UNE BULLE TROTSKISTE ET DES SOURIS
Dans le texte précédent, je rappelais que l’Etat n’avait pas été le seul à nous faire des misères durant les premiers temps d’existence de Radio-Libertaire. Ceux qui, chez les commerçants et affairistes, flairèrent assez vite, dans le foisonnement des radios libres, l’occasion rêvée de faire du fric, comme ceux des partis politiques, petits ou grands, à qui la radio offrait un moyen de diffusion et de propagande supplémentaire, se mêlèrent de la partie. Nombre d’entre eux, toutefois, se réveillaient un peu tard, en un moment où la bande FM était déjà largement saturée en région parisienne. Aussi n’était-il pas rare qu’ils optent pour des méthodes brutales, imitant en cela les brouilleurs officiels de TDF. Cela consistait à s’installer, presque toujours de nuit, sur des fréquences déjà occupées, parasitant les radios existantes grâce à des émetteurs plus puissants.
Radio-Libertaire fit évidemment les frais de ces agissements et fut ainsi contrainte de réagir, pas toujours gentiment. En voici deux exemples.
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Crevons la Bulle
La première agression vint d’une radio créée par une organisation politique trotskiste. Il ne fut pas aisé, dans un premier temps, de l’identifier car elle se contenta d’occuper notre fréquence avec une bande sans fin diffusant vingt-quatre heures sur vingt-quatre Le Boléro de Ravel. Les seules paroles venues interrompre cette permanente musique consistaient à donner le nom de la station : Radio La Bulle.
Jacky-Joël Julien, dit Julien, qui avait la haute main sur la partie technique de Radio-Libertaire, se mit à la recherche de l’endroit d’où émettait cette Bulle que nous avions bien l’intention de crever le plus vite possible. C’est ainsi que fut repérée l’antenne parasite sur le toit d’un immeuble d’habitation de la rue Sainte-Anne, à Paris. Nous apprenions dans le même temps que cette station était l’émanation de l’organisation trotskiste Lutte ouvrière.
C’est donc par une belle fin d’après-midi de printemps qu’une douzaine de militants de la Fédération anarchiste pénétraient dans cet immeuble et montaient jusqu’au dernière étage où nous avions auparavant repéré l’appartement qui servait de studio. Le groupe demeura caché dans l’escalier tandis que je me présentais sur le palier et appuyais sur la sonnette. Après m’avoir observé à travers l’œilleton de la porte, un « lutteur ouvrier » fit l’erreur de m’ouvrir. Bloquant la porte avec le pied, comme dans les polars, je fis alors signe aux copains qui s’engouffrèrent dans l’entrée de l’appartement. On eut le temps d’apercevoir un camarade du trotskiste imprudent filer dans une pièce voisine et actionner un verrou. S’adressant à celui qui avait ouvert la porte et qui se trouvait alors en notre compagnie dans l’entrée de l’appartement, Julien lui fit rapidement comprendre qu’il était totalement inutile que son camarade reste enfermé dans l’autre pièce, où se trouvait l’émetteur, car il nous suffisait d’un geste pour faire taire Radio La Bulle. En terminant sa phrase, Julien se dirigea vers le compteur électrique et coupa net le courant.
Après avoir délivré un cours gratuit et totalement désintéressé de théorie libertaire à nos deux vaillants trotskistes de service, nous sommes partis en leur faisant bien comprendre que leur sale petit jeu devait cesser rapidement. Le surlendemain, deux envoyés de Lutte ouvrière vinrent nous rencontrer à la librairie Publico, siège de RL, et promirent que la Bulle irait dans les vingt-quatre heures faire entendre ailleurs son Boléro sur la bande FM. Ce qui fut fait. Quelque temps plus tard, la Bulle s’était évaporée et Radio-Libertaire poursuivait sa belle aventure.
Des souris et des hommes
A la mi-1984, un autre emmerdeur s’annonce. Il s’agit cette fois d’une radio appelée Métropolys. Elle avait été auparavant associée à NRJ mais une rupture était intervenue entre ces deux partenaires et, privés alors de fréquence, les responsables de cette station avaient à leur tour eut l’idée de s’installer sur la nôtre, avec là encore un émetteur plus puissant. Très vite, car ayant acquis dans ce domaine une certaine expérience, nous localisons leur antenne émettrice sur le toit de l’hôtel « Le Bouquet de Montmartre », rue des Abbesses, à Paris.
Nous nous rendons sur place et sommes reçus par une dame fort peu aimable, manifestement indifférente à nos problèmes. Nous lui demandons de faire savoir aux responsables de la radio qu’elle héberge que nous ne permettrons pas que cette situation perdure. Les jours passant, et aucun contact n’ayant été établi avec Métropolys, nous retournons voir la gérante de l’hôtel, toujours aussi désagréable et qui nous envoie tout bonnement balader. Nous partons, en n’oubliant pas toutefois de lui faire savoir qu’elle aurait très vite de nos nouvelles.
Dans un premier temps, nous organisons une petite opération « commando » consistant à opérer un lâcher de souris dans les étages de l’hôtel. Après nous être procurés une quinzaine de ces petites bêtes, l’opération fut rondement menée. Deux heures plus tard, un copain téléphonait à l’hôtel pour demander des nouvelles de nos petites camarades à quatre pattes, soucieux qu’il ne leur soit rien arrivé de fâcheux compte tenu de la méchanceté évidente de la patronne des lieux.
Cette action, qui nous avait bien amusés, n’eut toutefois aucune efficacité, Métropolys continuant d’émettre sur notre fréquence avec force watts.
Quelques jours plus tard, un petit groupe de personnes, vêtues chacune d’un bleu de travail et équipées d’une petite échelle, de divers outils et d’un chalumeau, s’introduisait dans un immeuble voisin de l’hôtel et, passant par les toits, arriva jusqu’à l’antenne de la station parasite. Après avoir apprécié durant quelques instants la vue imprenable offerte à leurs yeux, ces travailleurs consciencieux dézinguèrent comme il convient, en un temps record, le câble reliant ladite antenne à l’émetteur, et Métropolys disparut ainsi de notre fréquence.
Il va de soi que nous ne savons toujours pas qui étaient ces ouvriers particulièrement qualifiés…
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