« Les radios locales sont le germe puissant de l’anarchie »
Raymond Barre, premier ministre
(7 septembre 1979)
Le 28 août 1983 au petit matin, les forces de police prenaient d’assaut le studio de Radio-Libertaire (RL), à Paris, et s’y livraient à un véritable saccage.
Il ne s’agit pas ici de retracer dans le détail l’histoire de la station, mais d’évoquer dans les grandes lignes les diverses étapes qui ont précédé et précipité cet événement marquant dans l’histoire de RL.
Radio-Libertaire était née dans l’urgence, le 1er septembre 1981, après que le gouvernement de gauche formé à la suite de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République eut décidé d’ouvrir la bande FM aux radios dites « libres ». La station connut une existence relativement tranquille jusqu’à ce que ledit gouvernement commence à se pencher sérieusement sur le « dossier radio ». C’est alors, en effet, que les emmerdements commencèrent…
La première mesure autoritaire prise par la commission Galabert, mise en place par le ministère de la Communication après la disparition de l’incompétente commission Holleaux, obligea les radios existantes, à la mi-janvier 1982, à occuper leur fréquence 84 heures par semaine (12 heures par jour). Cela eut pour conséquence immédiate d’éliminer nombre de « petites » radios créées par des groupes de copains, bien incapables, évidemment, de tenir l’antenne sur une telle durée. Pour nous, ce fut l’obligation d’étoffer les équipes d’animateurs et de mettre en œuvre une grille de programmation digne de ce nom. Dans le même temps, les radios furent mises dans l’obligation de fournir un dossier à la commission Galabert en vue d’une future régularisation éventuelle. Lorsqu’il nous arrivait, entre séances de brouillage des émissions et autres tracasseries diverses, de demander où en étaient les études des dossiers, il nous fut répondu que jamais le nôtre n’était parvenu à la commission. Ce fut là l’une de ces mille tracasseries que les divers « responsables » auxquels nous avons eu affaire se plurent à nous infliger tout au long de cette longue aventure. L’attitude des autorités mises en place par l’Etat consista en effet, dans un premier temps, de faire comme si nous n’existions pas. Mais nombre d’actions, à Paris comme ailleurs, leur firent comprendre très vite que nous existions bel et bien.
Commença alors la période des publications, de la part du ministère de la Communication, où trônait Georges Fillioud, ex-défenseur du monopole d’Etat en matière de radiodiffusion, de listes de radios, chaque fois plus réduites, susceptibles d’obtenir une place sur la bande FM. Radio-Libertaire, systématiquement absente de toutes ces listes, devra attendre février 1983 pour apparaître enfin, en vingtième position sur vingt stations répertoriées, sur une liste de radios dérogeables, obligation nous étant faite dans le même temps d’opérer un regroupement avec pour le moins une autre station.
Entre-temps avait été créée, pour succéder à la commission Galabert, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA), présidée par Mme Michèle Cotta, le dossier des radios libres étant confié en son sein à un personnage nous ayant laissé un souvenir particulièrement désagréable tant il se montra retors et menteur, à savoir M. Stéphane Hessel. Pendant toute cette période, il va de soi que nous n’attendions pas sagement que les messieurs-dames de la HACA, installée dans les beaux quartiers de la capitale, décident de notre sort. D’innombrables initiatives furent prises, à Paris comme en province, et même à l’étranger, pour faire savoir que nous n’étions absolument pas disposés à nous laisser faire et à crever sans réagir face aux coups incessants que nous portait le pouvoir. Bref, la lutte fut permanente et intense.
Le 10 mai 1983, les propositions de regroupement qui nous avaient été imposées ayant été rejetées par nous, et nos propres propositions ayant été repoussées avec dédain, nous recevions une lettre officielle de Mme Cotta nous intimant l’ordre de cesser nos émissions sous 24 heures. Il fut alors décidé de renvoyer son courrier à Mme Cotta, accompagné de la réponse suivante : « Mme la Présidente et chère consœur, Nous soussignés, journalistes bénévoles de Radio-Libertaire, nous adressons à vous parce que nous n’avons pas oublié que vous avez exercé le même métier que nous. Nous vous envoyons ci-joint un document dont la simple lecture nous a prouvé qu’il s’agit manifestement d’un faux grossier. Ce canular nous a bien amusés et nous espérons qu’il vous fera sourire. »
Mais l’heure n’était pas à la plaisanterie côté Haute Autorité, et déjà les saisies des radios non soumises étaient à l’ordre du jour, mais le gouvernement préféra toutefois attendre l’été, période propice aux mauvais coups, pour passer à l’action.
La première vague de saisies eut lieu le 14 août 1983. Six radios en firent les frais, dont Carbone 14, la plus connue. Radio-Libertaire n’était pas dans le lot, mais il était évident que notre tour allait arriver rapidement. Ce fut le cas deux semaines plus tard, le 28 août. La porte du studio avait été blindée, plusieurs copains se trouvaient à l’intérieur, et d’autres sillonnaient le quartier pour les prévenir de l’arrivée des flics. Mais des flics en civil se baladaient eux aussi aux alentours, et quelques-uns des copains chargés de faire le guet furent momentanément arrêtés. Puis arriva la grosse cavalerie policière, qu’il fut impossible d’empêcher de pénétrer dans le couloir d’entrée de l’immeuble d’habitation où se trouvait notre studio. Il fallut tout de même à la police une bonne demi-heure pour venir à bout de la porte d’entrée. Auparavant, mal renseignés sans doute, les flics, persuadés que le studio se situait au cinquième étage, allèrent frapper comme des sauvages à une porte qui s’ouvrit sur le visage ensommeillé d’un étudiant américain se demandant ce qui lui arrivait. Pendant que les flics s’escrimaient sur la porte blindée, les copains à l’intérieur prévenaient par téléphone la station Ici et Maintenant de l’entrée imminente de la police dans le studio et laissèrent le combiné décroché, si bien que la saisie de RL put se faire entendre en direct sur l’antenne de cette station amie et être enregistrée.
Des photos furent prises après le départ des flics, qui montrent le véritable saccage auquel ils se livrèrent à l’intérieur du studio. Petite satisfaction toutefois, dans cette opération d’une brutalité inouïe : avoir retardé un long moment les casseurs en uniforme, car nous avions scotché sur notre émetteur une affichette portant l’inscription « Emetteur piégé. Danger », avec la fameuse tête de mort des drapeaux de pirates pour illustration. Cela les obligea à faire appel à un artificier, qui ne trouva évidemment rien.
Cette saisie-mise à sac nous porta évidemment un petit coup au moral, mais l’ambiance d’alors, chez les militants de la Fédération anarchiste et ses sympathisants, n’était pas du tout à la résignation. Il y avait déjà pratiquement deux ans que nous nous battions bec et ongles pour l’existence de cette radio, aussi étions-nous décidé à ne pas laisser la situation en l’état, mais plutôt de passer illico à la contre-offensive.
Dans la mesure où nous nous attendions à ce qui venait de se passer, nous avions déjà une petite idée de la façon dont il nous fallait riposter et nous nous étions organisés pour cela.
Il faut d’abord dire que cette saisie d’une radio qui jouissait alors d’un fort sentiment de sympathie provoqua une grande indignation, et pas seulement dans le petit monde de l’anarchisme militant, mais bien au-delà. Nombre d’organisations syndicales, humanitaires ou même politiques, de personnalités du monde artistique, etc., protestèrent très officiellement contre ce mauvais coup porté à la liberté d’expression. De notre côté, un appel largement relayé était lancé à tous nos auditeurs, sympathisants et soutiens pour une manifestation de protestation, le 3 septembre à Paris, une semaine après la saisie. L’atmosphère de sympathie créée autour de la radio depuis sa naissance nous semblait en effet de nature à pouvoir organiser un rassemblement d’importance dans les rues de la capitale, et cela assez rapidement, avant que s’estompent la colère et l’indignation.
Après la saisie et le saccage du matériel, Jacky-Joël Julien, qui avait la haute main sur la partie technique, et quelques camarades autour de lui s’attelèrent à remettre sur pied un studio de fortune que nous espérions tous en mesure de fonctionner le jour de la manifestation. Car il va de soi que nous n’étions pas décidés à limiter notre protestation aux seuls manifs et communiqués habituels. Nous avions fait savoir énergiquement que rien ni personne ne nous ferait taire et avions prévenu, gentiment mais fermement, que quiconque s’installerait sur la fréquence que nous occupions avant la saisie devait s’attendre de notre part à une réaction façon… anarchiste. Comprenait qui pouvait… Personne ne vint s’y installer.
La manifestation eut donc lieu et dépassa nos espérances quant au nombre de participants. L’ambiance y fut tout à la fois joyeuse et combative. En tête, nous avions placé une camionnette équipée d’un matériel radio et de haut-parleurs afin de pouvoir annoncer, avant de lancer l’appel à la dispersion, que Radio-Libertaire émettait à nouveau. Regroupés autour de cette camionnette, nous étions quelques-uns, un peu nerveux et inquiets, espérant que tout allait bien se passer et que là-haut, à Montmartre, notre ami Julien réussirait, au moins provisoirement, à « remettre la machine en marche ». Ce qui fut fait. A l’issue de la manifestation, l’indicatif de Radio-Libertaire, Le Temps des cerises joué à l’orgue de barbarie, suivi d’une chanson de Bernard Lavilliers, Fensch vallée, que nous avions coutume de passer très souvent à l’antenne, se firent entendre via les haut-parleurs. Puis j’annonçai au micro que ce que les manifestants entendaient n’était pas un enregistrement mais bien du direct, et que dès lors, et en toute illégalité, Radio-Libertaire recommençait à émettre.
L’annonce fut accueillie par une joie délirante chez les manifestants et une grande émotion pour notre part. Il fut dit que désormais plus personne ne nous ferait taire.
Salut Flo,
Permets-moi de rajouter deux anecdotes à ton compte-rendu. Il était prévu que, dès que l’intervention policière serait imminente, les militants de la région parisienne seraient prévenus pour se rassembler devant les studios. Nous nous sommes donc retrouvés à une cinquantaine de personnes pour manifester notre désapprobation et, lors du départ des cars de police, le chahut a été tel que plusieurs voitures stationnées dans la rue ont été endommagées par les véhicules policiers. Nous nous sommes donc empressés de disposer des papillons sur les pare-brise pour relater les faits et nous proposer comme témoins. Je ne connais pas les suites de cette affaire…
Lorsque la manifestation de soutien à Radio-Libertaire fut arrivée à son terme, une partie du service d’ordre s’empressa, avec « armes » (ce qui serait impensable aujourd’hui) et bagages, à rejoindre les studios pour les « protéger ». Nous avons traversé par inadvertance les rangs d’un groupe de CRS (au repos) et, aussi surpris les uns que les autres, les CRS se précipitèrent pour « s’outiller » tandis que nous disparaissions sans demander notre reste.
Pascal B. (ex-groupe Sacco-Vanzetti)
Pour compléter les souvenirs de Bernard de cette saisie, je me souviens que des quarts avaient été organisés au studio de RL dans l’attente de la saisie. Le matin même c’était Didier (du groupe Emma-Goldman et par ailleurs animateur de l’émission « L’écho des savates ») qui assurait une permanence au studio rue André-Barsacq. Le pauvre n’a pas pu faire grand-chose contre le bélier pneumatique utilisé par les forces de l’ordre pour exploser la porte blindée du studio. Tout juste a-t-il eu le temps de prévenir quelques camarades par téléphone. Dans la précipitation il n’a pas coupé les micros ce qui a permis aux quelques auditeurs à l’écoute à ce moment de vivre en direct la saisie et le carnage réalisés pas les forces de police jusqu’à ce que ces mêmes sbires aient la lumineuse idée de couper le câble d’antenne. C’est vrai qu’après la saisie c’est en vrac que la camionnette de police, embarquant le matériel de Radio Libertaire, a descendu les rues de Montmartre, il faut dire qu’il lui a fallu slalomer entre les containers de poubelles que nous renversions sur son parcours. Après cet épisode, on a essayé d’alerter les autres radios menacées de l’imminence d’interventions policières musclées, je me rappelle que pour la Radio Woka (la radio antillaise, rue des Pyrénées) c’était déjà trop tard quand on est arrivé, elle aussi avait déjà été investie.
Thierry dL (ex-groupe Voline)
Une belle épopée que cette lutte pour la libération des ondes et la liberté d’expression. Une pensée a tous ces activistes des ondes. La liberté ne se mendie pas, elle se prend !