Le texte ci-dessous, que l’on doit à Yoani Sánchez, opposante de longue date au régime dictatorial cubain, a été publié sur le site d’opposition en langue espagnole « 14yMedio ». Il me semble parfaitement refléter la situation actuelle et l’espoir d’un changement né ce dimanche 11 juillet à Cuba.
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Dans la file d’attente personne ne parle. Une femme regarde le bout de sa chaussure et un jeune homme tambourine avec ses doigts sur le mur. Quelques jours se sont écoulés depuis que les Cubains sont descendus dans la rue dans une manifestation sans précédent au cours des 62 dernières années et l’indignation envahit chaque espace. Au fur et à mesure que sortent les images de brutalité policière, les témoignages de mères dont les enfants ont disparu depuis ce dimanche, et les vidéos des villes militarisées, l’irritation populaire grandit.
Ceux qui ne connaissaient pas l’île avant cette date historique pourraient dire que les autorités ont réussi à contrôler la situation et que le calme règne à nouveau dans les rues cubaines. Mais, en réalité, ce calme apparent n’est que peur, colère et douleur. À La Havane, la tension est perceptible dans l’air et partout on voit des policiers, des militaires et des civils pro-gouvernementaux avec des matraques de fortune à la main. À l’intérieur des maisons, le mal-être grandit et les larmes coulent. Peu ont retrouvé une nuit complète de sommeil.
Des milliers de familles cherchent un proche dans les postes de police, tandis que d’autres attendent que des agents en uniforme frappent à leur porte pour emmener un proche soupçonné d’avoir participé aux manifestations. Quelques nouveaux foyers d’agitation éclatent dans différentes parties du pays et sont noyés sous les coups et les tirs des troupes spéciales, les redoutables « guêpes noires ». De nombreux journalistes indépendants ont été arrêtés, d’autres sont assignés à résidence et l’accès à Internet a été censuré à plusieurs reprises depuis le début de la première manifestation populaire.
Le peuple que les autorités présentaient comme entièrement loyal au système, docile et pacifique, n’existe plus. À sa place se trouve un pays plein de cris, certains très forts, d’autres étouffés, dont il est impossible de dire exactement quand ils éclateront. Le véritable Cuba s’est encore plus éloigné de la nation qui apparaît dans la presse officielle. Alors que la première a le sentiment d’avoir retrouvé une voix civique, d’avoir massivement testé sa force dans les rues et d’avoir goûté au mot « liberté » à haute voix, les gros titres contrôlés par la presse offielle parlent de conspirations fomentées à l’extérieur, de groupuscules qui manifestent et de criminels qui vandalisent les boutiques. Les deux récits s’excluent mutuellement et ne pourront pas coexister très longtemps.
Miguel Díaz-Canel a tenté de nuancer les premiers mots qu’il a prononcés ce dimanche où, pratiquement toutes les heures, on apprenait la naissance d’un nouveau foyer de protestation. « L’ordre de combat a été donné » et « nous sommes prêts à tout », avait-il alors menacé, et le spectre de la guerre civile planait sur l’archipel. Aujourd’hui, sans se rétracter, il lance des concepts tels que « harmonie », « paix » et « joie », mais ne parvient pas à convaincre car, parallèlement à ces phrases sirupeuses, des centaines de véhicules à travers le pays continuent de faire débarquer les troupes de choc sur les places et dans les quartiers.
Jusqu’à présent, le seul assouplissement annoncé, dans le but d’apaiser les protestations, a été de supprimer la limite imposée aux voyageurs qui apportent des médicaments, de la nourriture et des produits de toilette sur l’île. Mais cette mesure intervient tardivement, après des années de revendications, et a été perçue comme une miette face aux fortes aspirations sociales demandant que le système soit démantelé, que ses principales figures démissionnent et qu’une transition vers la démocratie soit entamée le plus rapidement possible. « La liberté ne tient pas dans une valise », clament nombre de personnes sur les réseaux sociaux, tout comme un bouclier policier ne peut arrêter la rébellion. « Nous avions tellement faim que nous avons mangé notre peur », lit-on également partout. Mais maintenant nous sommes tellement en colère que ce sont eux qui nous craignent, et cela se voit.
Yoani Sánchez
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Source : https://www.14ymedio.com/
Traduction : Floréal Melgar.
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