L’opposition au projet de construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, sévèrement réprimée sur ordre de Manuel Valls, aura permis à ce dernier d’apporter sa contribution au grand florilège de la connerie policière, que les ministres de l’Intérieur successifs n’auront cessé d’enrichir.
La population locale ne pouvant être que subjuguée par ce projet et impatiente de le voir aboutir, il convenait donc pour Valls la Matraque de réciter à son tour le scénario des opposants venus d’ailleurs et d’agiter la menace éculée de l’ultra-gauche et des anarcho-autonomes, réunis au sein « de groupes violents gravitant autour de projets comme la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin ou l’aéroport de Notre Dame-des-Landes en France ». Et comme un soupçon de présence étrangère ne peut manquer d’effrayer les âmes simples, Valls le Cogneur, sourcils froncés, maintien mussolinien, précise : « Nous ne pouvons pas accepter qu’un projet soit entravé, et encore moins par des groupes composés de squatteurs souvent étrangers qui n’ont rien à voir avec la région et le projet. » Ne restait plus au philosophe de commissariat qu’à lancer le terme méprisant destiné à qualifier ces anarcho-terroristes d’ici et squatteurs de là-bas. Il l’a trouvé : « Il est hors de question de laisser un kyste s’organiser. »
Ce discours ne présente, comme on l’a suggéré, rien de bien nouveau.
Qu’on en juge !
Retour arrière
Il y aura bientôt quarante-cinq ans que débutaient en région parisienne les fameux événements de Mai 68. Après un mois d’émeute incessante, Christian Fouchet, alors ministre de l’Intérieur, publiait un communiqué, le 25 mai, dans lequel il expliquait à la population française qui étaient les fauteurs de troubles, les responsables de la fameuse « chienlit ». Il y voyait trois éléments. En premier lieu, les étudiants, « pris par leur vertige alors que la réforme universitaire qu’ils réclament va se faire ». Ensuite, la pègre, un terme par lequel, dans la conclusion de son communiqué, Christian Fouchet englobera les trois catégories répertoriées. « … Cette pègre qui sort des bas-fonds de Paris et qui est véritablement enragée, dissimulée derrière les étudiants, se bat avec une folie meurtrière. C’est le rôle du gouvernement de mettre fin le plus vite possible à l’action de cette pègre. » Enfin, « le troisième élément, ce sont les anarchistes, qui sont très certainement bien organisés pour la guerre des rues, la guérilla ».
Après l’hommage rendu aux forces de l’ordre, le ministre de l’Intérieur concluait ainsi son petit devoir : « Je demande à Paris de vomir cette pègre qui la déshonore. Il faut que la population parisienne se rende compte. Les forces de l’ordre feront de plus en plus leur devoir. Il faut que les étudiants sortent de leur vertige. Je voudrais que les Parisiens manifestent leur désapprobation de cette pègre. »
Le jour même, dans un style alerte et caractéristique de ce temps révolu, ladite « pègre » répondait à Christian Fouchet en ces termes : « M. Fouchet, surintendant à la panique et à l’hypocrisie, commandeur des mercenaires, girouette de l’Etat et poubelle de l’Elysée, M. Fouchet se souvient de Vaillant, de Ravachol et de la bande à Bonnot. Du fond d’un fauteuil où se succédèrent tant de persécuteurs, il a rajeuni le vieux bouc émissaire : l’anarchiste succède au juif, pègre est devenu son synonyme. Tremblez, boutiquiers ! Barricadez-vous, téméraires badauds ! L’anarchiste rôde. La bombe d’une main, l’égalité de l’autre, il se dissimule dans la foule pour la pousser au meurtre. Pis, l’homme noir s’attaque à la Bourse ; il profane le temple. On pouvait jusqu’ici réprimer sans épouvante un tumulte hiérarchisé. Le sang du peuple qui teignait autrefois le drapeau rouge était devenu celui d’une rose. Des épines y restaient bien accrochées, mais on craignait moins les blessures ; elles se limitaient à la réforme ! Et voici que le trône vacille. Un autre ennemi ne se contente pas de quelques nationalisations. Il refuse l’argent sous sa forme esclavagiste. C’est le diable. M. Fouchet prépare alors une nouvelle inquisition, ses tortures, ses délateurs. Il appelle le venin des médiocres sur une conception hors de leur portée. Quoi de mieux contre le progrès ?
Mais personne, dans ce pays, hormis les sanglants fossiles du nationalisme, ne souhaite le retour des hivers nazis, où l’on sacrifiait une race sur l’autel de la puissance. Malgré les appels au lynchage, il n’y aura pas de chasse aux sorcières, même contre les ministres agitateurs qui tentent de la provoquer. Les crachats n’ont jamais sali le drapeau noir, mais un contact avec le cadavre de M. Fouchet en ferait une loque corrompue. Il ne lui servira pas de linceul. M. Fouchet peut crever comme un chien. » Cette réponse était simplement signée « Les Anarchistes ».
Le temps n’est pas loin où Manuel Valls fera un excellent Fouchet.
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