Ces photos sont celles de la valise avec laquelle mon père est arrivé en France, en février 1939, lors de la « Retirada », cet exode des « républicains* » espagnols après la victoire militaire des franquistes. Il avait 25 ans et avait combattu le fascisme avec ses camarades de la CNT libertaire.
La valise mesure 25 cm sur 40. C’est le seul bagage qu’il emportait avec lui. Au camp de Saint-Cyprien, dans le département des Pyrénées-Orientales, où il fut enfermé avec des milliers d’autres réfugiés espagnols, on lui a fourni une couverture de mince épaisseur, que nous avons conservée également, mes sœurs et moi.
Mort en 1971, avant Franco, il n’a jamais revu son pays. En Espagne, mon père avait commencé à travailler à l’âge de 12 ans. Il avait amélioré sa lecture et son écriture dans les locaux de la CNT où les instituteurs libertaires œuvraient auprès des enfants du peuple dans une région où l’analphabétisme était très important. En France, il fut maçon jusqu’à ce qu’un problème cardiaque l’oblige à abandonner les chantiers. Plus tard, c’est un cancer qui devait l’emporter. Il avait 57 ans.
Reste cette petite valise dans laquelle il emporta sans doute un peu de linge de rechange et peut-être quelques souvenirs des vingt-cinq années passées dans son Andalousie natale.
Peut-être que ces simples photos pourront donner à certains lecteurs une idée de ce que peut représenter l’exil.
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* Je mets le mot « républicains » entre parenthèses car il me semble, comme beaucoup d’autres choses dans cette histoire espagnole falsifiée par des historiens réactionnaires ou communistes, évidemment trompeur. Nombre de réfugiés espagnols n’étaient pas républicains, en effet, mais anarchistes. Il suffit de rappeler qu’avant comme pendant la guerre civile le syndicat libertaire CNT était largement majoritaire dans le monde du travail d’Espagne.
« Pour ne pas oublier »… et tant qu’un relais vivant peut témoigner, tu contribues à ce que l’histoire ne puisse jeter l’expérience vécue sans laisser d’adresse. Tant que Franco est mort dans son lit nous sommes tous espagnols.