« … nous pensons qu’au sein du discours médiatique dominant, journalistique et politique, certains « philosophes », « dessinateurs » et « écrivains » surmédiatisés, comme Michel Onfray, Caroline Fourest ou l’équipe de Charlie Hebdo, participent de cette islamophobie ambiante et de sa propagation… »
La phrase ci-dessus figure dans un « Appel des libertaires à lutter contre l’islamophobie », lancé en septembre 2012, donc à une époque où Caroline Fourest et l’équipe de Charlie Hebdo faisaient déjà l’objet de menaces de la part de certains fanatiques religieux musulmans. Si j’étais l’un des initiateurs de cet appel ou l’un de ceux qui y ont répondu favorablement, je serais aujourd’hui un peu gêné aux entournures, comme on dit. Certes, les auteurs de cette phrase d’une rare stupidité n’ont évidemment pas souhaité la disparition brutale des rédacteurs et dessinateurs de l’hebdomadaire satirique en question, mais quand on sait des personnes menacées de mort pour ce qu’elles disent, écrivent ou dessinent, il me semble qu’une pincée d’éthique élémentaire, quoi qu’on pense de ces personnes, commande de ne pas en rajouter une couche dans des accusations que partageaient déjà, à l’époque, leurs futurs assassins.
Je ne vais pas répondre ici point par point, et surtout tardivement, à cet « Appel » affligeant. Je préfère vous proposer la lecture d’un texte* dont je partage les formulations et que l’on doit à Yves Coleman, l’infatigable éditeur de la revue « Ni patrie ni frontières » et créateur du site mondialisme.org qui figure d’ailleurs, sur ce blog, parmi les liens amis.
Je voudrais néanmoins souligner à quel point il est cocasse de trouver dans cet « Appel » une dénonciation de la « gauche bien-pensante » au sujet de l’« islamophobie », quand le propos de nos « libertaires » est dans l’ensemble très semblable à celui que tiennent tous les représentants les plus en vue de cette gauche-là, qu’on voit et entend précisément beaucoup ces temps derniers. On s’amusera aussi de constater à quel point des militants souhaitant faire table rase du passé, comme dit la chanson, se mettent à vénérer la « culture » et les « traditions », comme si celles-ci étaient, par nature, respectables.
Au panthéon de la bêtise militante, cet « Appel » méritera d’occuper longtemps une place de choix. Notamment pour ce qui a trait, chez ces adeptes supposés du « Ni Dieu ni maître », à la religion, sur laquelle il porte un étonnant regard bienveillant pour peu qu’elle concerne évidemment les seuls musulmans. S’ils constatent qu’il existe tout de même des camarades libertaires non islamophobes (entendez par là non racistes, les deux termes étant confondus de manière très perverse), c’est aussitôt pour regretter que leur condamnation trop molle de l’« islamophobie » soit hélas « couplée de moult rappels du combat primordial contre l’aliénation religieuse » (sic). Dans le même ordre d’idée, on notera avec intérêt la stupéfiante et très éclairante dénonciation d’une « sorte d’injonction à l’athéisme, condition sine qua non pour prendre part à la guerre sociale et militer dans une organisation libertaire » (re-sic). Ça n’est pas dit, bien sûr, mais là encore ce regret de ne pas voir tolérer la foi religieuse au sein des organisations libertaires ne vaut bien sûr que pour la religion des jeunes gens issus de l’immigration maghrébine qui, c’est bien connu, adhéreraient en masse auxdites organisations si cette « injonction à l’athéisme » n’existait pas. On imagine en effet aisément ce qu’endurerait un militant ouvertement catholique au sein de la Fédération anarchiste ou d’Alternative libertaire. Oui, mais voilà, si la jeunesse chrétienne n’offre évidemment aucun intérêt aux yeux de nos révolutionnaires nouvellement déifiés, c’est qu’elle ne présente bien sûr aucune de ces caractéristiques qui désignent les agents de la révolution à venir. Ces derniers, ils les ont donc trouvés dans les cités, dans les banlieues, parmi ces jeunes issus de l’immigration. Si le sujet n’était pas si grave, il serait permis d’ironiser sur la prétendue « auto-organisation » en forces politiques de ces jeunes gens, qui semble tout de même en avoir amené plus d’un à rejoindre la Syrie plutôt que les organisations anarchistes.
L’extrême-gauche, car en fait de « libertaires » il s’agit bien d’elle, s’est toujours vue et voulue l’avant-garde du prolétariat en lutte. Mais quel prolétariat ? Quelle lutte ? Perpétuellement à la recherche de cet introuvable prolétariat révolutionnaire par nature et par destin historique, l’extrême-gauche a toujours poussé sa quête dans tous les événements contemporains, quitte à recourir à des simplifications réductrices pour actualiser des schémas obsolètes et jamais vérifiés. Elle passe ainsi, par exemple, de l’anticapitalisme à l’anti-impérialisme sans se soucier d’analyser la nature exacte des luttes nationalistes ; du soviet au vietcong, du vietcong au guérilléro, du guérilléro au feddayin, autant de figures essentiellement fantasmées. Ici, la classe ouvrière classique ayant manqué le rendez-vous que lui avaient fixé l’Histoire et les prophètes du socialisme, le délinquant identitaire beur ou le jeune travailleur issu de l’immigration est devenu pour l’extrême-gauche le feddayin de remplacement, contemporain et à portée de main. Violence identitaire et communautaire, contrôle des cités-ghettos, agressions de commerces « sionistes », toutes les dérives de ces nouveaux damnés de la Terre sont à ses yeux la légitime expression de la colère du peuple, grosse de son idéale et fantasmatique révolution. Toute analyse sérieuse est rejetée par la sublimation de la geste des peuples en lutte qu’elle se voit réanimer, toute critique de l’idéologie islamiste dénoncée comme complicité avec l’ennemi de classe. S’il lui semble tout aussi pertinent de sommer les Juifs de France de se désolidariser de la politique d’Israël que de demander aux chrétiens des comptes sur la Manif pour tous, le bricolage de l’opportuniste concept d’« islamophobie » lui permet de ne pas s’interroger sur la religion de ses nouveaux damnés de la Terre, estimables par principe. Tout refus de cette vision militante archaïque comme toute interrogation sur les causes autres que purement sociologiques des dérives inquiétantes de ses nouveaux héros sont dès lors assimilés à un intolérable amalgame aux relents racistes. C’est franchement dégueulasse !
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* Ce texte ainsi que cet « Appel » figurent sur ce lien : Dix questions aux « libertaires » sur l’« islamophobie » et le racisme
Ah, mais alors, là, comme tout cela est bien dit, et comme ce propos qui pourrait paraître par ailleurs tellement évident semble incroyablement important aujourd’hui encore à dire, redire, et reredire !
Je me souviens très bien lors des « événements » de 2005 d’avoir été totalement éberlué et incrédule d’entendre ces mêmes idéologues à la p’tite semaine dont tu parles applaudir en ces gosses complètement largués de banlieue qui incendiaient les bagnoles pourtant pourries de leurs voisins authentiques prolos, les applaudir dis-je, en les proclamant « avant-garde du prolétariat révolutionnaire », « frères de combat », « dignes représentants de la colère du peuple », et autres immenses conneries du même genre…
Comme quoi, l’idéologie, c’est comme les filtres de lumière d’une scène de spectacle : si on veut du bleu, on a du bleu, si on veut du rouge, on a du rouge. « Penser » n’existe plus… ne reste que « croire ».
Putain, tous les idéologues de la terre me foutent les j’tons !
Tragique confusion qui pousse à penser que « être contre » signifie qu’il faille épouser les idées de l’antagoniste alors qu’il vaudrait mieux larguer tout ça à la poubelle. Que tout cela est binaire !
Fort beau texte. Merci, Floréal, de nous l’avoir transmis.
Pour avoir tenu le même discours, et m’être heurté à des silences gênés, je peux te dire que ça m’a fait du bien de te lire.
La marge est mince pour ne pas hurler avec aucun des loups… Il n’en reste pas moins que la « paranoïa antimusulmane ou […] islamo-paranoïa » (terme préféré d’Yves Coleman, réf. du lien donné) n’est ni un « concept » ni un phénomène « imaginaire ou réel » (idem, je cite). Idem, la chronologie aussi fait sens : la critique d’une presse, de gauche et satirique, sombrant de plus en plus dans cette « paranoïa », remonte bien avant les menaces et premières actions de terreur contre Charlie.
Il était difficile en 2012 de parler d’islamophobie (prenons ce terme de par l’usage qui en est fait, pas sur sa pertinence), il le devient aujourd’hui encore davantage…
Merci encore et toujours pour les appuis et pistes à la réflexion.
La religion c’est l’opium du peuple. Respect pour les dealers !
Qu’entendez-vous par « le délinquant identitaire beur » ? Sûrement une saillie drolatique pour désigner ces damnés de la Terre, « estimables par principe », non ? Vraiment à vous autres anarchiste et Français ou Français anarchiste ou bien franco-anarchiste ou alors anarcho-Français, on ne la fait pas !
Omar
Il me semble que les trois éléments qui composent cette expression – « délinquant », « identitaire » et « beur » – sont suffisamment clairs pour qu’elle soit comprise. Il n’y a rien de drolatique là-dedans, ni d’ailleurs rien de particulier à « entendre » en dehors de la définition de ces termes et des personnes qu’ils désignent.
Votre commentaire, en revanche, sur les anarchistes français ou Français anarchistes, est assez obscur.
C’est bien votre expression qui est fumeuse : pourquoi avoir avoir utilisé le terme « identitaire » entre les mots « délinquant » et « beur » ? « anarcho-identitaire franchouillard », une expression qui en vaut une autre pour vous désigner n’est-ce pas ?
Omar
Explication de texte : un délinquant beur est un délinquant d’origine arabe. Un délinquant identitaire beur est un délinquant d’origine arabe qui met en avant son origine nationale ou « ethnique » et sa religion. Ça existe. Il paraît même que le phénomène est en extension. Quant à m’identifier sous le terme d’anarcho-identitaire franchouillard, il faudrait pour cela extraire et mettre en avant, dans mes écrits, tout ce qui relève de l’exaltation de la « France profonde » béret-baguette-saucisson-camembert-drapeau noir. Ça va pas être facile, Omar…
On va en rester là.
[…] Le nouveau damné de la Terre est arrivé […]
C’est le terme libertaire qui est problématique dans ce machin d’appel. Libertaire comme AL ou la CFDT !