Cet article a paru dans un numéro hors série du « Monde libertaire », daté mai-juin 1995, pour célébrer la parution du millième numéro de l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste, né dix-huit ans plus tôt et dont je fus le premier permanent technique (composition et mise en pages) durant deux années.
« En octobre 1954, Le Libertaire reparaît sous un titre que les circonstances nous ont obligés à modifier, car le vieux journal de Sébastien Faure et de Louise Michel, tombé dans des pattes douteuses, est en train d’agoniser. Il sera mensuel et il le restera longtemps. »
Maurice Joyeux, Histoire du journal de l’organisation des anarchistes.
Vingt-trois ans ! Il faudra en effet attendre vingt-trois ans pour que notre journal retrouve sa périodicité de l’immédiat après-guerre.
Si la décision officielle de lancement du Monde libertaire hebdomadaire fut prise au congrès de la Fédération anarchiste tenu à Toulon durant le week-end de Pentecôte de 1977, c’est lors du congrès précédent, à Besançon, que mandat avait été confié aux administrateurs du journal d’en étudier les possibilités techniques et d’organiser la souscription nécessaire auprès des lecteurs.
Pour les générations de militants entrés à la Fédération anarchiste à la faveur des événements de 1968 ou dans la décennie suivante, et qui devaient incontestablement redonner vigueur à une organisation essoufflée, nulle autre campagne de création, pas même celle qui devait accompagner les premiers pas de Radio-Libertaire, quatre ans plus tard, ne suscita une telle unanimité et un tel enthousiasme *.
Grossie quelques années auparavant par l’arrivée de nouveaux groupes jeunes et actifs, vite frustrés de ne pouvoir offrir aux lecteurs un aperçu de leurs activités grandissantes ainsi qu’une analyse libertaire « collant » davantage à l’actualité, ce que ne permettait pas le mensuel, la Fédération anarchiste voyait à chacun de ses congrès le groupe Jules-Durand, du Havre, initiateur du projet, remettre sur le tapis la nécessaire transformation de notre organe de presse.
Après beaucoup d’insistance, beaucoup de patience, après le succès d’une dynamique campagne de souscription et d’affichage, la une de septembre 1977, dernier numéro mensuel à voir le jour, annonçait enfin la naissance du nouveau-né pour le 6 octobre suivant.
Dans un éditorial rappelant la somme des efforts fournis et l’importance de cette nouvelle étape de la vie du mouvement anarchiste, Maurice Joyeux, qui devait rester pour quelques années encore l’un de ses rédacteurs les plus féconds, transmettait avec ardeur et sans doute trop d’optimisme, dès le premier numéro de l’hebdo, les espoirs placés dans ce nouvel outil.
Dix-huit ans plus tard, si Le Monde libertaire hebdomadaire n’est pas devenu, selon les vœux de son premier éditorialiste, le grand journal du mouvement ouvrier, c’est sans rougir qu’on pourra consulter la collection de ces premiers numéros conçus dans un mélange de passion et de crainte pour les jeunes hommes assez inexpérimentés que nous étions alors.
L’Histoire demeurant résolument hostiles aux travailleurs de l’ombre, dont elle oublie injustement les noms, il serait anormal de ne pas souligner d’abord le riche travail des administrateurs de l’époque, François Garcia et Léopold Tamamès. Et si les chroniqueurs de demain pourront mettre en avant telle ou telle signature, qui saura, si nous ne l’évoquons pas ici, ce que fut la précieuse collaboration technique de Pierre Bigorgne, Roland Bosdeveix ou Dominique Black ?
Sans doute est-il permis d’affirmer aujourd’hui que l’hebdomadaire n’aura pas toujours été à la hauteur de ses ambitions. Dans un mouvement qui n’a pas toujours su, suivant le mot de Fernand Pelloutier, faire de ses adhérents « les amants passionnés de la culture de soi-même », il n’a pas été possible, reconnaissons-le, de remplacer les Joyeux, Laisant, Barrué et autres piliers du Monde libertaire mensuel, aujourd’hui disparus.
Crise du militantisme, de l’écrit ? Peut-être… S’il peut exister une presse sans organisation, il n’est sûrement pas d’organisation sans presse. Incontestablement, c’est là, dans le renforcement et l’amélioration de notre journal, que doit porter notre effort et notre réflexion, car il est vrai, plus que jamais, suivant les sages propos d’Ernestan, « que l’anarchisme ne remplira son rôle social que nous lui reconnaissons, le socialisme libertaire ne sera une réalité que le jour où il sera perçu et exprimé avec la netteté indispensable ».
* Note de novembre 2010 : En vérité, la volonté de modifier la périodicité du journal ne fut pas du goût de tous les adhérents de la Fédération anarchiste. Elle fut même en partie la cause du départ de certains militants, regroupés autour de Maurice Laisant, qui devaient créer l’Union anarchiste.
Flo,
suite à cette notule de 2010 que je découvre seulement aujourd’hui (!)… le départ de J-P Jacquinot (du Havre, propriétaire ! du titre du journal Le Libertaire, a entraîné le départ de quelques compagnons (groupe Germinal, Atelier du soir) et quelques individuels comme Maurice Laisant au motif que la FA prenait un tournant plateformiste aux dépens de la synthèse… J’ai bien connu cette époque qui m’a fait m’éloigner du mouvement libertaire…
Bien fraternellement. Philippe Richard