Grand ami de l’animateur culturel Laurent Ruquier, le Pierre Dumayet du petit écran d’aujourd’hui, Moi-Onfray, philosophe pour caméras et micros, paradait une fois de plus, samedi dernier, dans l’émission « On n’est pas couché », devant un parterre de chroniqueurs comme il faut, et surtout comme il les aime, admiratifs, à l’érudition et au sens critique avoisinant, dans les moments d’intense réflexion, ceux d’une limande-sole.
Evoquant, non sans raison, l’influence que l’œuvre et le comportement de Jean-Paul Sartre exercent encore de nos jours sur certains beaux esprits, Moi-Onfray livre alors quelques titres de publications diverses où ces derniers s’expriment. Et quelle n’est pas notre surprise de l’entendre soudainement déclarer, avec cet aplomb qui ne le quitte jamais : « Le Monde libertaire est resté un journal sartrien. »
On savait déjà Moi-Onfray, au risque d’entacher quelque peu la perfection dont il se pare, capable de proférer d’invraisemblables stupidités. Les bons connaisseurs de Proudhon, de Bakounine ou de l’Espagne libertaire n’ont jamais manqué de travail lorsqu’il s’agit de les répertorier. Le ton péremptoire avec lequel il les assène suffit simplement à impressionner les naïfs et les ignorants. Mais Moi-Onfray a manifestement choisi, vis-à-vis du mouvement anarchiste, de certains de ses militants et de ses moyens d’expression, de passer à une autre étape, qu’on pourrait d’ailleurs aisément qualifier de sartrienne : celle du mépris, du ragot ou de la calomnie.
Son dernier livre, consacré à Albert Camus, reste à cet égard édifiant. Après y avoir traité le mouvement libertaire d’hier avec dédain et condescendance, Moi-Onfray eût sans doute apprécié que celui d’aujourd’hui s’exclame « encore ! encore ! », réclamant de Sa Majesté davantage de crachats et d’arrogance. Mais voilà, Le Monde libertaire, tournant le dos à la seule attitude que le Maître tolère, l’idolâtrie béate, a pris d’heureuses distances avec l’ouvrage de Moi-Onfray, abandonnant à des Franz-Olivier Giesbert et des Laurent Ruquier le bonheur de le considérer comme un chef-d’œuvre. Le philosophe du samedi soir n’a pas aimé…
Chacun pourra aisément vérifier, bien sûr, combien la déclaration de Moi-Onfray, ce soir-là, atteint des sommets de connerie épaisse. Il suffit pour cela de se reporter à ce qui a pu paraître dans le journal de la Fédération anarchiste au sujet de Camus, d’un côté, et de Sartre, de l’autre, notamment dans la période où Camus fut violemment attaqué et calomnié après la parution de L’Homme révolté. On consultera avec profit, également, l’article paru dans Le Monde libertaire à l’occasion de la disparition de Jean-Paul Sartre, sous la plume de Maurice Joyeux, qui souligne clairement toute l’antipathie que ce journal et ses rédacteurs éprouvaient envers ce philosophe et ses écrits. Faut-il rappeler, par ailleurs, que si Camus collabora régulièrement à la presse libertaire, Sartre n’y écrivit jamais une seule ligne ?
Mais plus encore peut-être que l’énormité de sa petite phrase minable, c’est le lieu choisi pour en faire état qui laisse pantois. Choisir la télévision et l’une de ses émissions-poubelles pour régler ses comptes avec un journal militant coupable de ne pas l’admirer sottement n’est guère à l’honneur d’un intellectuel qui se veut l’héritier de Camus. C’est indigne. C’est de l’Onfray.
J’en ai la nausée…
La nausée
19 mars 2012 par Floréal
C’est vrai que c’est une connerie de dire que « Le Monde libertaire est resté un journal sartrien ». Mais accuser Onfray d’être passé à une autre étape contre le mouvement anarchiste, « qu’on pourrait d’ailleurs aisément qualifier de sartrienne : celle du mépris, du ragot ou de la calomnie », c’en est une autre.
Je crois que nous devrions argumenter nos désaccords, s’il y en a, sans mépris, ragots et calomnies; car c’est en le faisant que nous enrichissons la pensée anarchiste et réactivons ses potentialités et rendons « à cette force de frappe intellectuelle et politique toute sa puissance contemporaine ».
Ce n’est pas une connerie d’affirmer que Michel Onfray est passé à l’étape du mépris, du ragot et de la calomnie vis-à-vis du mouvement libertaire, mais une erreur de ma part. Car, en vérité, cela ne date pas de la parution de son détestable bouquin sur Camus ou de sa prestation télévisuelle chez Ruquier. Il y a déjà un bon moment que son mépris et son arrogance s’exercent.
Par ailleurs, c’est à lui qu’il faudrait adresser l’invitation à argumenter nos désaccords. Sa déclaration stupide sur « Le Monde libertaire » ne fut suivie d’aucune preuve, d’aucun argument, mais simplement assénée comme ça, gratuitement. Sans m’étendre longuement, il me semble avoir, en revanche, esquissé pourquoi il est idiot de prétendre que « Le Monde libertaire » serait un journal sartrien.
Il en va de même pour le livre sur Camus. L’excellent article de Lou Marin dans « Le Monde libertaire » est extrêmement argumenté. Et plutôt que d’y répondre par des contre-arguments, Onfray y va de sa petite phrase aussi débile que puérile.
Ce n’est pas parce que ce monsieur se déclare libertaire « dans le poste » qu’il nous faudrait aussitôt chanter ses louanges.L’admiration béate envers les idoles montantes aimées des médias doit-elle être désormais de mise sous prétexte que nous manquons cruellement de « compagnons de route » dans le monde intellectuel ? Sans moi !
Onfray peut bien raconter n’importe quoi lorsqu’il parle de Camus, de Proudhon, de Bakounine ou de l’Espagne, faire preuve d’une incroyable suffisance et se vautrer dans les émissions les plus vulgaires, tout lui sera pardonné par certains car il s’en prend aux fameux « gardiens du temple libertaire ». Mais de la même façon qu’il ne suffit pas de qualifier quelqu’un d’imbécile pour être soi-même un petit génie, n’avoir que détestation pour le mouvement anarchiste « officiel » ne fait pas de vous un libertaire conséquent. Surtout quand on préfère à ces horribles « gardiens du temple » la compagnie d’un Montebourg ou d’un Mélenchon…
Tu as le droit de penser que « ce n’est pas une connerie d’affirmer que Michel Onfray est passé à l’étape du mépris, du ragot et de la calomnie vis-à-vis du mouvement libertaire » ; mais tu devrais admettre que j’ai le droit de penser que ça l’est, comme ça l’est aussi de dire que « Le Monde libertaire est resté un journal sartrien ». Car, tu dois en convenir, nous avons tous le droit – et plus entre les libertaires – de qualifier une chose de connerie ou de merveille. Et chez-nous, qui s’en prive ???
Mais l’essentiel n’est pas là. Même pas le fait d’avoir de l’antipathie ou non envers Onfray. Je crois que l’essentiel, aussi pour toi, c’est d’enrichir la pensée anarchiste et de réactiver ses potentialités émancipatrices. De rendre toute sa puissance contemporaine à cette force de frappe intellectuelle et politique qu’est la pensée anarchiste. Vaste programme, tu en conviendras !
Donc, je crois qu’à ce sujet nous devrions pouvoir confronter fraternellement nos arguments : Onfray contribue-t-il ou non à enrichir la pensée anarchiste et à réactiver ses potentialités ?
En effet, « ce n’est pas parce que ce monsieur se déclare libertaire dans le poste qu’il nous faudrait aussitôt chanter ses louanges ». Et aussi je ne crois pas que, « sous prétexte que nous manquons cruellement de « compagnons de route » dans le monde intellectuel », nous devons avoir de « l’admiration béate envers les idoles montantes aimées des médias ».
Mais, une fois de plus, la question n’est pas là. Au moins en ce qui me concerne. Car je ne n’ai pas l’habitude ni de chanter des louanges ni d’avoir de l’admiration béate envers quiconque, et moins encore envers des idoles, des médias ou d’un panthéon même libertaire.
Alors, même si je ne partage pas toutes ses opinions et parfois la manière de les exprimer, je crois que si Onfray n’a pas enrichi la pensée anarchiste, il a éveillé indéniablement un intérêt en dehors de nos milieux pour cette pensée, son histoire et sa pratique.
Je ne sais pas s’il en tire ou non un profit personnel ; mais je m’en fous ! Car, ce qui compte pour moi, c’est la réactualisation de l’anarchisme comme pensée émancipatrice au moment où les idéologies autoritaires tentent à nouveau d’occuper tout l’espace politique, social, culturel et médiatique.
Je crois même que la médiatisation d’Onfray, en tant que philosophe libertaire, a été possible par la montée du désir de liberté parmi nos contemporains après tant d’années de règne du marxisme totalitaire et de crise du capitalisme spéculateur.
Dès lors, je crois que l’important pour nous c’est d’assumer avec conséquence la tâche d’adéquation de l’anarchisme au réel du monde actuel pour pouvoir agir sur lui et avoir la capacité de le transformer. Et laisser de côté la distribution de titres : « Onfray est ou n’est pas libertaire ». Et cela implique, tu en conviendras, de ne pas prendre l’anarchisme pour un catéchisme avec ses Papes, une doctrine ou une philosophie fermée. Et de cesser enfin de se prendre pour les gardiens du Temple !
Salut.
Octavio
Le problème ici n’est en rien celui du « droit » de dire ou d’écrire telle ou telle chose. Nul n’a dénié ce droit à qui que ce soit. La question est simplement, et uniquement, celle des arguments.
Au départ, il y a un livre de Michel Onfray sur Camus. Dans un article publié dans « Le Monde libertaire », Lou Marin, auteur d’un livre remarquable sur le même sujet, « Albert Camus et les libertaires », souligne, de façon très argumentée, tout ce que l’ouvrage d’Onfray compte d’erreurs, de manque de rigueur, d’oublis et de falsifications. S’ajoutent à cela, de la part d’Onfray, l’arrogance et le mépris habituels à l’égard du mouvement libertaire et certains de ses militants aujourd’hui disparus.
Les défenseurs de Michel Onfray arguent du fait que ce dernier, à travers d’autres écrits ou par l’intermédiaire de son université populaire, œuvre à faire connaître la pensée et les auteurs libertaires auprès d’un large public. Plus large en tout cas que celui que la propagande du mouvement libertaire classique touche habituellement. C’est possible. Mais ce n’est pas le sujet.
Que signifie, en effet, cet étrange « argument » ? Que sous prétexte d’amener des personnes à s’intéresser aux idées libertaires, Michel Onfray peut écrire des livres très médiocres, qu’il conviendrait seulement d’encenser ou, au pire, d’ignorer, mais surtout pas de critiquer ? Si l’envie prend à Michel Onfray de prétendre demain – avec cette même légèreté qui lui fit dire, sans avancer la moindre preuve pour étayer son propos, que « Le Monde libertaire » « est resté un journal sartrien » – que j’ai assassiné ma concierge, le même argument sera-t-il invoqué par ses défenseurs si je proteste ou si je lui mets mon poing sur la gueule ? Cet exemple est bien sûr volontairement exagéré, mais le raisonnement serait le même.
Il est assez cocasse, par ailleurs, d’être accusé, au moindre désaccord exprimé, de se livrer à « la distribution de titres », de vouloir désigner qui est libertaire et qui ne l’est pas, ce que ni Lou Marin ni moi n’avons fait (et ce dont je me fous complètement), quand par ailleurs ces accusateurs vous qualifient sans cesse de « gardiens du temple » pour avoir appelé un chat un chat et les âneries de Michel Onfray des âneries, pour ne pas s’être prosterné, en quelque sorte, devant le Savoir approximatif et arrogant du chouchou libertaire des médias.
Sur ce point, la médiatisation d’Onfray, que tu expliques « par la montée du désir de liberté parmi nos contemporains après tant d’années de règne du marxisme totalitaire et de crise du capitalisme spéculateur », je crois que c’est un peu court. Car nombre de camarades libertaires compétents pourraient alors apparaître devant les caméras de télévision ou s’exprimer au micro des stations de radio. Or Onfray est le seul libertaire admis à le faire, comme il est le seul à bénéficier d’une rubrique régulière dans « Le Monde ». Il est particulièrement étrange que cela n’éveille pas la curiosité de ceux qui, loin des « papes » et des « gardiens du temple », réfléchissent et ne ressassent pas éternellement le même « catéchisme »…
Et vlan ! Encore une bonne mise au point (poing).
Qu’est-ce que je disais déjà ? Ah oui : outrecuidance, trompe-l’œil et falsification…
Peut-on revoir l’émission ? Y a-t-il un lien ou la date et l’heure de l’émission que je zieute cela de mes propres nonoeils !
Et de répondre à ces élites qui s’y croient, mais ne sont pas, de loin, les héritiers du siècle des Lumières. La phrase du tout grand philosophe Ludwig Wittgenstein (qui n’a écrit qu’un livre) : « Ce dont on ne peut parler, il faut le passer sous silence. »
On peut le voir et l’entendre sur ce lien :
Merci pour tout 🙂
Je déteste commenter les commentaires. Tant pis, je me ferai violence…
Assumer la tâche « d’adéquation de l’anarchie au réel du monde » implique-t-il de laisser courir des vulgarisations – dans le pire sens du terme –, voire s’en féliciter puisqu’elles répondraient à « un désir de liberté de nos contemporains », ou au contraire préciser, débattre, contre-proposer…
Mais le ver est de toute façon déjà dans le fruit : « adéquation de l’anarchie au réel du monde ». Et puisque le réel du monde est, en prime-time et mesuré à l’Audimat, dans l’approximation, la falsification, l’argument d’autorité, la moraline, si Onfray n’existait pas il faudrait l’inventer…
Quiconque a le sursaut d’en douter est très démagogiquement renvoyé à la crispation catéchétique ; argument jamais las de justifier les opportunismes, les soumissions à l’air du temps, aux diktats médiatiques, aux paresses intellectuelles. Au fait, pourquoi « gardiens du temple », et pas « gardiens de musée », sinon que la stigmatisation est plus efficace, seule raison de l’argument ?
OG
Globalement d’accord, mais deux réserves, en fait deux désaccords :
– arrêtons de cracher sur Sartre : il est mort ; sa pratique a parfois été douteuse (choisir les staliniens pour ne pas choisir l’impérialisme américain ; traiter de l’engagement… après-guerre, les amours contingentes malmenées etc., soit. Mais lisons-le : alors là, il y a beaucoup de profit à en tirer ;
– comparer Pierre Dumayet avec Ruquier ! Il faut avoir vu par exemple Dumayet discuter avec Perec jusqu’à analyser son roman La vie mode d’emploi en montrant que les chapitres, qui correspondent à chaque appartement qui compose un immeuble, suivent un ordre qui correspond au déplacement du cavalier dans le jeu d’échec. Quel rapport avec Ruquier ?
Je ne vois pas pour quelle raison il faudrait cesser d’évoquer Sartre sous prétexte qu’il est mort. D’autant qu’ici il y est fait simplement allusion. Je ne vois pas où est le « crachat ».
Pour ce qui est de Dumayet et de Ruquier, il s’agit bien sûr d’humour, pour mieux souligner le fossé séparant les émissions littéraires de naguère des émissions lamentables d’aujourd’hui.
OG (bis !)
Qualifier Wittgenstein de grand philosophe : un jugement de valeur (cf. Deleuze, l’Abécédaire, lettre W) ? On attend la démonstration. En outre, il n’a pas écrit qu’un livre, en fait il n’en a publié qu’un, le Tractatus. Je me demande même s’il n’en a pas publié un deuxième (les Investigations philosophiques).
?????????
Que vient faire Wittgenstein ici ? Je ne comprends pas.
Les années sont passées et au-delà de ce qu’Onfray a dit ou continue à dire, l’important pour nous continue à être comment « assumer avec conséquence la tâche d’adéquation de l’anarchisme au réel du monde actuel pour pouvoir agir sur lui et avoir la capacité de le transformer ». Car, plus important que ce que les autres disent ou font, c’est ce que nous, les anarchistes, disons ou faisons.