J’ai reçu ce texte d’Octavio Alberola, que je relaie ici volontiers.
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Malgré le fait que nous soyons plongés depuis quelques semaines dans la sixième vague de l’épidémie de Covid-19 provoquée par le variant omicron, avec une succession de statistiques de contagion et de décès qui portent l’incidence quotidienne à des niveaux réellement alarmants, il est à nouveau question – tant pour les gouvernements que pour la plupart des gens – de revenir à la normalité du passé, celle du « sauve qui peut ! » qui a transformé l’épidémie en pandémie.
En effet, malgré l’incertitude des spécialistes quant à l’évolution de la pandémie et la certitude sur les conséquences néfastes – sociales et humaines – de l’adoption d’approches idéologiques pour y faire face, les gouvernements (avec l’approbation d’une grande partie de la population) continuent obstinément à réagir en fonction de l’idéologie capitaliste – privilégiant la rentabilité du capital sur la santé et la vie des gens – plutôt que sur la base des connaissances scientifiques sur la dynamique de la santé et de l’environnement.
Une obstination qui confine au crime, comme en témoignent les chiffres des statistiques officielles du 13 janvier 2022 en Espagne, où le record d’infections a été battu avec une incidence de 3128 cas pour 100000 habitants et 123 décès par jour, et dans le monde avec un total de 317 millions de cas diagnostiqués et 5,51 millions de décès.
Mais, « curieusement », c’est cette explosion des contagions qui – parce qu’elle se traduit par des congés maladie qui compromettent la prestation de services essentiels et la dynamique économique – incite les responsables politiques à se lancer dans un scénario de gestion de la pandémie comme s’il s’agissait d’une maladie ordinaire. Non seulement pour minimiser le plus possible son impact sur les congés maladie, mais aussi pour obliger la population à assumer le risque d’une gestion individualisée de la pandémie/maladie.
Un changement de stratégie justifié par une évolution supposée possible – prédite par certains experts – de la pandémie en une endémie, comme la grippe, grâce au variant omicron. Mais c’est « oublier » que la grippe cause déjà 650000 décès par an et que l’anthropisation d’espaces où il n’y avait pas de présence humaine auparavant nous expose à de nouveaux virus qui, avec la pression démographique accrue et la mobilité accélérée résultant de la mondialisation et de l’hyperconnexion du monde, peuvent contribuer à déclencher de nouvelles épidémies mondiales. En outre, si les deux dernières années de la pandémie de Covid nous ont appris quelque chose, c’est bien la futilité de la futurologie, les limites des modèles prédictifs et la stérilité des proclamations d’issues heureuses ou catastrophiques sur la base de simples vœux pieux ou de la peur.
Un « oubli » qui montre – une fois de plus – que l’être humain est le seul animal qui trébuche deux fois sur la même pierre. Ce n’est donc pas maintenant, avec à nouveau deux ou trois jours d’incidence à la baisse, que nous tirerons les leçons de ce que nous avons vécu et que cet axiome cessera d’être vrai. D’autant plus que les gouvernements et la majorité de la population s’empressent de revenir à la normalité du « sauve qui peut ! » de la dynamique économique dominante, malgré leur responsabilité connue dans la propagation de la pandémie.
Une normalité qui signifie normaliser le risque d’infection et de décès lié au Covid. Et ce malgré le fait que la seule façon de se rapprocher de la fin de cette pandémie – comme l’OMS et la plupart des épidémiologistes ne cessent de le rappeler – est la réduction des contagions et la vaccination complète au niveau international.
On peut donc dire que nous assistons à un dangereux, paradoxal et inquiétant recul du sens commun et de la rationalité scientifique, face à l’impératif économique capitaliste, ce qui montre à quel point la pensée et l’instinct même de survie sont désormais en crise, et il faut se demander combien de temps durera cette inconscience.
Non seulement parce qu’il est nécessaire de prendre conscience de cette régression intellectuelle et politique, afin de ne pas trébucher à nouveau sur la même pierre, mais aussi pour pouvoir inventer de nouvelles catégories morales et politiques qui, en plus de mettre la vie au centre de nos valeurs, nous permettent de mieux affronter les dangers du monde actuel.
Une nécessité de plus en plus urgente car la réalité catastrophique des crises sanitaire et écologique que nous vivons, en plus d’accentuer les effets désastreux – sur les jeunes et les plus précaires – de la crise économique et sociale que nous traînons depuis la crise financière de 2008, ne laisse aucune autre alternative que la pratique de l’entraide et de la vie en harmonie avec notre environnement naturel, comme seul moyen d’éviter le risque existentiel pour la vie humaine et le reste des espèces, et de poursuivre l’aventure/processus qui, de la biologie à la culture, nous a faits humains.
Octavio Alberola
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Traduction : Floréal Melgar.
Excellent !