Après la plainte déposée par un étudiant de l’université Paris-Dauphine, victime du sadisme alcoolisé d’autres étudiants lors d’un bizutage, le ministre de l’Enseignement supérieur, Laurent Wauquiez, a cru nécessaire de préciser qu’à l’avenir « la plus grande vigilance » et « la plus grande fermeté » seraient de rigueur face aux pratiques barbares qui président à ce genre de rencontres. Mme Marie-France Henry, présidente du Comité national contre le bizutage, déclarait de son côté qu’elle espérait que « cette affaire allait créer un électrochoc ».
A quelques mots près, ces déclarations sont identiques à celles qu’on a pu lire régulièrement dans la presse au cours des années passées, sans qu’il soit mis fin, une fois pour toutes, à ces affaires sordides et aux « électrochocs » qu’elles sont censées provoquer dans l’opinion publique. Ainsi, il y a quatorze ans de cela, après un énième scandale dans un établissement étudiant, le gouvernement d’alors promettait, dans un élan sublime et par un projet de loi, de montrer désormais « la plus grande vigilance et la plus grande fermeté ». Plus jamais ça ! (air connu…). J’avais eu alors l’occasion de rédiger le billet reproduit ci-dessous et paru dans « Le Monde libertaire » du 23 octobre 1997. Et ça continue…
L’ÉLITE
Dans quelques années, je serai ingénieur de haut rang, cadre de haut niveau, patron d’entreprise peut-être. Dans mes fonctions et ailleurs, on me verra parader, plastronner, prendre des poses, afficher la suffisance, la morgue, le mépris qu’autorisent envers le tout-venant ces longues années d’études et de sacrifices offertes par papa-maman. Il me sera enfin permis d’user de cette autorité imbécile, toute disciplinaire, étrangère aux compétences professionnelles mais sans laquelle il n’est pas de commandement respectable et respecté.
Pour mieux soumettre et dégrader, la tradition, cette camisole de connerie sanctifiée par le temps, me dit, et je le crois, qu’il n’est pas de meilleure école que celle de l’humiliation. Alors, pour l’heure, je déambule à poil et à quatre pattes, une plume dans le cul et les parties génitales enduites de mélasse, léchant les bottes de mes aînés en hautes études et en perversité abjecte, obéissant à des injonctions avilissantes où le fantasme sexuel est roi. L’an prochain, la plume formatrice sera dans le cul d’un autre, les fantasmes éducatifs assouvis seront les miens, et à l’avenir ce sont mes bottes dominatrices qu’on léchera.
Comme la caserne, Arts et Métiers du pauvre préparant la « bleusaille » à une marche au pas à perpétuité, le bizutage huppé des établissements haut de gamme participe de ces us et coutumes qui façonnent les indispensables meneurs d’hommes.
Après la quasi-disparition de la première, il est triste et révoltant de voir le second promis bientôt à un avenir sans joie sadique. Les meilleures intentions se révèlent parfois les pires, et l’on devrait savoir en haut lieu que chaque coup porté contre ce type de nécessaire abjection l’est aussi contre les forces vives de la nation. Contre ceux qui comptent. Contre l’élite.
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