2022 devait rester dans les mémoires comme l’année des grandes purges dans le monde de l’art et de la littérature.
Quelques événements survenus au cours des mois précédents en avaient été annonciateurs. Cela avait commencé avec la mise à l’écart de la traductrice néerlandaise des poèmes d’une jeune femme noire américaine, Amanda Gorman, qui avait pourtant validé ce choix. Mais la traductrice, Marieke Lucas Rijneveld, présentait la particularité coupable d’être blanche et non binaire. Bye bye Marieke, donc.
Dix jours plus tard, c’était au tour de Víctor Obiols, traducteur catalan de cette même poétesse, de se voir récusé. Bien que fort compétent dans son domaine, détail devenu sans importance, il n’était ni femme, ni noire, ni activiste en genre et race. Ce fut rédhibitoire. Exit Víctor.
Mais l’affaire qui allait ouvrir avec succès la nécessaire période purificatrice que l’on connut en 2022 et les années suivantes fut celle du comédien britannique Eddie Redmayne. Pressenti pour jouer le rôle d’Einar Wegener, un artiste peintre danois du début du XXe siècle qui change d’identité de genre et devient Lili Elbe, ce salopard avait accepté, pensant alors qu’un comédien pouvait ainsi impunément se glisser dans la peau d’un personnage qu’il n’est pas dans la vraie vie, et croyant de surcroît que le public venait voir des comédiens pour simplement les voir jouer la comédie, sans avoir une Cause sacrée à incarner en permanence. Fort heureusement, sa parfaite hétérosexualité fut révélée et il dut publiquement faire part de ses regrets d’avoir accepté ce rôle dans lequel, précision sans grand intérêt par ailleurs, il se montra remarquable.
Mais l’époque était encore laxiste et lesdits traducteurs comme ce comédien s’en tirèrent hélas sans grands dommages et purent continuer à exercer plus ou moins aisément le métier qu’ils aimaient.
Ce ne fut pas le cas, dieu merci, de ce comédien italien qui depuis trois mois triomphait au théâtre dans le rôle de Bartolomeo Vanzetti et passait chaque soir sur la chaise électrique au cri de « Vive l’anarchie ! », jusqu’au jour où l’on apprit par son épouse, dans un entretien accordé à un grand quotidien romain, qu’il votait pour un parti centriste à chaque rendez-vous électoral dans son pays. Une commission politico-culturelle composée de révolutionnaires scrupuleux obtint sur-le-champ qu’il fût remplacé par un acteur authentiquement libertaire, mauvais comme un cochon mais qui offrait la garantie d’être abonné depuis deux ans au moins à diverses publications anarchistes italiennes. On sut par la suite que le comédien malhonnête évincé, désormais interdit à vie de fréquentation des lieux culturels, travaillait dans le bâtiment sous un régime de semi-liberté.
L’autre fait marquant concerna cet acteur anglais, pas même londonien, à qui un réalisateur irresponsable souhaitait confier le rôle de Jack l’Eventreur. Le tournage allait commencer quand il fut révélé juste à temps que ledit comédien n’avait en réalité jamais tué personne. On passa tout près de l’Authenticité bafouée, et l’affaire fit grand bruit. On rattrapa le coup en faisant sortir de cellule un détenu, comédien amateur durant sa jeunesse, qui purgeait une peine de prison à vie pour avoir, cinq ans auparavant, assassiné son épouse et ses trois enfants, qu’il avait dépecés avec minutie. L’imposteur initialement prévu prit sa place en cellule. Le réalisateur négligeant fut condamné aux travaux forcés aux Malouines.
L’adaptation de Roméo et Juliette dans un grand théâtre parisien offrit elle aussi son petit scandale. Le jeune premier beau comme un ange qui à chaque représentation se tapait la petite Capulet était en fait tout ce qu’il y a de plus homosexuel. Le lobby gay intervint toutefois pour que sa peine ne fût pas trop lourde. Il livre aujourd’hui des pizzas bon marché, à bicyclette, dans les rues de la capitale. Un participant à une soirée branchée qui crut opportun d’amuser la galerie en lançant à la cantonade qu’il aurait même un bon coup de pédale croupit depuis au bagne de Guyane, dont l’Ordre des comportements et propos convenables (OCPC) a obtenu l’heureuse réouverture.
Les années ont passé, le meilleur des mondes est enfin advenu.
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