Le 1er septembre dernier, Radio-Libertaire (RL) soufflait les quarante bougies de son anniversaire. Née dans l’euphorie du printemps des radios libres de 1981, ses premières années d’existence ne furent cependant pas de tout repos, comme l’a fort bien raconté Yves Peyraut dans un livre* édité pour les dix ans de la station.
Afin d’apporter une nouvelle contribution à cette histoire, je vous propose ici deux textes parus dans l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste, Le Monde libertaire. Le premier (publié ci-dessous), rédigé alors que RL n’est pas encoré née, figure dans le numéro de l’été 1981 et il est signé Jacky-Joël Julien, l’un des trois fondateurs de RL avec Gérard Caramaro et moi-même. Je suis pour ma part l’auteur du second (à lire demain), paru à la mi-septembre de 1981, une quinzaine de jours après la création officielle de « la Voix sans maître ».
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RADIOS LIBRES : UN PROBLÈME POLITIQUE
par Jacky-Joël Julien
L’arrivée au pouvoir de Mitterrand a accéléré le phénomène des radios dites libres en ce sens que, refusant les saisies de matériel et négligeant les poursuites judiciaires (dont il fut lui-même victime), le nouveau président a fait sortir de l’ombre une multitude de studios d’émissions et, sous peu, la faune des requins à pub. On compte à ce jour (sur Paris) 47 fréquences occupées sur 70 possibles, tant par le PC, le PS, la CGT, le RPR, les cathos intégristes, les ex-autonomes de « Camarades », Le Monde ou Le Parisien libéré. Europe 1 et Le Dauphiné libéré s’entendent comme larrons en foire pour la région Rhône-Alpes. Le Télégramme de Brest lorgne vers les Bretons, beaucoup de quotidiens de province, comme Le Républicain lorrain, ont fait effectuer des stages à quelques-uns de leurs journalistes dans les radios périphériques, et chacun en France se découpe les zones d’influence. Car ne nous trompons pas : si l’apparition de ce nouveau médium n’est certes pas comparable au boom que furent les lois sur la presse de 1881, il n’en est pas moins sûr que ce phénomène de la communication sera déterminant pour les deux décennies à venir.
Un peu d’histoire
Avant 1939, l’Etat n’avait pas plus le monopole des ondes radio qu’il avait celui de la presse. On côtoyait le pire et le meilleur : du plus important Radio-Paris (rappelez-vous « Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ») au poste émetteur très puissant installé en France par nos camarades et qui diffusait des émissions antifranquistes en direction de l’Espagne. Pétain s’appuya sur une vieille loi qui avait (déjà, mais sans effets réels) créé une administration de radiodiffusion rattachée aux PTT pour prendre en main les postes privés. A la Libération, le nouveau pouvoir mit à profit la collaboration de Radio-Paris pour élargir la nationalisation.
Le monopole était né, car un pouvoir quel qu’il soit ne peut laisser disperser cet immense pouvoir d’acheminer instantanément et publiquement toute information. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est devenu actionnaire majoritaire (minoritaire pour RTL) dans les postes périphériques qui n’émettent pas sur le territoire (en Sarre pour Europe 1, Andorre pour Sud-Radio) ; exception pour Monte-Carlo qui émet illégalement à Rémoules (Hautes-Alpes). L’Etat viole ses propres lois quand ça l’arrange, ce n’est pas nouveau.
Quelques secrets d’Etat
Et les chiens de garde du monopole sont nombreux et bien outillés. Dans la région parisienne, par exemple, et sous prétexte d’espionnage (vieille rengaine), le SDECE a un service spécialisé, le GCR – Groupement des contrôles radio – au Mont-Valérien, et des stations d’écoute au fort de Noisy-le-Sec, aux Alluets, à Feucherolles. Il espionne les espions étrangers assez bêtes et assez sous-équipés pour se faire pincer. En fait, il ne sert à rien, sinon à épauler et à renforcer la DST en cas de « subversion intérieure ». Laquelle DST a son service aussi, qui était plein de toiles d’araignées avant les radios libres.
C’est la PCR – Police des communications radios – située 11, rue des Saussaies. C’est elle qui procédait aux arrestations et aux saisies. Elle dispose de camions de repérage et de stations d’écoute (Limours et Boullay). Enfin, TDF a ses stations de brouillage à Limours, aux Buttes-Chaumont, et des camionnettes stationnées à Issy.
N’oublions pas l’armée qui a du très bon matériel (c’est normal, on paie assez cher pour équiper correctement les ganaches). C’est elle qui brouillait en province. Avec le matériel ultra-sophistiqué dont tous ces braves gens disposent maintenant, il est illusoire de jouer à cache-cache avec un émetteur si petit soit-il. Le repérage complet au mètre près, à l’appartement près, est de l’ordre de la minute, le brouillage est presque aussi rapide et de plus en plus difficile à contrer, voire carrément impossible si les brouilleurs font du zèle. L’Etat garde son os férocement.
Père, gardez-vous à gauche
Or la faune politique a changé et cela a créé une situation paradoxale d’arroseur-arrosé très amusante. A l’époque où le PS était dans l’opposition, évidemment court-circuité des grands médias par Giscard, il fut le premier à souffrir du monopole de diffusion. Fin 1976, il démarra un important projet de radio PS avec Maurice Séveno, mais qui fut abandonné vu les résultats des élections de 1978.
Dès lors, les militants PS entrèrent dans la danse des radios pirates et en arrivèrent à la fameuse émission avec Mitterrand, Cité Malesherbes. Ardents pourfendeurs du monopole à cette époque, ils ignoraient qu’en 1981 ils seraient, eux, au pouvoir. Ayant crié hier qu’ils étaient contre le monopole, ils voulaient le conserver aujourd’hui : c’est plus pratique évidemment pour gouverner. C’est la position de Mexandeau, actuel ministre des PTT. Fillioud, ministre de la Communication, semble favorable (enfin, à ce qu’il paraît…) pour quelques radios hors monopole (son fils Patrick s’occupe d’ailleurs d’une radio : Gilda).
Position assez claire du PSU et du MRG : fin du monopole. Pour le PC, c’est à l’image du personnage : ultra soucieux de garder le contrôle de la bonne parole pour les travailleurs, c’est le strict monopole d’Etat avec quelques créations de radios locales (évidemment dans le cadre du monopole) et, tenez-vous bien : tout cela avec pluralité des opinions garantie. Ça ne coûte rien de le dire, mais le faire c’est autre chose. On connaît ces oiseaux. Comme par hasard, la CGT a le même point de vue. Où l’affaire tourne au vaudeville, c’est que, partie prenante d’un gouvernement qui brouille les émissions en attendant de prendre une décision et farouche partisan du monopole, la CGT a une radio pirate officielle actuellement en service (et brouillée !) : Radio-CGT Ile-de-France, plantée sur la tour Lénine à Ivry. Le PC a une radio locale, Radio-Gennevilliers, et le PS plusieurs. Et tout le monde émet et chacun se brouille. Là, le petit jeu à qui sera le plus tartuffe commence à devenir rigolo et carrément lamentable. Pour ne pas être en reste dans ce jeu, le RPR, pourtant gardien sourcilleux et vigilant du monopole, a lui aussi son émetteur (d’ailleurs pas brouillé, ou peu, ou mal) : Alpha 103, installé à Charenton par Griotteray. Holà tous ceux qui se sont fait saisir et condamner, ne croyez-vous pas que ce serait un juste retour de manivelle que de prendre vos appareils et aller faire des sifflements sur 103 MHz à Charenton ? Dans ces déploiements hypocrites où chacun dit et fait exactement le contraire, et inversement si l’on peut dire, la palme doit revenir aux brouilleurs. Car ils sont syndiqués CGT en majorité et rien dans leur cahier des charges ne leur impose de superposer un signal en temps de paix ; pourtant, ils le font.
Père, gardez-vous à droite
D’un côté, le monopole ; de l’autre, les radios et leurs « représentants » maintenant officialisés depuis qu’ils sont reçus régulièrement par Fillioud pour se partager le gâteau éventuel. Qui sont-ils ?
Au début, Antoine Lefébure, qui fut à l’origine et construisit les premiers émetteurs, créa l’ALO – Association pour la liberté des ondes. Rapidement, sa plate-forme (5 minutes de pub par heure) dégénéra et l’ALO en arriva à accepter comme membre la fameuse Radio Fil Bleu, poste giscardien de Montpellier. Scission ou plutôt constitution parallèle de la Fédération des radios libres non commerciales (FRLNC), par Jean Ducaroir. Elle regroupe des radios aux projets associatifs ou collectifs sans aucune pub. Son discours est assez gauchisant et son influence réduite du fait d’approches politiques différentes (une, en fait, pour chaque radio fédérée). C’est l’alliance de la chèvre et du chou. Re-scission et création de la Fédération nationale des radios et télévisions indépendantes (FNRTI) qui, elle, annonce la couleur : radios locales et municipales avec pub locale (on voit tout de suite ce que peut donner une pub locale sur Paris !). Cette FNRTI a élaboré avec l’ALO une plate-forme commune qui est un chef-d’œuvre de jésuitisme : tout le monde jure qu’il faut préserver les nouveaux postes de la grosse pub, mais chacun lui ouvre la porte : 5 minutes de lessive Omo pour l’un et ce qu’on veut (le marchand de canons, par exemple, pourvu qu’il soit local) pour l’autre.
Tentative de description d’un dîner de têtes
Ajoutons à cela les requins à pub genre Thomas Sertillanges (de France Inter) avec Génération 2000, Le Monde avec Radio Cité Future, Canal 75 du PS, Radio-Paris FM du Parisien libéré, Radio Lumière des cathos, Radio-Juif, les projets d’Europe 1 et du Dauphiné libéré, ceux de presque tous les grands quotidiens de province, la reprise d’activités de Lorraine Cœur d’Acier. Mélangeons cela avec 36 positions politiques divergentes, contradictoires. Secouons avec les pro-monopole, les anti (souvent à l’intérieur du même parti!), les grosses boîtes de pub, les fédérations et associations diverses, les brouilleurs CGT brouillant CGT Ile-de-France, les 28 watts de puissance de la radio du Ve arrondissement avec les 2000 watts stéréo du RPR et ouvrons le panier : un cochon n’y retrouverait pas ses petits.
Bien malin celui qui pourrait dire ce que deviendront ces radios dites libres à part que le fric récupérera à terme et de toute façon ce phénomène.
Une seule chose est certaine : ce fantastique moyen de communication et de propagande ne doit pas être réservé aux marchands de soupe, qu’ils soient publicitaires ou dirigeants politiques. Chaque groupe dans sa région et la Fédération sur le plan national doivent préserver l’avenir. Nous sommes comptables de cela vis-à-vis de nos camarades qui nous succéderont.
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* Radio-Libertaire, la Voix sans maître, d’Yves Peyraut, éditions du Monde libertaire, Paris, 1991.
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