L’ami Jacques Bouché, membre du groupe La Vache folle et de la Fédération anarchiste jusqu’à l’exclusion de ce groupe par la Haute Autorité de cette organisation, animateur, depuis de longues années, de l’émission « Chronique Hebdo », sur Radio-Libertaire, auteur également de plusieurs articles parus dans Le Monde libertaire, sous le pseudonyme d’Archibald Zurvan, est mort la nuit dernière à l’hôpital d’Apt. Voici le texte que ses amis ont rédigé pour lui rendre hommage :
Parisien, Jacques est né rue Jules-César, clin d’œil à un prédécesseur dont il aimait bien citer le nom. De son enfance, il gardait le souvenir ému de sa grand-tante Antoinette qui vivait avec ses parents, et surtout de ses vacances dans la famille maternelle en Corrèze où il aimait garder les vaches.
Jacques a traversé la période douloureuse de la guerre à Paris, où il se rappelait prendre sa petite sœur Annick, tout bébé, dans ses bras, pour aller se réfugier dans une cave de la rue Falguière.
Distingué latiniste, il aimait jouer avec les mots, écouter du jazz, surtout Thelonius Monk et Billie Holliday, ainsi que Mozart, Debussy, Fauré, la chanson française avec une pensée particulière pour Germaine Montero et Cora Vaucaire.
Sa carrière professionnelle l’a amené, entre autres, à se rendre dans l’Ain et à bien connaître le monde paysan et toutes les formes d’entraide qui l’ont profondément marqué.
Sa vie familiale fut parsemée d’épreuves, dont une dramatique et douloureuse : la mort d’un enfant.
Lecteur assidu, il était très éclectique dans le choix des auteurs, et cela llui a permis de découvrir les pères fondateurs de la sociologie moderne. Il affectionnait particulièrement Auguste Blanqui, Pierre-Joseph Proudhon, Nietzsche et bien d’autres qui alimenteront sa réflexion sur les hommes et la société contemporaine, dont l’organisation devrait contribuer à « créer un climat de grandeur humaine où le sentiment du droit serait porté à sa plus haute expression ». Cet humanisme libertaire fut le fil directeur de toute sa réflexion.
Dans le cadre des conférences du Collège de philosophie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, il a participé aux travaux de l’Atelier Proudhon et a ainsi publié divers fascicules sur le mouvement social au XIXe siècle.
Quelques années après la création de Radio-Libertaire, il a d’abord animé une chronique sur l’art et l’anarchie, puis ensuite « Chronique Hebdo », consacrée à l’actualité, où parfois des invités tel Pierre Bourdieu sont venus apporter leur témoignage. Jacques fut de 1986 jusqu’à la fin de sa vie un fidèle collaborateur de la modeste mais pertinente radio des anars de France, de Navarre et d’ailleurs…
Epicurien, il aimait le grave rouge, le saint-joseph, le pouilly-fuissé et la bonne chère… le jardinage, la randonnée, et surtout la marche dans ce Paris qu’il connaissait très bien et qu’il aura arpenté tant que ses jambes ont pu le porter. Clin d’œil au Xxe arrondissement de Paris, le moins haussmannien et auquel il était le plus attaché, ce petit poème de Robert Desnos sur cette rue qu’il a montée et descendue pendant plus de trente ans :
Le soleil de la rue de Bagnolet
N’est pas un soleil comme les autres
Il se baigne dans le ruisseau
Il se coiffe avec un seau
Tout comme les autres
Mais quand il caresse mes épaules
C’est bien lui et pas un autre
Le soleil de la rue de Bagnolet
Qui conduit son cabriolet
Ailleurs qu’aux portes des palais
Soleil, soleil ni beau ni laid
Soleil tout drôle et tout content
Soleil de la rue de Bagnolet
Soleil d’hiver et de printemps
Soleil de la rue de Bagnolet
Pas comme les autres
Cher Jacques, tu reposeras au soleil du Lubéron, pas très loin d’Albert Camus, que tu citais souvent. Nous garderons toujours en nous le souvenir de l’homme, de l’ami qui courageusement, jusqu’au dernier moment, combattit et refusa la dureté du destin humain.
Toujours en hommage
à ce copain,
vous trouverez
ci-dessous
le lien vers l’émission « Chronique Hebdo »
dont Pierre Bourdieu
était l’invité,
ainsi que l’article
que Jacques rédigea à la mort de ce sociologue.
Salut Jacques !
PIERRE BOURDIEU : UNE RENCONTRE
« On croit toujours qu’il faut inventer des idées. En fait, il faut inventer des modes d’organisation dans lesquels s’inventent les idées. Il n’y a plus de Dieu ni de maître à penser. Je ne suis pas un maître à penser. Je me sers de ma connaissance du monde social pour dire que la première invention qu’il faut faire est organisationnelle, il faut inventer les modes d’organisation qui permettront l’invention collective d’une vision nouvelle et réaliste de l’économie et de la société » (Pierre Bourdieu).
Pour accéder à l’enregistrement de l’émission, cliquez ici !
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Pierre Bourdieu est mort
Alors, Pierrot ! Tu t’es fait la malle… Scandale ! Notre collégien a joué les filles de l’air. Il a abandonné, sans tambours ni trompettes, son séminaire sur l’Anarchie. Il l’avait entrepris en mars 2001, sur Radio Libertaire.
Et pourtant, nous avions formé de grands espoirs sur ce collégien doué (1).
A mille lieux des petits marquis, tels les patrons des revues Esprit ou Les Temps modernes, maîtres ès « bassesses et perfidies » (2), Pierre Bourdieu, que nous rencontrions pour la première et la seule fois, était un « honnête homme ».
En retraçant, après lui en avoir soumis le brouillon, les principaux points de notre dialogue radiophonique, nous écrivions :
« […] Mis à l’index par le « Sacré Collège » des « dominants » de la communication (celle du vide de la pensée), […] un peu comme un sous-préfet qui s’en va-t-aux champs boire un bol d’air frais, Bourdieu est venu par plaisir rompre des lances avec les anars…
Nous aimons bien les moutons noirs, ceux qui « ouvrent leur gueule » (3), surtout quand la contradiction, la controverse est fructueuse. »
Enfin nous avions l’outrecuidance de nous estimer aptes à délivrer ou non à notre impétrant de pèlerin son brevet d’humanisme. Nous étions curieux de savoir si, cinq cents ans après la création du Collège de France à l’initiative de Guillaume Budé, humaniste généreux, helléniste et savant, ami d’Erasme et de Rabelais, le même esprit pouvait encore souffler sur quelques-uns de ces collégiens du troisième millénaire…»
Ce premier exercice avait été positif. Ces « partielles » avaient porté sur le dernier ouvrage des éditions Raison d’agir, et intitulé Contrefeux n° 2, pour un mouvement social européen. Il s’en était si honorablement tiré que nous avions de sérieux espoirs pour la suite. Nous l’avions encouragé.
Bon début pour obtenir votre brevet d’humanisme, avons-nous solennellement déclaré à La Bonne Franquette à notre « cardinal » (4), impatient de connaître, devant un communard (rouge-cassis), les effets de son show libertaire.
« Mais, avons nous ajouté, devant son air de contentement un peu accentué, il restera quelques épreuves pour les semaines à venir… Au prochain… exercice sur Radio Libertaire. »
Nous avions déjà proposé le second volet de l’exercice qui aurait notamment été consacré à ses conceptions de l’Etat, de la relation individu-société, et à son ouvrage Méditations pascaliennes.
Pierrot, tu n’es pas sérieux. On n’abandonne pas ainsi au milieu du gué. Toi qui savais fort bien démystifier, désacraliser, démonter les idées reçues ! Toi qui combattais avec fougue la pensée (?) binaire, le tout ou rien, la logique totalitaire du tout ou rien, du « 0 » ou « 1 » mais pas les deux mélangés ! Toi qui, devant un auditoire de « dominés », savais, sans rhétorique absconse, faire front et trouver les mots pour combattre l’anti-intellectualisme primaire et obliger à réfléchir (5).
Tu vas nous dire que la Camarde est sans morale, sans justice, sans respect pour les hommes et leur vertu. D’accord. Nous avons à continuer sans toi, à nous battre contre ceux qui vont tenter de t’enterrer, toi et ta pensée, une deuxième fois sous les fleurs. Salut Pierrot !
Archibald Zurvan
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(1) Le Monde Libertaire, n° 1240 du 5 avril 2001.
(2) Le Monde du 31 janvier 2002, article de Jacques Bouveresse, « Pierre Bourdieu, celui qui dérangeait ».
(3) Le Monde du 3 décembre 1999, « La tradition d’ouvrir sa gueule ».
(4) Le Monde du 18 septembre 1998, article dans lequel Bourdieu est traité de « cardinal Ratzinger de la science ».
(5) La Sociologie est un sport de combat, film de Pierre Carles.
Eh beh, grosse tristesse !
Oui… Je ne le connaissais pas mais sa voix m’était si sympathique sur le 89.4.