Anne Sylvestre s’en est allée. Moi qui ai cheminé un temps dans les allées de la chanson avec l’aventure du Forum Léo-Ferré, et un peu connu la dame, je me disais qu’il faudrait quand même publier ici quelques mots. L’avalanche d’hommages qui a déferlé sur les réseaux sociaux dès l’annonce de sa disparition m’en a d’abord dissuadé, beaucoup de fans y voyant une occasion de parler surtout d’eux-mêmes, ce qui a eu pour effet de me déprimer. Sur Facebook, où les « Moi et Anne Sylvestre » pullulaient, je me suis donc contenté de publier une vidéo d’elle, où elle chante. Sous la vidéo, des amis ont commenté. Dont l’auteur compositeur interprète Sarcloret, et son commentaire était à ce point bienvenu que je lui ai demandé de pouvoir le reproduire ici. Je n’aurais pas fait mieux. Merci à lui.
Je voudrais revenir sur la disparition de notre copine Anne Sylvestre. Pas pour dire : « C’est bon, Anne, tu peux y aller, je m’occupe de la chanson », mais pour dire que les pleureurs et pleureuses, pour certains, se trompent de ton (et merci à François Morel).
Premièrement, partir d’un AVC à 86 ans, avec un agenda plein de rendez-vous, c’est top. On va pas porter plainte contre sa nourrice.
Deuxièmement, pleurnicher que France Inter ne faisait pas son travail en ne la diffusant pas, c’est gland. France Inter ne diffuse pas non plus Brel, Brassens, Barbara, Caussimon, Gilles et Trenet, tous individus qui faisaient aussi des bonnes chansons à base de belles mélodies, octosyllabes irréprochables, bonne nourriture en image, arrangements au cordeau. Le travail de France Inter serait de faire savoir au plus grand nombre que des gar·ce·s comme Yoanna, Loic Lantoine, Camille Hardouin, Batlik, Stef Sanseverino, Nicolas Jules, Boule, etc., continuent un boulot qui est de faire évoluer une chanson musicale, pleine de sens et de poésie mais sans simplisme, plutôt que de faire croire que Benjamin Biolay laisse quelque chose dans la passoire. C’est pas Gauvain Sers qui dira le contraire.
Troisièmement, Anne Sylvestre était complètement capable de dire des horreurs rigolotes, et le ton pour parler d’elle ne doit pas être au-dessous de cette capacité à la rigolade. Je me suis, une fois, permis de lui dire que ses arrangements étaient datés au carbone 14, et elle a pas aimé ça du tout, un peu parce qu’elle avait l’habitude qu’on lui passe la brosse à reluire, et peut-être un peu parce qu’elle se rendait compte que je n’avais pas tort à 100%, une pointe de regret… Elle rendait les vacheries sans état d’âme, et sur un ton sans réplique.
Un jour elle était à Avignon où elle devait chanter un soir ou deux dans le Festival. Il y avait une journaliste qui lui posait des questions dans la rue et qui lui demandait pourquoi elle avait envie de jouer à Avignon. Je me suis interposé comme un cochon pour dire à la journaliste : « On joue à Avignon quand on est dans la merde », et Anne a rigolé et à répondu à la journaliste : « Oui, c’est exactement ça. »
Je ne suis pas convaincu que le concours de fan-selfies auquel on a assisté à sa mort aurait déclenché son enthousiasme ni son hilarité.
J’écoute Anne depuis un peu plus de cinquante ans, elle a fait incontestablement avancer la chanson, et je sais ce que je lui dois. Mais je pense que ceux qui la pleurent le plus, ce sont ceux qui voudraient que la chanson se fige dans la forme où Anne l’a mise quand elle a inventé sa façon de faire, alors que dans l’arbre généalogique de la chanson, depuis lors, on est passé par Gainsbourg, Béranger, Annegarn, Vassiliu, Couture, Thiéfaine, Desjardins, etc., et qu’il faut bosser ce domaine dans un paysage renouvelé.
« Tiens-toi droit, si tu t’arrondis, t’auras l’air d’une arche…
Tiens-toi droit, si tu t’arrondis, j’aurai l’air de quoi …? »
Sarcloret
Je n’ai pas connu Anne Sylvestre, je ne suis jamais allée la voir en concert, je ne suis même pas allée écouter Lise Martin et Nicolas Duclos interpréter ses chansons au Forum Léo-Ferré. Et pourtant malgré – ou grâce à – son petit côté vintage, elle représentait quelque chose d’important dans mon paysage intérieur. Parce qu’au-delà de la forme qu’on peut plus ou moins aimer, il y avait le fond de certaines de ses chansons, comme « Non, tu n’as pas de nom » – une chanson « sur l’enfant ou le non-enfant », qui touchait au coeur les femmes qui se posaient la question de l’avortement. Je ne vois aucune chanson équivalente même chez les chanteurs et chanteuses modernes. Je suis heureuse de voir un hommage à Anne Sylvestre sur un blog libertaire.
« Moi et Anne Sylvestre »… ou Anne Sylvestre et moi… Peut-être que ces nombreux témoignages sont générés par le fait qu’Anne Sylvestre était très souvent dans les salles de spectacle, et des petites, je ne me souviens pas avoir vu une autre artiste de premier plan aussi souvent dans le public… Avant de la voir en concert, dans mes premières années parisiennes, je l’avais croisée plusieurs fois, la première c’était à l’Archipel, où elle était venue seule.
Pas mal, mais vous parlez aussi de vous…
« Mais je pense que ceux qui la pleurent le plus, ce sont ceux qui voudraient que la chanson se fige dans la forme où Anne l’a mise quand elle a inventé sa façon de faire, alors que dans l’arbre généalogique de la chanson, depuis lors, on est passé par Gainsbourg, Béranger, Annegarn, Vassiliu, Couture, Thiéfaine, Desjardins, etc., et qu’il faut bosser ce domaine dans un paysage renouvelé. »
Quant à moi je ne pense pas que ce qui est « nouveau » est forcément plus intéressant que ce qui est ancien. Par exemple j’adore les chansons du Moyen Age et beaucoup d’artistes « novateurs » n’ont pas fait mieux depuis…
Par ailleurs « ceux qui la pleurent le plus » peuvent avoir des motivations très variées pour la pleurer, je ne suis pas convaincue qu’ils voudraient que la chanson « se fige »: on peut aimer à la fois des chansons anciennes et modernes.
Et alors à vous lire, on est encore obligé de choisir entre le fromage et le dessert ou on peut profiter et apprécier les deux ?
Obligé ? Je ne vois dans cet article aucune injonction à ne plus écouter Anne Sylvestre et à se tourner vers d’autres artistes, et encore moins de sanctions prévues si désobéissance.
J’ai découvert Anne Sylvestre il y a peu finalement, et je savoure la qualité de son écriture, son engagement pour la cause des femmes (en des époques d’hier mais nécessaires encore aujourd’hui). Je ne l’ai donc jamais vue en concert. Je me passionne aussi sur ce qui a été son enfance et son ado, par la lecture des livres de Marie Chaix. Bref, j’admire la personne car c’est tout de même grâce à son entêtement qu’elle est arrivée à chanter, chanter sur scène, enregistrer, vendre des disques, cd, etc.
Je vous trouve très condescendant vis-à-vis de ces personnes qui la pleurent, et même, même si en parlant d’Anne Sylvestre elles parlaient d’elles aussi, ça voudrait bien dire qu’Anne a su exactement quoi écrire, chanter, sur son époque, sur les femmes de sa génération ou pas, ou presque.
Moi aussi je suis très triste de son départ, même si, oui, elle avait 86 ans, semblait avoir la forme et plein de projets, il y a pire en effet.
Et je ne pense pas que ses fans aient dit « Moi et Anne Sylvestre ». D’ailleurs, on ne dit pas « Moi et » mais Anne Sylvestre et moi. Et alors ?
Et qui vous parle de figer un genre ? Mais qu’est-ce que ça peut bien faire tout ça ? Oui il y a eu Gainsbourg et bien d’autres, et alors ? En viendront encore d’autres, seront-ils meilleurs parce que périodes post-Sylvestre, etc. ? Il y aura des enchanteresses, enchanteurs et du moche, mal écrit, mal chanté, comme maintenant. Arrêtez de juger, vous aussi vous faites du moi et Anne Sylvestre !
Sylvie
En ce qui concerne l’introduction à l’article, vous n’avez manifestement pas compris. Si j’ai écrit volontairement « Moi et Anne Sylvestre », et non « Anne Sylvestre et moi », c’est précisément pour souligner le fait que bien des admirateurs réels ou supposés de cette artiste parlent avant tout d’eux-mêmes dans leurs hommages, plutôt que de l’artiste dont ils pleurent la disparition. Pour le reste de votre commentaire, je laisse le soin à Sarcloret, l’auteur de l’article, d’y répondre, s’il le souhaite.
Floréal
Bien sûr on n’est pas « obligés » au sens propre d’écouter des artistes « modernes » plutôt qu’Anne Sylvestre. Et cet hommage comporte aussi des points positifs (« je sais ce que je lui dois »…).
« Je me suis, une fois, permis de lui dire que ses arrangements étaient datés au carbone 14, et elle a pas aimé ça du tout, un peu parce qu’elle avait l’habitude qu’on lui passe la brosse à reluire, et peut-être un peu parce qu’elle se rendait compte que je n’avais pas tort à 100%, une pointe de regret… »
Est-ce que je suis la seule à comprendre cette remarque comme une critique, qu’apparemment elle avait elle-même ressenti comme un peu blessante ?
Quant au passage sur les supposées motivations de « ceux qui la pleurent le plus », je ne suis simplement pas d’accord: on peut aimer des arrangements un peu « datés au carbone 14 » (jusqu’à aimer comme c’est mon cas des chansons médiévales…) sans vouloir pour autant que « la chanson se fige dans la forme », etc. En tout cas merci d’en avoir parlé: je considère Floréal comme un spécialiste de la chanson française de qualité, or je considère qu’Anne Sylvestre faisait de la chanson française de qualité et que sa mort ne pouvait pas passer inaperçue.
C’est gentil de vouloir faire de moi un « spécialiste », mais non, je ne le suis pas, et je ne dis pas ça par fausse modestie.
En outre, quand je vois ce que sont la plupart des spécialistes, je n’ai pas envie de l’être. 🙂 🙂 🙂
Sarclo et Floréal, vous dites ce que vous voulez, c’est un fait entendu comme dirait Genet. Mais en ce qui me concerne perso, je ne vous donne pas le droit de qualifier mes sentiments, quels qu’ils soient, envers Anne Sylvestre (ni envers qui que ce soit, d’ailleurs). Vous faites de la lecture de pensée, là… « Ceux qui la pleurent le plus », « Y voyant surtout une occasion de parler d’eux-mêmes » et autres généralisations du même cidre. Et alors, s’ils ont (un peu) besoin de parler d’eux, tous ces gens-là. S’ils ne trouvent pas d’autres façons de dire leur chagrin ? Y z’ont pas droit ? Y a des normes à respecter ? Et vous, Sarclo, que faites-vous d’autre dans ce post que de parler de vous et, tout en vous en défendant, de filer au passage vos « proximités » avec Anne S. Ça m’énerve, les phrases qu’on perçoit (que je perçois, pardon…) prononcées le doigt en l’air et le gosier anarchique ! Voilà, j’avais envie de dire ça. Et j’ajoute que pour ma part je me suis contentée de partager des posts.
Si vous vous êtes « contentée de partager des posts », vous ne pouvez être visée quand je parle de ceux qui voient dans la disparition d’un(e) artiste l’occasion de parler d’eux-mêmes. Il faut voir quand même ce qui s’est publié sur les réseaux sociaux, où certains témoignages frisent l’indécence. Je ne vois pas ce que le droit ou les normes viennent faire là-dedans. Chacun écrit ce qui veut, cela va de soi, mais il est aussi permis de commenter ce qui se dit ou s’écrit, surtout quand l’égocentrisme ou le ridicule dominent. Par ailleurs, je ne veux pas faire parler la morte, mais je suis convaincu que tout ça n’aurait guère été du goût d’Anne Sylvestre.
N’ayant pas connu Anne Sylvestre je ne peux me fier qu’au message de Sarcloret: il dit clairement que sa critique « ne lui avait pas plu du tout ». Et ce message ne parle pas seulement des artistes concurrents qui tirent la couverture à eux à l’occasion de ce décès, mais de ceux « qui la pleurent le plus » en général. C’est sans doute de la maladresse, mais on peut comprendre que les fans qui la pleurent se sentent également visés…
Et en parlant d’artistes concurrents, je ne suis pas sûre que tous les chanteurs soient ravis de voir un autre chanteur s’interposer alors qu’ils sont interrogés par un journaliste. Au moins ça démontre qu’elle ne tirait pas la couverture à elle et qu’elle avait de l’humour et bon caractère!
Dernier point de détail: « Premièrement, partir d’un AVC à 86 ans, avec un agenda plein de rendez-vous, c’est top. On va pas porter plainte contre sa nourrice. » Est-ce que je suis la seule à trouver également la formule maladroite, en ces temps de COVID où on répète que c’est pas si grave de voir mourir des gens âgés ? Même à cent ans passés, on peut ne pas trouver « top » de mourir, avoir envie de vivre encore.
Quoi qu’il en soit, l’essentiel est de parler d’elle, même de façon critique. Au moins sa disparition ne sera pas passée inaperçue dans le milieu libertaire.
Je découvre ces échanges un peu tard, pardon.
Oui, Anne avait beaucoup d’humour. Il en faut pour écrire « ça ne se voit pas du tout ». Et en plus, sauf votre respect, elle avait un caractère de cochon. Et moi aussi, avec votre permission, j’ai de l’humour et un caractère de cochon. De plus, j’ai en horreur les gens qui ont le deuil démonstratif, ça doit être mon côté protestant.
J’ai passé de très jolis moments à déconner avec elle, et ses chansons m’ont vraiment habité et soutenu lorsque j’étais adolescent et un peu après.
J’ai peut-être eu une épouse qui chantait trop souvent « Non, tu n’as pas de Nom » quand elle avait un verre dans le nez, mais ça, c’est vraiment secondaire…
Je ne mets pas le moindre bémol à mon admiration, ni pour elle ni pour son oeuvre, c’est juste que les propos émus publiés à sa disparition me semblaient venir de cette frange de ces admirateurs de la chanson qui en mesurent la qualité en en vérifiant l’obsolescence, et ces gens ont tendance à me les briser menu.
J’ai été très ému, quand je suis allé écouter Loïc Lantoine aux Bouffes du Nord, en duo avec mon ami François Pierron, de voir qu’il y avait une salle pleine et émue pour écouter cette chanson-là. Cette chanson que font avancer Yoanna, Nicolas Jules, Bernard Adamus, Sansev, et tous les copains pour lesquels on s’est cassé le cul à construire le théâtre Thénardier.
Merci pour ces précisions, c’est vrai que le premier texte ne ruisselait pas vraiment d’affection ni d’admiration!
Je ne me prononcerai pas sur ceux qui ont le deuil démonstratif, je pense que si quelqu’un que j’aime et j’admire décède j’aurai sûrement moi aussi tendance à l’exprimer et pourquoi pas publiquement, avec anecdotes, etc.
En fait ce qui m’a perturbée dans ton article c’est surtout ce passage:
« Premièrement, partir d’un AVC à 86 ans, avec un agenda plein de rendez-vous, c’est top. On va pas porter plainte contre sa nourrice. »
Ce passage m’a beaucoup peinée. Sans entrer dans les détails (pour ne pas avoir le deuil trop démonstratif…) j’ai perdu récemment une personne proche âgée de 96 ans. Je n’ai pas du tout trouvé ça top. Je suppose qu’Anne Sylvestre aussi devait avoir des proches qui n’ont pas trouvé « top » son décès, même à cet âge…