Après le texte des compagnons anarchistes du Taller libertario Alfredo López de La Havane, voici celui du site « espartaco » dont hier encore les responsables se présentaient comme socialistes libertaires, mais cette mention a aujourd’hui disparu. Cet article intéressera ceux qui ne connaissent que peu de chose sur la situation cubaine en général, grâce aux informations qu’il fournit, et apporte nombre d’informations sur les événements récents survenus dans l’île.
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Il y a exactement une semaine, la classe ouvrière s’est soulevée de manière spontanée dans tout Cuba, défiant un pouvoir qui se prétend « communiste ». Cet événement est d’une extrême importance. Il n’a pas été mené par la dissidence reconnue internationalement ou par une puissance étrangère, comme le prétend le gouvernement. Que cela plaise ou non aux observateurs retranchés dans leurs positions idéologiques, quels qu’ils soient, ce qui s’est passé s’est passé et marque une étape importante dans la renaissance du mouvement social à Cuba. Il faut, bien sûr, nous attarder sur ces faits et essayer de les comprendre en regardant la réalité matérielle que vivent les travailleurs de ce pays.
Le contexte
L’explosion sociale qui a débuté dimanche 11 juillet a été à la fois une surprise sans en être une. D’une part, les protestations – même à petite échelle – ont été rares depuis la Révolution, même si les raisons n’ont jamais manqué, dans un pays qui pouvait s’enorgueillir d’un haut niveau de lutte, dans son histoire, contre les dictatures et les gouvernements corrompus de toutes sortes. D’autre part, nous savions tous qu’il était très probable qu’un jour, quelque part dans l’archipel, une mobilisation de grande ampleur se déclenche. Cela devenait de plus en plus probable avec les mauvais traitements gouvernementaux persistants, la situation économique et le fait que Obama ait mis fin à l’ouverture envers l’émigration cubaine. Il a supprimé ainsi la soupape de sécurité qui maintenait la société dans un calme tendu.
Mais cette situation était de moins en moins calme et de plus en plus tendue, surtout ces derniers mois. La manifestation des artistes du 27 novembre 2020 a été l’un des signes précurseurs de l’explosion à venir. Ce ne fut pas seulement un nouveau symptôme de l’autoritarisme du gouvernement, mais aussi un nouveau signe que le Cubain n’allait plus se laisser marcher dessus. Ce qui fut une honte pour nous tous, le fait de ne rien faire alors que la situation appelait à l’action, comme l’avaient fait les générations précédentes, allait laisser place aux mobilisations.
Les causes immédiates
Les causes du 11 juillet sont multiples et méritent leur propre espace pour être discutées en détail. Pour l’instant, nous nous limiterons aux racines les plus immédiates :
* Le durcissement de l’embargo par l’administration Trump ;
* La baisse des principales sources de revenus du pays (envois de fonds des familles vivant aux États-Unis, le tourisme et les services médicaux à l’étranger) ;
* La réduction des approvisionnements en pétrole du Venezuela ;
* La forte inflation accompagnant l’unification monétaire ;
* Les pénuries de nourriture, de médicaments et autres produits de base ;
* La situation sanitaire générée par le Covid, dont l’impact se concentre principalement dans la province de Matanzas ;
Pour mieux comprendre la situation, examinons brièvement chacun de ces éléments clés.
Le blocus est un thème d’importance dans la discussion sur la situation cubaine. Pour les partisans du gouvernement cubain, elle est la cause de tous les maux d’un pays qui, sans cet obstacle, aurait été comme le retour du paradis sur terre. Le gouvernement lui-même n’a cessé de le dénoncer au cours de la semaine précédente. D’un autre côté, une grande partie de l’opposition ignore ce thème, le minimise ou, dans certains cas, la soutient. Dans ce dernier cas, la mesure est présentée comme nécessaire pour renverser l’État et « libérer » le peuple, sans même tenir compte de son évidente inefficacité après tant de décennies et surtout de son impact néfaste sur la population qu’elle est censée sauver.
Cependant, si l’on met de côté la propagande et les intérêts des uns et des autres, le rôle joué par le blocus apparaît clairement. Son imposition n’est aucunement une stupidité et répond à un plan clair de certaines couches des élites nord-américaines. Il s’agit de faire tomber un gouvernement ennemi en serrant la gorge de sa population, et cela sciemment. Lorsque Biden a proposé, le 14 juillet, de voir comment rétablir l’internet sur l’île et a même proposé des vaccins, il ne s’agissait de rien d’autre qu’une tentative d’attirer le soutien électoral des communautés cubaine et vénézuélienne de Floride pour les prochaines élections dans cet État. C’est équivaut à donner un pansement à un blessé que vous avez vous-même frappé. La chose la plus simple et la plus efficace est de simplement lever le blocus et d’arrêter d’être aussi cynique !
La situation actuelle du blocus est héritée de l’ère Trump. Les mesures furent intensifiées par ce dernier. Celles de la loi Helms-Burton, qui permettent de poursuivre les entreprises étrangères travaillant avec des actifs nationalisés par l’État cubain après le triomphe de la Révolution, furent intensifiées, l’envoi de fonds des Cubains vivant aux États-Unis à leurs familles à Cuba fut restreint [1] et des obstacles aux visites des touristes américains et cubano-américains furent ajoutés, entre autres.
Cette situation a directement contribué à la chute des sources de revenus provenant des envois de fonds et du tourisme, avant même l’arrivée du Covid. L’effet de la pandémie a bien sûr aggravé la situation. A cela s’ajoute la baisse des revenus provenant des services médicaux à l’étranger. Le gouvernement cubain envoie des médecins dans différentes parties du monde, ce qui constitue un autre grosse source de revenus. Toutefois, l’arrivée au pouvoir de gouvernements de droite/extrême droite en Bolivie et au Brésil a eu un impact négatif à ce niveau également.
La situation en Amérique latine a également eu un fort impact sur Cuba avec la crise au Venezuela. L’instabilité dans ce pays a fortement limité l’approvisionnement en pétrole. Si l’on ajoute à cela les avaries du système électrique de l’île, la situation a atteint un point extrême, provoquant de nombreuses coupures de courant.
Ces avaries sont des symptômes des problèmes internes à Cuba. Tout ne peut pas être imputé à la situation extérieure. La principale cause directe de l’explosion sociale est l’inflation générée par l’unification monétaire. En pleine pandémie, alors que les revenus baissaient et avec une situation économique critique (le PIB a augmenté de 0,5% en 2019 avant de chuter à –11,0% en 2020), mettre en œuvre cette réforme impliquait d’accepter le pic d’inflation. Le manque de dynamisme économique dû aux bas salaires et au contrôle omniprésent de l’État [2] limitent l’offre face à une demande qui reste stable ou qui ne peut qu’augmenter si l’on veut améliorer le niveau de vie.
En effet, la vie quotidienne à Cuba se caractérise aujourd’hui par un niveau élevé de pénurie de nourriture, de médicaments et d’autres produits de base. Les files d’attente se sont multipliées et se sont allongées dans tout le pays. Ce n’est plus seulement une question de prix : même si vous pouviez vous le permettre, il n’y a tout simplement pas assez de produits. Un symptôme clair de cette situation est le fait que Cuba prépare plusieurs vaccins contre le Covid mais manque de seringues pour les administrer à toute la population.
Parallèlement à tout cela, la situation sanitaire a récemment empiré. Alors qu’elle était jusqu’à récemment sous contrôle, maintenant les infections et les décès à un niveau relativement limité par rapport à d’autres pays, les cas ont grimpé en flèche pour atteindre le nombre de 6000 par jour. La province la plus touchée est celle de Matanzas, comme nous l’avons dit, ce qui met son système hospitalier sous haute tension. La BBC a rapporté, le 11 juillet, des conversations qu’elle a eues avec des habitants de l’île expliquant que leurs proches mouraient chez eux sans pouvoir bénéficier d’une assistance médicale.
Compte tenu de toutes ces circonstances, certains commentateurs ont qualifié la situation de « parfaite tempête ». Tous les facteurs étaient réunis pour l’explosion. Face à cela, dans les jours qui ont précédé le 11 juillet, de nombreuses voix à l’intérieur et à l’extérieur de Cuba ont appelé le gouvernement à lever les restrictions sur l’envoi de médicaments vers l’île. Les messages portant les hashtags #SOSCUBA et #SOSMATANZAS sont devenus viraux et, dans certains pays, les migrants ont commencé à collecter de l’aide.
À tout cela, le gouvernement a répondu avec arrogance, ignorant la situation réelle et refusant de faciliter les procédures. En quelques jours, ils allaient devoir changer d’attitude…
Les faits
Le 11 juillet a marqué un avant et un après à Cuba. Malgré le manque d’informations, dû entre autres aux coupures d’internet dans le pays, il est important de faire, pour le moins, une brève liste chronologique qui permet de mieux comprendre ce qui s’est passé :
Dimanche 11 juillet : tout a commencé par une manifestation spontanée à San Antonio de los Baños en fin de matinée. Une grande foule a traversé la ville, prenant tout le monde par surprise, y compris les manifestants eux-mêmes. Ils ont filmé la mobilisation et l’ont diffusée en direct sur internet, ce qui a eu une grande répercussion bien au-delà de la ville.
Les réseaux sociaux se sont rapidement fait l’écho de mobilisations de plus en plus nombreuses partout sur l’île. Des commentaires, des vidéos et des photos sont arrivées d’est en ouest : Palma Soriano, Santiago de Cuba, Camagüey, Matanzas, Cárdenas, Bauta, Güira de Melena, Güines, Alquízar, San José de las Lajas, La Havane (près du Capitole, sur le Malecón, les quartiers de Regla, Vedado, etc.), Pinar del Río, etc.
Une quarantaine de localités ont été le théâtre de manifestations, selon la plupart des articles publiés sur le sujet. Il s’agissait de loin de la plus grande mobilisation de protestation depuis 1959, bien plus importante que le Maleconazo* de 1994, qui s’était limité à la capitale.
Lors des manifestations, les slogans suivants ont été entendus : « A bas la dictature », « Qu’ils s’en aillent ! Qu’ils s’en aillent ! », « La patrie et la vie » et « Diaz-Canel enculé ».
Au début, ni répression ni violence n’ont été rapportées de part et d’autre. On voyait qu’un grand mécontentement qui avait été tu, caché pendant longtemps, se libérait. Les manifestants criaient également « nous n’avons pas peur » et, en effet, cette peur s’est volatilisée ce jour-là lorsqu’ils ont réalisé qu’ils n’étaient plus seuls face à la machine répressive de l’État. Cette fois, ils étaient des milliers de personnes descendues dans la rue et la peur a changé de camp. Cependant, au fil de la journée, des images sont apparues montrant la police et les troupes spéciales envoyées pour en finir avec les protestations. On pouvait voir les premiers coups de matraque et les premières arrestations. La surprise initiale des autorités a été suivie immédiatement après d’une violente répression. Des informations, difficiles à confirmer, faisaient également état de tirs et de décès de manifestants, notamment à Camagüey.
Dans certains cas, les manifestants répondirent en jetant sur la police tout ce qu’ils trouvaient, et parfois même la police a dû fuir. Certaines voitures de police ont même été renversées.
Il y a également eu des vidéos de pillages de magasins en MLC (monnaie librement convertible, c’est-à-dire une monnaie forte au pouvoir d’achat bien supérieur au peso cubain) à Güines et dans d’autres endroits. Ces magasins, uniquement accessibles à ceux qui en ont les moyens, sont un symbole de l’inégalité qui existe dans le pays, car leurs prix ne sont pas en phase avec ce que gagne la classe ouvrière. Comme dans d’autres régions du monde et à d’autres moments de l’histoire quand il y a des soulèvements, de telles actions sont fréquentes, surtout dans une situation de pénurie généralisée. Bien cynique est celui qui les juge du haut de son trône, au lieu de s’intéresser à leurs causes.
Dès le premier jour, plusieurs messages sont apparus pour dénoncer les coupures des réseaux de téléphonie mobile et d’internet. Celles-ci, avec la répression, constituaient la face cachée de la réaction gouvernementale. Devant les caméras officielles, cependant, la pièce s’est jouée en deux actes.
Tout d’abord, Díaz-Canel est apparu en personne à San Antonio de los Baños, tentant peut-être de réitérer l’intervention de Fidel Castro lors du Maleconazo de La Havane il y a vingt-sept ans. Selon la presse officielle, la population l’a accueilli et a défilé avec lui pour rejeter les « provocations » survenues quelques heures plus tôt.
Ensuite, Díaz-Canel a fait des déclarations devant les caméras de télévision depuis le Palais de la Révolution. Lors de son intervention, sans faire aucune référence à la répression déjà active, le président a dénoncé des événements promus par la « contre-révolution » et les a liés à la stratégie américaine visant à renverser le gouvernement. De plus, il a également appelé les « révolutionnaires » à descendre dans la rue pour affronter les manifestants, ajoutant ainsi de l’huile sur le feu. « L’ordre de combat est donné », a-t-il ajouté.
Lundi 12 juillet : Après un dimanche intense, Cuba s’est réveillé lundi en étant largement déconnecté du reste du monde. Les coupures d’internet étaient généralisées et les réseaux sociaux et les applications de messagerie étaient hors service. Très peu d’informations sur les manifestations sont divulguées. Au moins une nouvelle manifestation est signalée à Bauta.
Le gouvernement a reconnu la mort d’un manifestant à Arroyo Naranjo, lors d’une manifestation devant un poste de police dans un quartier ouvrier de la banlieue de la capitale. Ce décès, le seul admis par les autorités, est sans nul doute une preuve de la répression violente qui s’est abattue sur les manifestants.
Par manque de communication, le principal sujet sur les réseaux va porter principalement sur le grand nombre de personnes arrêtées (avec diverses estimations, impossibles à confirmer), de personnes disparues, de blessés, et sur la répression gouvernementale. En particulier, on fit état de dizaines de parents qui se rendaient dans des postes de police pour s’enquérir du sort de leurs proches, dont ils ignoraient en quel endroit ils se trouvaient depuis les manifestations de la veille.
On annonçait également la libération de plusieurs manifestants qui s’étaient rassemblés le dimanche devant l’Institut cubain de radio et de télévision (ICRT), dans le quartier du Vedado de la capitale. Plusieurs jeunes se sont à nouveau réunis au même endroit et ont été harcelés par un rassemblement de répudiation et quelques-uns ont été arrêtés.
M. Díaz-Canel a nié qu’il y ait eu répression contre les manifestants, qualifiés par lui de « mercenaires à la solde des États-Unis ». Il a une nouvelle fois accusé le gouvernement de ce pays d’être à l’origine des rassemblements de la veille. Pour sa part, Biden lui a demandé d’« écouter son peuple ». L’UE a adopté la même position diplomatique.
Mardi 13 juillet : Les réseaux sociaux et les messageries étaient toujours coupés mardi. Très peu d’informations sont sorties sur ce qui se passait dans le pays. On restait dans l’ignorance quant au nombre de détenus, de blessés, de morts potentiels et aussi de disparitions de personnes. La youtubeuse Dina Stars fut arrêtée en direct tandis qu’elle répondait à un entretien avec la télévision espagnole, devant les yeux effarés d’une journaliste de ce pays. Nous verrons comment le gouvernement parvient à justifier cette agression. Nous soupçonnons que le mot habituel « mercenaire » sera utilisé.
Le quotidien officialiste Granma a rapporté la participation de Raúl Castro à une réunion du bureau politique sur la question des manifestations. On n’en a pas dit beaucoup plus.
Ce qui a été discuté, en revanche, c’est le fait que le gouvernement cubain a temporairement (jusqu’à la fin de l’année) levé les restrictions sur les « importations », par des personnes physiques, de nourriture, de médicaments et de produits de toilette, et que ceux-ci ne seraient pas soumis à des droits de douane. Quelques jours avant l’explosion sociale, les autorités avaient refusé de prendre cette mesure malgré la grave crise à laquelle est confrontée la société cubaine. Dès lors, quelques jours seulement après la mobilisation populaire, cela va être la première concession du gouvernement.
Par ailleurs, ils ont également annoncé qu’ils voulaient éliminer l’usage obligatoire de la grille des salaires dans les entreprises d’État. Bien que cela ait été vendu comme une promesse d’augmentation salariale, il s’agit en réalité d’un piège pour les travailleurs du secteur public, comme nous le verrons plus tard. Cette attaque, qui sent le libéralisme à plein nez, est cohérente avec le paquet de mesures que le gouvernement tente d’imposer avec sa « tâche de remise en ordre ».
Le 16 juillet, ces deux décisions et une troisième seront détaillées dans l’émission de télévision « La Table ronde ». Nous les examinerons de plus près dans la suite de cet article.
Entre-temps, le gouvernement américain a déclaré qu’il n’accueillerait pas de migrants. Comme expliqué ci-dessus, il s’agit d’un facteur clé qui différencie la situation actuelle des périodes précédentes, car l’immigration, encouragée par les administrations américaines, a en fait permis au gouvernement de se débarrasser du mécontentement social en l’exportant à 90 miles de là. Et cela n’est plus possible.
Toujours aux Etats-Unis, plus précisément à Miami, des Cubano-Américains ont bloqué une autoroute en soutien aux mobilisations à Cuba. Des manifestations de solidarité ont également été organisées dans de nombreuses villes en dehors de l’île.
C’est ainsi que la semaine a commencé à Cuba après les manifestations du 11 juillet. La connexion normale aux réseaux sociaux a été rétablie le 15 juillet. Les informations manquent toujours, notamment sur le nombre de détenus, de blessés, de morts et de disparus. Le 16, Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a appelé les autorités à libérer d’urgence les prisonniers et à lever les sanctions contre l’île. Les gouvernements cubain et américain ont ignoré cet appel.
Le même jour, des détails supplémentaires sur les mesures prises par le gouvernement en réponse aux protestations ont été fournis à la télévision, dans une tentative de calmer la situation au-delà de la vague répressive.
Les mesures prises par le gouvernement
Si la répression a été excessive et violente, ce n’est pas le seul moyen par lequel le gouvernement a tenté de rétablir le calme et la soumission populaire. Les autorités ont été contraintes d’annoncer trois mesures dans le créneau habituel de « La Table ronde » télévisée. Comme nous le verrons, le cynisme n’a pas manqué ici non plus.
Levée temporaire des mesures barrières aux « importations » de denrées alimentaires, de médicaments et d’articles de toilette.
Tout Cubain qui voyage sait ce que signifient les contrôles douaniers à son arrivée dans le pays. Tout est fait pour dépouiller le voyageur cubain des biens qu’il apporte à sa famille et/ou les innombrables règles restreignant ces pseudo-« importations » sont inconnues du public et souvent même des fonctionnaires de la douane eux-mêmes.
Selon les déclarations du gouvernement au cours du programme, jusqu’à présent des droits de douane étaient imposés aux « importations » faites par des voyageurs, des personnes physiques, ou aux colis, à partir de 10 kg de marchandises. Cette mesure absurde a perduré pendant toute cette période de crise d’approvisionnement, limitant l’aide apportée par les proches de l’étranger. Comme indiqué auparavant, c’était l’une des demandes formulées avant le 11 juillet et rejetées par le gouvernement dans son arrogance souveraine. Aujourd’hui, cette attitude a cessé d’être une option.
La mesure lève donc cette restriction, permettant à ces « importations » d’avoir lieu sans limitation de poids et sans être taxées. Toutefois, elle est de nature temporaire (valable du 19 juillet au 31 décembre 2021) et ne sera pas applicable aux aéroports de Varadero et Cayo Coco.
Cette mesure prend tout son sens au vu de la situation actuelle et, bien entendu, n’a rien à voir avec des « manœuvres yankees ». Il est dommage que les gens aient dû manifester et être réprimés pour que le gouvernement lève, même temporairement, une mesure aussi ridicule. Cela ne sert qu’à maintenir le contrôle de l’État sur tout ce qui se passe dans la sphère cubaine, y compris la solidarité familiale. Lorsqu’on dénonce à raison l’embargo, on ne peut laisser de côté le « blocus interne » imposé par l’État cubain lui-même avec de semblables règles.
Délivrance exceptionnelle de carnets de ravitaillement à des personnes qui ne remplissent pas les conditions requises.
Pour le lecteur qui méconnaît Cuba, cette situation peut sembler quelque peu étrange. Tout d’abord, pour faire face aux pénuries structurelles, un carnet d’approvisionnement a été mis en place dans le pays depuis très longtemps. Cette mesure, que l’État veut supprimer « progressivement » dans son « perfectionnement de l’économie socialiste », permet aux plus démunis de disposer d’un panier de produits de base pour vivre. Toutefois, il convient de noter que l’offre est insuffisante et qu’il est nécessaire de chercher d’autres moyens de survivre.
Deuxièmement, des règles toujours en vigueur limitent la mobilité des habitants entre les provinces du pays. L’objectif est de limiter les migrations internes vers La Havane, où le niveau de vie est meilleur que dans les autres régions. Cependant, de nombreuses personnes [3] ont réussi à s’installer dans la capitale alors qu’elles ne disposaient pas de l’autorisation requise, et n’ont donc pas droit légalement à ce carnet. Vu leurs conditions de vie, ces personnes en ont généralement davantage besoin que les autres. Le gouvernement estime les bénéficiaires de cette mesure à 200000 citoyens.
Ici, il est également clair que 1. le gouvernement savait exactement quelles étaient les conditions de vie de ces personnes et que 2. l’explosion sociale n’était pas une révolte « manipulée par l’impérialisme », mais une protestation à grande échelle de la classe ouvrière du pays, en particulier de ses couches les plus pauvres.
Une fois de plus, il faut souligner le fait qu’il ait fallu tant de protestations et tant de dégâts pour un peu de justice sociale. Il est également regrettable que cette mesure, si indispensable, ne soit que temporaire et applicable jusqu’à la fin de l’année.
Flexibilisation de la détermination des salaires dans le secteur public.
Vendu comme une mesure formidable pour les travailleurs, en disant implicitement que cela générerait des augmentations de salaire, le gouvernement vient de prendre une décision contre laquelle les syndicats d’autres pays se battent : la flexibilisation des salaires. Au lieu d’augmenter les salaires et de les définir collectivement pour tous les travailleurs à travers des conventions, les autorités, en pleine cohérence avec les mesures néolibérales de leur « tâche de remise en ordre », veulent lier les paiements aux résultats des entreprises. Si les profits augmentent, on pourra augmenter le salaire, à condition bien sûr que l’extraction de la plus-value soit maintenue à un niveau décent. Si les bénéfices chutent ou si les entreprises font faillite, ce qui ne manquera pas d’arriver vu la situation économique précaire, il n’y a pas de réponse. Il a simplement été rappelé que le salaire minimum est de 2100 pesos par mois (environ 87 dollars US), mais cela aide peu si le travailleur est sans emploi.
Le gouvernement peut prendre librement une telle mesure, une anticipation de son programme économique pour Cuba, sans négocier avec les travailleurs ou les syndicats puisqu’ils n’existent pas de manière indépendante. La centrale officielle est une émanation de l’État, exclusivement intéressée par l’augmentation de la productivité de la classe ouvrière et non par son niveau de vie, comme elle l’a démontré à maintes reprises, notamment lorsqu’elle s’est chargée d’informer des futurs licenciements d’un million de travailleurs du secteur public (20 % de la force de travail du pays).
Il est intéressant de noter que, contrairement aux deux autres mesures, celle-ci n’est pas limitée dans le temps. Au contraire, elle sera progressivement mise en œuvre dans l’ensemble du secteur. Il s’agit d’un autre signe clé des futures attaques contre les travailleurs de l’État cubain et il sera utile de continuer à le dénoncer à l’avenir et à s’organiser.
Perspectives
Comme nous l’avons vu, la situation est pleine de risques pour la classe ouvrière à Cuba. L’enthousiasme déclenché par le soulèvement du 11-Juillet, rapidement atténué par la répression, ne peut nous faire oublier les ombres qui approchent.
Tout d’abord, le gouvernement a montré sa volonté de s’accrocher aux rênes du pouvoir et de réprimer férocement toute révolte populaire. Il est prêt à dresser les Cubains les uns contre les autres et à n’accorder que des miettes temporaires pour acheter le calme. En outre, il prévoit de s’attaquer aux conditions des travailleurs afin de faciliter leur exploitation pour l’élite économique dans le pays et à l’étranger. Là est la clé de la « tâche de remise en ordre » et les premiers pas vers cet objectif ont déjà été faits.
Cela donnera un nouvel élan aux mobilisations populaires et beaucoup voudront en prendre le leadership pour leurs propres intérêts. Nous parlons ici de puissances extérieures comme les États-Unis ou de généraux sans armée qui veulent être à la tête de toute force qui puisse les amener au pouvoir. S’ils y parviennent, les travailleurs auront perdu. Ils doivent s’organiser, réétudier l’histoire du mouvement ouvrier, tant cubain qu’international, reconstruire leurs structures autogérées et imposer leurs intérêts : renverser une dictature et la remplacer par des libertés politiques ; renverser le capitalisme qui exploite et établir un socialisme réel et démocratique.
espartaco
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(1) A Cuba, on dit que pour survivre il faut avoir la FE (la foi) : des parents à l’étranger qui envoient de l’argent. [Jeu de mots : la « foi » en espagnol se dit « fe », et les lettes F et E sont aussi les initiales de Familles à l’Extérieur.]
(2) Le contrôle de l’État n’est pas la même chose que le « communisme ». Il existe également dans tous les pays capitalistes, avec des niveaux d’intensité différents. Le « contrôle omniprésent » dénoncé dans ce paragraphe n’est pas celui du nécessaire contrôle public de l’économie – cela, oui, serait le « communisme » –, comme le montre l’échec du néolibéralisme, même dans les pays les plus riches, mais celui du contrôle arbitraire exercé par un sommet sans aucun processus démocratique impliquant la classe ouvrière. C’est là un sujet important, mais qui mérite un autre article.
(3) A Cuba, ils sont surnommés « Palestiniens » car ils n’ont pas les mêmes droits que les autres citoyens de leur pays, ils sont un peuple sans terre.
* Le Maleconazo désigne la grande manifestation du 5 août 1994 contre le régime castriste, ainsi appelée car elle eut lieu sur le Malecón, le long boulevard de bord de mer à La Havane.
Traduction : Floréal Melgar.
[…] Traduit par Floréal Melgar. Un grand merci! […]