RÉÉCRITURE DE L’HISTOIRE
Dans son livre Radio-Libertaire, la Voix sans maître, édité à l’occasion des dix ans de la station, en 1991, Yves Peyraut, qui savait de quoi il parlait puisque ayant rejoint le trio de départ dès les premières semaines d’existence de la radio, raconte : « … au congrès de Neuilly-sur-Marne, Julien présente un projet de fonctionnement et de budget de la future station. (…) Pour mener à bien une telle entreprise, trois compagnons : Jacky-Joël Julien, Floréal Melgar et Gérard Caramaro. » Une page plus loin, il reprécise : « Revenons aux balbutiements de Radio-Libertaire, à sa première semaine d’émission. Rappelons que trois, et seulement trois joyeux lurons, Julien, Gérard et Floréal, vont ouvrir l’antenne… »
Avoir participé à la création d’une radio libre telle que Radio-Libertaire et vécu d’on ne peut plus près la bataille qu’il fallut mener pour que sa présence perdure sur la bande FM, évidemment cela aide quand il s’agit d’en raconter l’histoire. Au cours des années, j’ai ainsi pu le faire, de nombreuses fois, toujours verbalement, sur l’antenne même de Radio-Libertaire, mais aussi sur France Culture, à deux reprises, ainsi qu’à l’antenne de deux ou trois autres radios libres. Bien sûr, cela n’interdit pas à ceux qui ne furent pas de l’aventure des premiers temps de se mêler de cette histoire, mais la consultation des sources*, le recours aux témoignages des fondateurs et de ceux qui vinrent rapidement les rejoindre, ainsi qu’une dose d’éthique élémentaire paraissent cependant nécessaires à l’élaboration d’un récit sérieux et argumenté. Ce ne fut hélas pas toujours le cas, et ces tripatouillages de notre histoire sont parfois d’autant plus désolants qu’ils émanent du sein même de l’organisation dont Radio-Libertaire est l’un des organes de diffusion.
La palme dans ce domaine revient à cette militante, historienne aussi approximative que vindicative, qui, dans une brochure publiée à l’occasion des trente ans de Radio-Libertaire, en 2011, rédigea un texte supposé en résumer l’histoire. Ce texte était signé Rose Paradis, un pseudonyme derrière lequel se dissimulait en réalité l’une des responsables d’alors de Radio-Libertaire, Elisabeth Claude, qui se distinguait par un autoritarisme repoussant dont même certains de ses proches camarades finirent par se lasser. Elle n’avait en rien participé à la création de RL ni à ses premières années d’existence puisque ayant adhéré à la Fédération anarchiste en 1989. A l’époque où son texte fut rédigé, Julien et Yves Peyraut, deux éléments majeurs dans cette histoire, étaient décédés. D’autres, qui avaient joué un rôle important, comme Jocelyne Fonlupt ou Nelly Derré, avaient quitté la Fédération anarchiste depuis pas mal de temps. Nourrissant de plus une forte inimitié à l’égard de Gérard Caramaro et de moi-même, elle ne crut pas utile de nous consulter. C’est ainsi qu’elle put truffer son écrit laborieux d’erreurs manifestes.
Parmi les émissions répertoriées comme les plus anciennes, elle rangeait par exemple Radio Cartable, la radio des écoles d’Ivry, ce qui n’était pas le cas, tandis que « Folk à lier », « Blues en liberté » ou l’émission « Prison » étaient oubliées. Wally Rosell et moi-même étions désignés comme ayant eu « l’immense privilège de prendre la parole les premiers sur Radio-Libertaire, le 1er septembre 1981 », assertion totalement fausse puisque Wally n’était pas présent le premier soir, seuls figurant dans le studio Julien, Gérard, Teresa Lozano et moi. De plus, je ne pris que très peu la parole ce soir-là, Julien et Gérard se partageant largement le micro. Yves Peyraut y est désigné comme le seul responsable ayant mené les négociations auprès des instances gouvernementales, alors que Wally Rosell et moi-même y avons grandement participé nous aussi. Passons sur une erreur de date concernant l’interdiction d’émettre ayant frappé RL, même si cela participe du peu de rigueur qui fonde cet écrit.
Tout cela n’est évidemment pas dramatique dans la mesure où cette brochure bien oubliée ne comptera certes pas parmi les sources fiables dont se serviront dans l’avenir ceux qui s’intéresseront à notre histoire, et c’est tant mieux. Il n’empêche que ce texte fut diffusé…
Le plus grave et le plus triste, hormis ces fausses informations, demeure la façon dont sont évoqués les initiateurs de RL et les premières années d’émission. De Jacky-Joël Julien, dont il est dit que sans lui Radio-Libertaire n’aurait peut-être pas vu le jour – point de vue que je partage –, était-il nécessaire d’écrire après sa mort, dans un texte rendu public, que pour aboutir à la création de RL « son opiniâtreté a pu parfois être dérangeante » ? J’ignore qui cette « opiniâtreté » a pu déranger, en tout cas pas celle qui écrit cela, absente dans toute cette histoire, mais heureusement que cette ténacité se manifesta face à l’indifférence de nombre de camarades, j’en témoigne, et Yves Peyraut, dans le livre mentionné ci-dessus, n’oublie pas de signaler que ce projet, adopté au congrès de Pentecôte 1981 de la Fédération anarchiste, le fut « sans enthousiasme réel ». Vive l’opiniâtreté, donc !
Gérard Caramaro, envers qui notre historienne improvisée éprouvait une forte détestation, connaît quant à lui, toutes proportions gardées bien sûr, le sort de ces bolcheviks et apparatchiks communistes chinois s’étant écartés de la ligne du Parti et que des faussaires faisaient disparaître des photos officielles, comme s’ils n’avaient jamais existé. C’est ainsi que pas une seule fois son nom n’est cité dans un texte qui prétend retracer, même brièvement, les premiers pas de RL. Stupéfiant, non ?
S’il est rappelé dans le texte que RL est officiellement l’organe de la Fédération anarchiste, cette précision permet surtout à notre aimable camarade de prétendre que « cela l’a protégée du goût du pouvoir de certains initiateurs ». Ah bon ? Qui donc ? Rappelons que, parmi lesdits initiateurs, Julien, Gérard, Yves, Wally, Nelly, Jocelyne et moi fîmes partie tour à tour du secrétariat radio tout au plus deux années de suite. La fraternelle « Rose Paradis », quant à elle, y resta au moins dix années consécutives, mettant fin, avec deux ou trois autres militants de son acabit, au fonctionnement très assembléiste et dynamique qui régnait jusque-là.
Des premières années d’existence, dont tous ceux qui les ont vécues se souviennent avec chaleur et émotion tant elles furent exaltantes, les seules remarques qui viennent sous la plume de notre sympathique rédactrice consistent à affirmer qu’« on reconnaissait Radio-Libertaire à sa faible qualité sonore, aux tics de langage de ses animateurs, aux blancs plus ou moins longs, aux vinyles rayés ou aux CD bloqués ! ». Bref, des bafouilleurs techniquement nuls et assoiffés de pouvoir, voilà qui nous étions… Sympa, non ?
Heureusement, les sauveurs sont arrivés. Car, poursuit notre modeste amie, « grâce à un travail important des mandatés [précision utile : elle en fait alors partie] de nombreuses difficultés ont été résolues ». Magnifique, non ?
J’en serais resté là de mes réflexions sur cet aspect navrant de l’histoire de RL revisitée par un médiocre faux témoin, quand une nouvelle information m’est parvenue. Il y a quelques mois, j’étais l’invité de l’émission « Femmes libres** », sur Radio-Libertaire, animée par Hélène Hernandez, pour précisément raconter une fois encore l’histoire de la naissance de RL et de ses premiers pas. Mes interventions au cours de cette émission avaient été enregistrées, de même que les témoignages importants de Jocelyne Fonlupt et de Wally Rosell, sollicités eux aussi. Le secrétaire perpétuel Hugues Lenoir, lui, qui avait refusé de me rencontrer, était présent, en direct, dans le studio. Or il apparaît que l’enregistrement de cette émission devrait peut-être servir lors des rencontres publiques, organisées les 12 et 13 mars prochain pour célébrer les quarante ans de RL, afin, je suppose, d’illustrer et de nourrir un débat autour de la création de la radio. Une chose est sûre, en tout cas, c’est que vous n’entendrez pas mes interventions, pourtant non polémiques, expurgées au montage par l’actuel secrétariat radio. C’est pitoyable, non ?
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* Il convient de signaler ici qu’un excellent mémoire de fin d’études, intitulé « Radio-Libertaire. L’organisation d’une radio anarchiste, 1978-1986 », fut présenté et soutenu, en septembre 2012, devant un jury présidé par l’historien Pascal Ory. Son auteur, Félix Paties, m’avait confié qu’un livre devrait être tiré de ce mémoire. Espérons que ce projet verra le jour.
** Pour ceux qui n’ont pu encore écouter cette émission, voici le lien vers l’excellent site non officiel qui le propose :
https://www.anarchiste.info/radio/libertaire/emission/femmes-libres/2021/09/01/
Merci infiniment pour tout, Floréal.
Merci Floréal pour cette juste évocation de ce qu’était RL à une certaine époque malgré les coucous « Pierre Besnard ». Immense souvenir de Jacky-Joël Julien, du Merle moqueur de la Butte aux Cailles où nous passions ensemble de longues heures d’enregistrement, moi technicien, d’émissions ensemble (deux fois deux heures à chaque fois) sans aucune coupure à l’antenne avec de prestigieux chanteurs, poètes, écrivains… invités. Plusieurs émissions aussi au TLP mémorables. Plus un concert de Serge Utgé Royo superbe.
Patrick