la botte de dirigeants communistes d’un autre temps.
La plupart figurent dans le livre de Floréal Melgar qui, avec une abnégation solidaire, a recueilli leurs paroles et leurs actes, des protestations solitaires dans la rue jusqu’aux grèves de la faim collectives qui peuvent conduire à la mort, comme cela s’est si fréquemment produit – les noms de Pedro Luis Boitel ou d’Orlando Zapata Tamayo demeurent dans la mémoire de ceux qui en ont une. Nous n’oublions pas non plus certaines des exécutions extrajudiciaires de la police politique (la Seguridad del Estado » ou « G2 »), comme celle d’Oswaldo Payá, Prix Sakharov pour la liberté de conscience décerné par le Parlement européen, à l’instar des « Dames en blanc » (las « Damas de blanco ») ou de Guillermo Fariñas.
En voyant, en direct par la grâce des réseaux sociaux, les actions, en lisant les écrits des journalistes indépendants, en entendant les cris des hommes et des femmes qui préfèrent la prison ou la mort plutôt que de survivre en esclavage, matériel et idéologique, je me prends à rêver de revoir, un jour, Cuba libre. Et je reprends à mon compte ce qui est plus qu’une consigne : le souhait impérissable de toute diaspora depuis les temps bibliques jusqu’à l’exil des Espagnols antifranquistes, dont Floréal a hérité dans sa chair et son esprit libertaire : « L’an prochain à… La Havane » (« El año proximo en La Habana ».
Jacobo Machover
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