Fête au village
Toute haute conscience dans leur temps,
Ils la blasphémeront
Qui viendra détruire leur prison,
Ils le mettront en prison
Qui viendra vers eux avec un don,
Ils le fusilleront
Les maires organiseront de grandes fêtes
Pour la mise à mort des poètes
Avec des récompenses de deux cent mille francs
Pour les lettrés obéissants
Puis on donnera bal : des éluards, des aragons
Sur les cadavres des poètes sonneront de l’accordéon
Ils ne peuvent pas ne pas le faire ;
Ils ne peuvent, tels qu’ils sont, éviter cette affaire
Je ne prédis rien
C’est en train
Armand Robin (1945)
« En chantre de l’épuration littéraire, Aragon présidait aux destinées du Comité national des écrivains, sans l’aval duquel les portes des rédactions et des éditeurs demeuraient hermétiquement closes », écrit Gilles Fortin, évoquant l’époque de la Libération, dans un numéro de la revue A contretemps* consacré au poète libertaire Armand Robin, ami de Georges Brassens et cible du très stalinien commissaire politique des lettres françaises.
_________
C’est, semble-t-il, à la demande expresse d’Aragon et, semble-t-il encore, vivement encouragé par Elsa Triolet qui vouait à Armand Robin une haine tenace depuis ses traductions de Maïakovski, que son nom fut annexé – deux mois après tous les autres et sur un addenda où il figurait seul – à la liste noire établie par le Comité national des écrivains (CNE), pour jeter l’opprobre sur les écrivains collaborateurs. En ces temps de construction du mythe « résistancialiste », ce geste valait excommunication. Pourtant, l’acharnement d’Aragon à l’égard de Robin suscita quelques critiques au sein même du CNE, particulièrement de la part d’Eluard, qui lui fit personnellement connaître son opposition à cette inscription. Refusant d’entrer dans une stratégie de défense, que lui conseillèrent certains de ses amis, sûrs qu’ils étaient en mesure d’apporter suffisamment de témoignages pour laver l’affront, Robin s’efforça d’aggraver son cas en réitérant, à diverses reprises, son désir de demeurer couché sur cette liste d’infamie, et sur toutes les listes du même type à venir**.
Messieurs les officiels commis à la poésie,
Ayant appris par Le Littéraire l’existence surprenante de votre Comité d’Epuration pour les Lettres, je viens vous demander de prendre une sanction contre moi.
Je vous la demande au nom de l’antifascisme absolu et des idées réellement d’extrême gauche ; vous n’êtes pas sans savoir que telle fut, telle est, telle restera mon attitude ; or une telle attitude, Messieurs, est indésirable et doit être honnie de quiconque tient à l’honneur et surtout au calme de nos Lettres françaises.
Les poétereaux bourgeois autorisés par l’Etat vous ont montré la voie. Ils m’ont banni de leur compagnie, que je fuyais ; ils m’ont exclu du monde de la vanité et des intérêts, ce que justement je cherchais ; ils m’ont désigné au mépris et aux railleries de ceux qui se mettent du côté des puissants, ce que justement je désirais. Ils ont eu raison : venant des travailleurs et m’obstinant, malgré les réactionnaires « communistes », à vivre parmi les travailleurs, refusant de faire le beau dans les salons, les cafés littéraires, les antichambres où il est de bon ton qu’un écrivain soit lâche, j’ai osé, scandale des scandales, être poète ! Où irions-nous, proclament par toute la ville les littérateurs à gages dits « poètes engagés », si paraissait en ces temps de famine, de massacres et de terreurs absurdes, un poète qui tient à parler pour toutes les victimes ?
J’espère, Messieurs, que je n’aurai pas besoin d’insister longuement auprès de vous pour m’assurer l’honneur de vos foudres. Vos foudres manquent encore à ma collection de foudres. J’ai lu la liste de vos premières victimes, reproduite par la presse docile dite « presse de la Résistance ». Il s’agit de littérateurs pour qui mon cœur n’avait jamais battu et qui certainement me détestaient ; vous avouerai-je que maintenant je me sens du penchant pour eux ? J’ai l’esprit si malencontreusement formé que je préfère les persécutés à leurs persécuteurs ; même vous, si un jour vous étiez persécutés, avec quelle joie je vous estimerais !
Oserai-je ajouter que j’ai longuement cherché en quoi, moralement et intellectuellement, vous différiez de ceux que vous frappiez ; je n’ai trouvé que ceci : vous avez moins de talent qu’eux, mais vous avez l’avantage d’oser leur faire ce que jamais ils ne vous auraient fait. La littérature française, grâce à vous et à vos semblables, prend un chemin fort étrange qui ne passe guère par le Paris de ces indésirables que furent, par exemple, Rimbaud et Verlaine.
Il est à prévoir que d’autres variétés de méchants poètes, s’appuyant sur les tyrans du jour, établiront d’autres listes de proscription ; tout en maudissant ce curieux siècle, je prends pour toute ma vie la seule décision qui soit en harmonie avec lui : je me porte candidat d’avance pour toutes les listes noires.
Une liste noire où je ne serais pas m’offenserait.
Armand Robin, Le Libertaire, 29 novembre 1946
* A contretemps, « Armand Robin, 1912-1961 », n°30, avril 2008.
** Cette présentation du texte d’Armand Robin est elle-même empruntée à ce numéro d’A contretemps.
Je ne connaissais pas ce texte. Armand Robin que j’avais découvert par l’intermédiaire d’un ami auvergnat, Marcel Laurent, qui a écrit un livre sur lui : Armand Robin et la poésie poignante. C’est tout ce que j’ai lu sur lui et de lui, et cet article me donne envie d’en savoir plus sur ces pratiques de liste noire, et sur l’oeuvre d’Armand Robin.
[…] Demande officielle pour obtenir d’être sur toutes les listes noires […]
Ce petit poème d’Armand Robin, extrait de « Le monde d’une voix ».
Il
Ne dit pas de mal des gens,
Il
Ne pense pas de mal des gens ;
Il
Quand il a affaire aux gens,
Va trouver les gens
Directement.
Il
est
Il.
Souvent
Il se sent
Seul
Il.