Le site officiel du Monde libertaire ayant mis en ligne l’éditorial du dernier numéro paru, je me suis empressé d’en lire le contenu.
Et je tombe sur cette phrase : « Nous, anarchistes, avons toujours pensé que le parlementarisme était aussi oppressif que les dictatures les plus assumées. » Je venais de publier sur mon propre blog, quelques minutes auparavant, une de mes chroniques régulières consacrées à Cuba faisant état des peines de prison requises – de 13 à 27 ans, quand même ! – contre des gens dont le crime est d’avoir simplement manifesté aux cris de « A bas la dictature ! ». Je les ai imaginés un instant lisant cet éditorial… avant de réaliser qu’une publication anarchiste, aussi anti-impérialiste soit-elle, ne pouvait circuler là-bas.
Je me demande sur quoi se fonde l’auteur de cet édito pour asséner une telle affirmation. Car il n’est pas vrai que « nous les anarchistes » ayons mis sur un même plan les systèmes dictatoriaux et parlementaires. Bien des plumes libertaires ont su, tout au contraire, établir des différences fondamentales entre eux, tout en soulignant la nécessité de les combattre. Sans éprouver de sympathie ni pour l’un ni pour l’autre, est-il permis de penser qu’il existe quelques différences entre Adolf Hitler et François Bayrou sans aussitôt passer pour un traître à la Cause ? Sans non plus se faire d’illusions sur l’attachement des démocraties parlementaires à la liberté d’expression, peut-on se demander s’il est possible d’écrire pareil édito et plus encore de le publier dans une « dictature assumée » ?
Je veux bien qu’en l’absence d’occupant nazi et de maquis du Vercors une conduite immature, trop souvent présente au sein des milieux anarchistes, amène certains agités à jouer les résistants d’opérette en s’imaginant « armée des ombres », mais nul n’est tenu de prendre cela au sérieux. Et Le Monde libertaire a toujours su se démarquer de tous ces « antifascistes » et « anars » radicalisés, planqués sous pseudonymes, qui ne savent que cracher invectives et injures sur les réseaux sociaux et les plateformes de « débat » où pullulent des parallèles aussi hasardeux.
Nulle cause ne peut prétendre triompher sans convaincre. Croit-on vraiment, « nous les anarchistes », que c’est avec ce type de formules maximalistes et de radicalisme puéril dont se repaît le microcosme militant que l’on sera pris au sérieux ?
On hésite entre l’indignation, la honte, la rage face à cette pitoyable surenchère du radicalisme verbeux.
Cette posture, ça ne vaut pas un autre mot, relève aussi du grotesque et du pitoyable.
Me reviennent ainsi en mémoire des courses au cliché « héroïque » dont en particulier une célébration de 1er Mai :
Un camion plateau portait une sono enchaînant les chants révolutionnaires en tête de la manif dont le parcours se terminait place de la République. Il fallait alors rendre le camion à l’entreprise de location.
Alors, sono à fond – on ne recule pas dans la radicalité – le véhicule traversa tout Paris – on ne recule pas, vous dis-je – lançant les chants de la guerre d’Espagne. Cheveux et fière moustache de combattant offert au vent de l’histoire, un camarade, virilement sanglé dans une veste de cuir (on hésite entre Durruti et Malraux), se tenait debout, dressé derrière la cabine. L’image était émouvante, puissante – No pasaran ! -, le camion portait sur ses flancs, la où nos camarades de 36 avait peint « CNT-FAI », ces simples mots qui disaient mieux qu’aucun discours le passage de l’histoire : « LOUEZ VALEM ».
Sérieusement, Floréal ? Je suis un lecteur assez assidu de ton blog, et donc je suis presque honoré de me retrouver dans la situation de celui qui se fait taper sur le museau avec la verve qu’on te connaît mais… quand-même… sur un édito, pas très long, j’en conviens, venir sortir un petit bout de phrase et en faire toute une montagne, je me demande si en prenant ton café hier matin, tu ne t’es pas demandé si, à court d’inspiration, tu n’allais pas sauter sur la première formulation un peu malheureuse venue. Bim ! C’est sur bibi que ça tombe, puisque l’auteur de cet édito, c’était moi.
Mon étonnement tient à ce que je te trouve très prompt à réagir à une petite phrase qui semble te causer un bien grand émoi, alors qu’au pire, on pourrait tout au plus parler d’une formulation maladroite. C’est un usage comme un autre de bondir sur tout ce qui va de travers à la FA ou dans le ML. Je ne suis pas certain, pour autant, qu’on va être davantage pris au sérieux. « Y en a pas un sur cent et pourtant… » ils arrivent à se bouffer le nez… sur un petit bout de phrase.
Je ne nie pas que ton interprétation de cette phrase puisse en effet la rendre fort discutable. Mais il me semblait assez clair que, sans avoir à l’expliquer, il ne serait pas passé à l’esprit du lecteur ou de la lectrice de comprendre dans cette phrase qu’aucune différence n’existait entre Bayrou et Hitler. Allons-y gaiement dans l’usage d’une bonne vieille rhétorique de l’excès ! « Si vous dites ça, alors vous dites que Bayrou et Hitler, c’est kif kif. » Argument fallacieux, pourrait-on dire, sauf que ce n’est pas un argument. C’est un sophisme.
Au demeurant, le problème n’est pas Bayrou (ni Macron ni [case à louer] dans ce cas de figure, mais l’État. Et nous avions bien deviné que la France ou la Belgique, démocraties si imparfaites soient-elles, ne sont pas Cuba. C’est un édito, pas un article de fond : pas forcément évident de ne pas risquer de manquer de nuance quand on veut condenser un grand nombre d’idées dans un texte court. Et puis bon, que celui qui n’a jamais usé d’une formulation maladroite dans un texte me jette le premier encrier !
Je pense pouvoir me remettre de la pique contenue dans ce billet d’humeur, d’autant plus aisément que, malgré que mon ton puisse sembler acerbe, j’apprécie et apprécierai encore ta plume vigoureuse.
Comme dit plus haut, pour une fois que ça me tombe sur le museau, je ne vais pas m’en plaindre !
Cher Christophe
Je vais te surprendre, mais en buvant mon café le matin mes premières pensées ne vont pas vers la FA et le ML. Et ma perversité ne va pas jusqu’à me dire : « Tiens, quel copain anar vais-je bien pouvoir clouer au pilori aujourd’hui ?! » Crois-moi, j’aimerais mieux faire autre chose. Et d’ailleurs je fais autre chose, comme tu l’auras remarqué en lisant mon blog.
Bon, je comprends que tu minimises l’importance négative qu’a la phrase que tu as écrite dans l’édito en la qualifiant de « maladresse », mais si j’ai écrit ce billet c’est bien parce que je la considère bien plus dommageable qu’une simple maladresse. L’état déplorable dans lequel se trouve réduit le mouvement libertaire ne nous permet pas, je pense, de laisser passer pareille affirmation. Tu exagères en disant que j’en fais une montagne. S’il ne s’était pas agi du ML j’aurais été plus long et surtout plus saignant, car encore une fois ça me paraît grave d’écrire ça.
Tu écris : « C’est un édito, pas un article de fond. » Mais justement ! L’éditorial d’un journal, par définition, est censé représenter le point de vue de l’organisation dont il est l’organe. Cette phrase glissée dans un article des pages intérieures aurait moins de portée, et je n’y aurais sans doute pas réagi, d’ailleurs. Là, ça m’a énervé et attristé.
Cela dit, je m’en suis remis. Et cela dit sans démagogie, je trouve plutôt le ML bien fait et intéressant… contrairement à Radio-Libertaire. 🙂
Fraternellement.
L’édito est censé représenter le point de vue de l’organisation. Mais une seule personne le rédige. Si celle-ci proposait son point de vue à l’organisation avant de le publier, ce type de « maladresse » se produirait moins fréquemment. Et l’édito représenterait réellement le point de vue de l’organisation. (À condition, cela va de soi, de tenir compte des avis exprimés.)
« On hésite entre l’indignation, la honte, la rage face à cette pitoyable surenchère du radicalisme verbeux.
Cette posture, ça ne vaut pas un autre mot, relève aussi du grotesque et du pitoyable. »
T’as raison Jean, ça me rappelle la une d’un autre Monde libertaire qui titrait « le triomphe de l’anarcho-syndicalisme » quand un grand nombre d’anarchistes se sont réunis sur une colline de Montjuic en 1977… ça ne nous rajeunit pas tout ça, allez tu m’remets la ptite soeur, mon verre est vide !
La une du « Monde libertaire » que tu évoques n’a rien à voir avec le meeting de Montjuic. Elle faisait suite au premier congrès post-franquisme de la CNT, à Madrid, qui a vu la scission entre la CNT « classique » et la CNT dite « rénovée ». Cette une était destinée, entre autres, à énerver tous ceux qui avant ce congrès n’avaient cessé de magouiller au sein de cette organisation, ainsi qu’à agacer les tenants français de la CNT « rénovée », anciens membres de l’Alliance syndicaliste, ce qui fut le cas.
« L’édito est censé représenter le point de vue de l’organisation. » Le congrès a mandaté le CRML (comité de rédaction du Monde Libertaire). On peut penser que les militants du CRML connaissent les principes de base de la Fédération Anarchiste, et sont d’accord avec, et connaissent donc (a priori) le point de vue de l’organisation. Liberté à eux de s’exprimer ensuite dans l’édito, le choix des articles, etc. Si ça ne va pas, révocation. Je ne suis plus à la FA mais je vois mal comment faire lire l’édito à tous les groupes et militants, récupérer leur opinion, et publier si ça fait l’unanimité. J’ai participé au CRML un an (2001-2002), à mon époque c’était un édito par semaine, qu’on écrivait souvent le dimanche avant de finir le journal, souvent en reprenant un peu les thèmes des divers articles, je vois mal comment le faire lire avant de publier (l’envoyer par email ? Et les groupes / militants qui n’ont pas accès à internet ?). Pis liberté au CRML de faire son boulot (dans le respect des principes de base) et de faire un bon journal, du mieux que les militants du CRML le peuvent. L’organisation mandate, et dispose des moyens de contrôle (révocation).
« L’édito est censé représenter le point de vue de l’organisation », ça ne veut évidemment pas dire que tous les adhérents doivent lire et approuver le texte avant publication. Ce serait absurde, même dans une organisation comptant aussi peu d’adhérents que la FA. C’est bien sûr au comité de rédaction mandaté de décider de ce qu’il publie. Je veux simplement dire que c’est, au sein du journal, l’article dont le contenu doit être particulièrement soigné, dans la forme comme dans le fond, c’est tout.
On peut penser que les militants du CRML connaissent les principes de base. Mais les principes ne peuvent pas empêcher les maladresses ni les désaccords. Par exemple, tous les membres de la FA se disent antiracistes mais il y en a qui aiment les blagues antisémites…
L’édito pourrait être envoyé sur une liste mail avant publication. D’autres journaux le font. Puisque ce court texte doit être particulièrement soigné, ça permettrait de voir s’il n’y a pas d’opposition de principe et de rectifier les maladresses. Tout le monde n’a pas internet, mais beaucoup plus que le nombre de participants aux congrès. Quant à la révocation, ça reste un principe purement formel à la FA.
Il y a une autre possibilité : signer l’édito. Ça se fait aussi dans d’autres journaux.
Ce qui me paraît absurde, c’est de mandater quelqu’un pour s’exprimer au nom d’une organisation dont les membres devront ensuite expliquer que son article ne représente pas leur point de vue.
A chaque congrès, un comité de rédaction est nommé. C’est à lui de faire le journal. Faire une sorte d’assembléisme par internet pour savoir si tous les adhérents approuvent le contenu de l’édito serait un fonctionnement invraisemblable.
Si le comité de rédaction fait bien son boulot, demander si personne ne désapprouve l’édito devrait dans la plupart des cas ne susciter aucune réponse. En cas de maladresse, une courte discussion devrait suffire.
De toutes façons, il est courant que les membres de la FA qui désapprouvent le point de vue de leur organisation le fassent savoir sur la liste de discussion interne. Une sorte d’assembléisme par internet, mais après coup…