Le documentaire « Goulag(s) », de Michaël Prazan et Assia Kovrigina, diffusé à la télévision en 2019, présente, entre autres intérêts, l’avantage de nous faire ressouvenir que dans l’immédiat après-guerre nombre de militants communistes, certains d’entre eux anciens résistants et déportés dans les camps nazis, nièrent sans désemparer l’existence des camps de concentration de l’Union soviétique. C’était l’époque où quiconque osait critiquer le grand pays tant aimé se voyait illico insulté et calomnié dans les colonnes des divers organes de presse dont disposait alors un Parti communiste français au mieux de sa forme.
Le 12 novembre 1949, David Rousset, écrivain, qui fut militant trotskiste, résistant, torturé rue des Saussaies sous l’Occupation, puis déporté à Buchenwald, à Porta Westfalica et Neuengamme, publie dans Le Figaro littéraire un appel à tous les anciens déportés des camps nazis et à leurs organisations, dans lequel il proposait de constituer une commission composée exclusivement d’anciens déportés politiques, toutes tendances confondues, chargée d’enquêter sur la réalité de l’univers concentrationnaire soviétique. David Rousset ayant affirmé dans son article qu’en URSS on pouvait être envoyé en camp de travail sur simple décision administrative, le journal communiste Les Lettres françaises, sous la plume de Pierre Daix, l’accusera d’avoir commis un faux, après l’avoir copieusement insulté et calomnié afin de respecter la tradition journalistique stalinienne. David Rousset portera plainte contre Les Lettres françaises.
Le procès s’ouvrait le 25 novembre 1950 devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de la Seine, à Paris. David Rousset y fit venir ses témoins, tous anciens « pensionnaires » des camps soviétiques, qui vinrent confirmer ses affirmations. Les Lettres françaises firent à leur tour venir à la barre leurs propres témoins, tous militants que le fanatisme de leur dévotion au communisme mettait définitivement à l’abri des réalités, et qui vinrent déclarer, dans un ensemble touchant, qu’ils ne croyaient pas un mot de ce qu’avait écrit David Rousset. Mais c’est sans doute à travers cet échange entre David Rousset et Marie-Claude Vaillant-Couturier, elle-même résistante et déportée à Auschwitz puis à Ravensbrück, mais avant tout ici stalinienne pur jus, que cette négation absolue de la réalité et ce fanatisme trouvaient leur meilleure illustration. Qu’on en juge !
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David Rousset. – Je voudrais demander au témoin si elle était convaincue par les faits, les faits qu’elle aurait elle-même observés, qu’il existe quelque part en Union soviétique un camp de concentration comme celui dans lequel elle a vécu, si elle le condamnerait ?
Mme Vaillant-Couturier. – Mais je ne peux pas… la question ne peut pas se poser parce que je sais qu’il n’existe pas de camps de concentration… (Rires dans la salle.) en Union soviétique, et que je considère le système pénitentiaire, puisque c’est à cela que vous pouvez faire allusion, le système pénitentiaire soviétique comme indiscutablement le plus souhaitable dans le monde entier. (Rires dans la salle.) Je crois que c’est le seul pays où les condamnés quels qu’ils soient, que ce soit des condamnés de droit commun ou que ce soit des condamnés politiques, touchent un salaire égal à ce qu’ils toucheraient s’ils étaient à l’extérieur, peuvent acheter ce qu’ils achèteraient à l’extérieur, sauf des boissons alcooliques, ce qui est évidemment désagréable pour ceux qui aiment boire, et peuvent se payer, avec leur salaire, une chambre individuelle s’ils en ont le désir et la possibilité, qui ont la possibilité de lire, d’écrire, de voir des films, de faire de la musique.
Je considère, par conséquent, que la question ne peut pas se poser.
Oh, que c’est intéressant cette réponse de la stalinienne au trotskiste. Merci de nous la livrer.
On peut comparer avec Macron disant qu’il n’y a pas de violences policières en France, ou à Castaner qui ne connaissait pas du tout de forces de l’ordre ayant agressé des manifestants. Et on s’aperçoit que finalement, d’un bout à l’autre du spectre politique, on a des comportements finalement assez voisins de la part des divers politiciens quand les conditions politiques se rapprochent.
Ce qui n’empêche pas certains gauchistes de nous seriner que… « Mais il y a Le Pen derrière, elle va utiliser les lois liberticides. » Faute de pouvoir regarder le très libéral Macron à l’œuvre, ils s’aveuglent avec les « risques » futurs de ceux qu’ils mettent sous l’étiquette du mal absolu. C’est effectivement plus simple comme cela.
Eh bien, non, justement, on ne peut pas comparer. Pour la bonne raison qu’il faut comparer ce qui est raisonnablement comparable. Les propos des Macron et Castaner, aussi détestables soient ces messieurs, relèvent de la politicaillerie la plus banalement ordinaire. Le sujet du documentaire qui me permet d’évoquer l’épisode du procès David Rousset contre « Les Lettres françaises » a trait à l’un des deux grands crimes de masse du XXe siècle.
L’un des deux plus grands crimes de masse, certes.
Ce n’est pas la quantité de morts qui permet la comparaison – bien entendu, on n’en est pas encore là – mais la méthode de déni de ses propres larcins. Il fut un temps pas si lointain où les libéraux pouvaient admettre leurs excès, leurs maladresses et leurs erreurs. Il semble qu’avec Macron et les macronistes on n’en soit plus là. La réalité des faits est bannie de l’analyse voire même de leur perception. En cela, les choses sont (malheureusement) tout à fait comparables avec l’attitude des staliniens pur jus.
Je crains qu’on n’en soit plus à de la simple politicaillerie avec la méthode Macron même si on n’en est pas encore, loin s’en faut, à la société totalitaire. Il faut tout de même constater que le déni des faits, tel qu’il a lieu aujourd’hui, est un saut qualitatif. Me semble-t-il…