« Aujourd’hui, on n’a plus le droit ni d’avoir faim ni d’avoir froid. » Cela fait trente-cinq ans qu’on nous assène ce refrain, chanté le plus souvent par des gavés du showbiz. Au 31 décembre, près de 13000 « aujourd’hui » se seront donc succédé, au cours desquels de plus en plus d’individus à la dérive auront attendu en vain qu’il soit mis fin à cet étrange « droit ». Mais chacun sait bien que, sans un bouleversement complet qui va bien au-delà de l’isoloir et des querelles de clocher politiciennes, cela perdurera et qu’une honteuse charité publique continuera de servir de politique sociale aux décideurs à venir, comme elle l’a été jusque-là pour les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, dont pas un n’aura même su contenir la progression constante de la misère.
En cette période de fin d’année, il n’est pas que les seuls Restos du cœur pour faire appel au porte-monnaie. La charité, qui fut, reste et restera le contraire de la justice sociale, bat son plein. Un tout petit moment passé devant le petit écran suffit à se voir sollicité par Handicap International, Médecins du monde, l’Institut Curie, l’Unicef, l’Institut du cerveau, et j’en passe. On ne sait plus où donner de la pièce.
Pour inciter au don, de gentilles vedettes apprivoisées viennent parfois prêter leur concours à ce scandale permanent, jamais dénoncé, qu’est cette honte du recours à la quête et au bon cœur dans ces domaines du handicap, du cancer et autres fléaux. Pas une once de révolte, pas l’ombre d’un début d’accusation, pas un mot de travers qui pourrait déplaire aux responsables du désastre ou à l’Industrie culturelle dont ils dépendent.
Il y a bien des années, alors qu’on lui demandait, sur une chaîne de télévision, ce qu’il pensait du monde dans lequel nous vivions, Lény Escudero, avec un sentiment profond d’indignation, répondit, exemples à l’appui, que c’était « un monde de merde » (voir vidéo ci-dessous). Vous voyez une de ces stars militantes et médiatisées de la curetonnerie généralisée nous dire cela aujourd’hui ?
A vot’ bon cœur, m’sieurs dames !
21 décembre 2020 par Floréal
Lény Escudero, un artiste révolté pour qui la misère n’était pas qu’un concept pour vendre du vinyle…
Merci Floréal. Je ne change pas une virgule.
Grâce ou à cause de la Covid, les Restos du coeur pètent le feu, jamais autant de clients pour ces boutiques de la faim et de la misère, pour les Enfoirés qui portent bien leur nom, faudrait-il rappeler à ces ignares à paillettes qu’à Paris, en 1897, disparaissait dans un gigantesque incendie le Bazar de la Charité.
Deux bons bouquins sur le sujet : Les Naufragés et Le sang nouveau est arrivé, de Patrick Declerck:
Les Naufragés, avec les clochards de Paris :
« La charité hystérique caractérise le style de l’aide apportée, très souvent inadaptée. Les besoins réels de la population semblent impossibles à penser concrètement. C’est cette désinvolture de l’esprit qui se satisfait de l’affect lié à la représentation qui est hystérique : la pensée s’y épuise dans l’émotion de l’identification douloureuse. Cette confusion identificatoire (caractéristique du christianisme, note Declerck) apparaît aussi bien dans le geste du passant, ému pour un instant, qui décharge son malaise par une aumône ponctuelle et retrouve ainsi la liberté psychique de poursuivre sa route, et les pratiques d’aide qui ne cherchent à remédier qu’au visible de la souffrance. »
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2002-3-page-961.htm
Le sang nouveau est arrivé :
« Clodo est là pour enseigner cette terrible vérité : la normalité est sans issue. Sous le masque bienveillant de nos démocraties se cache cette totalitaire injonction : Citoyen sera productif ou lentement, et sans bruit, mis à mort. Qu’on ne s’y trompe pas. La souffrance des pauvres et des fous est organisée, mise en scène, nécessaire. La République tout entière verse des larmes de crocodile à la mémoire de nos chers disparus de la rue. Clodo vivant embarrassait ; voici son cadavre, garanti pur misérable hypothermique, déclaré d’utilité publique. »
https://www.babelio.com/livres/Declerck-Le-sang-nouveau-est-arrive–Lhorreur-SDF/31560
Disponibles évidemment à la librairie Publico :
https://www.librairie-publico.com/