L’article d’Ivan Leon ci-dessous a été publié sur le site « Cibercuba ». Alors que la propagande castriste, et ceux qui ici la reprennent à leur compte sans n’y rien connaître, n’a cessé de mettre l’accent sur les domaines de la santé et de l’éducation, deux secteurs aujourd’hui en mauvais état à Cuba, c’est dans le domaine de la répression que le régime continue d’apporter toute son attention, ce dont témoignent, entre autres, les chroniques régulières consacrées à des cas concrets et publiées ici même. Loin d’être le pays de la culture et de la santé pour tous, Cuba, véritable propriété privée des Forces armées, est désormais, après soixante et une années de dictature, le pays de la matraque pour tous.
En pleine crise sanitaire et d’approvisionnement qui frappe Cuba, la Police nationale révolutionnaire (PNR) a publié il y a deux mois sur son site web l’annonce d’une campagne de recrutement de chauffeurs pour l’unité de patrouille provinciale de La Havane. Outre les conditions à remplir par les personnes intéressées, la note fournissait des informations sur la rémunération pour ce poste : « 1400 CUP (1) par mois et primes supplémentaires suivant la spécialisation, la catégorie professionnelle, le temps de service, ainsi que la perception d’un double salaire deux fois par an ».
Selon l’Office national cubain des statistiques et de l’information, le salaire moyen dans le secteur de la santé et de l’assistance sociale était de 965 CUP en 2019 , et dans le secteur de l’éducation de 783 CUP. Si nous comparons le salaire d’un chauffeur de patrouille nouvellement embauché avec celui d’un médecin ou d’un enseignant expérimenté, nous pouvons tirer une première conclusion sur l’importance que le régime cubain – seul payeur de ces professionnels – accorde aux uns et aux autres.
Les scènes de brutalité policière à Cuba font l’actualité quotidienne, tout comme la pénurie de nourriture et le mal-être de la population. Les Cubains ordinaires, ceux qui peuplent les files d’attente, sont déchirés entre le risque de se contaminer par le coronavirus et celui de souffrir de la faim.
Le plan du régime pour faire face à la crise et à la pandémie reste l’ingrédient sino-russe par excellence : la répression. La politique de la peur et la règle du tonfa sont appliquées à une population désespérée face à la pauvreté et au manque de perspectives. Par la violence, le régime s’est maintenu au pouvoir. Les milliers de pesos d’amendes ou le contrôle de la mobilité ne sont que la partie la plus visible de l’iceberg dans l’activité de son appareil répressif. Mais, derrière les injustices punitives ou la paranoïa exacerbée du contrôle de la population, se trouve la présence massive et déjà ancienne du terrorisme d’État. Le muscle répressif hypertrophié du régime a réussi à immobiliser une société en la soumettant à l’idéal classique du totalitarisme : l’individu sans liberté et l’État exerçant tout le pouvoir sans partage ni restriction.
Fidel Castro a appliqué le modèle panoptique au contrôle de la société tout entière. Chaque individu sait qu’il est surveillé, il est conscient qu’« il y a toujours un œil qui te voit ». Cela entraîne une relation de domination dans laquelle le pouvoir est concentré, l’individu isolé, et la masse soumise, dans l’ignorance de qui la surveille, ni de quand et de comment elle peut être punie.
C’est le triomphe de ce modèle qui a rendu inutile à Cuba, par exemple, de révéler l’existence de forces anti-émeutes. Il est presque impossible d’allumer une étincelle de rébellion, et plus encore qu’elle prenne et s’étende. Quand cela a été nécessaire, ils ont cerné de policiers et de paramilitaires déguisés en civil tout groupe qui manifestait, que ce soit les Dames en blanc, des membres de l’Union patriotique de Cuba ou des militants du Mouvement San Isidro. La rue appartient à Fidel, tout comme le coup de bâton.
Mobiliser « tout le peuple » reste le mot d’ordre de la propagande qui explique la décision politique la plus notable des militaires : mettre tous les corps répressifs dans la rue. Les bérets rouges, les « guêpes noires » (2), la police, les chiens, tous déguisés en civil, en anticoleros (3) ou en forces héroïques héritières de la Sierra et du Moncada (4). C’est-à-dire des répresseurs avec armes et uniformes, sans cerveau ni âme.
Les images peuvent être vues de tous. De longues files d’attente pour acheter quoi que ce soit, le pays en ruine, les services publics appauvris et le peuple affamé. Mais, de l’autre côté, vous voyez des dirigeants et des militaires aux doubles mentons chaque jour plus gras, et des forces spéciales, des flics bien nourris, musclés, armés et entraînés à obéir à tout ordre qui sort de ces gorges engraissées.
Combien cela coûte-t-il au régime cubain de maintenir cet appareil répressif ? Combien d’argent dépense-t-il pour nourrir, former et équiper ces milliers de policiers, de militaires, de troupes spéciales et de milices qui sont maintenant déployés partout à Cuba pour écraser et intimider le peuple ? Combien d’argent et de ressources soustrait-il aux services publics tels que la santé et l’éducation, et au panier alimentaire de base que l’État prétend garantir ? Faut-il croire les statistiques officielles lorsqu’il est prouvé que le pays est l’un des moins transparents du monde ? Existe-t-il à Cuba une institution ou un organisme indépendant qui puisse contrôler, auditer et exiger un rapport sur les comptes publics ?
Dans les pays démocratiques, des budgets détaillés et transparents sont établis et approuvés par des majorités formées par les différents partis politiques qui composent le corps législatif. Toute personne en éprouvant le besoin ou la curiosité peut accéder à l’information. Une simple recherche sur Internet renseigne sur la destination des fonds publics budgétisés.
En Espagne, pour prendre un exemple, le budget de la Direction générale de la police était de 3195 millions d’euros en 2019 , dont plus de 28 millions ont été alloués à l’investissement en moyens (gilets, armes et équipements) pour les membres de la police nationale. Dans le cas de Cuba, une recherche simple n’est pas possible et il n’y a pas d’argent public, mais une boîte en carton avec pesos pour le peuple, et un coffre-fort opaque avec devises étrangères pour l’élite politico-militaire qui contrôle l’économie dollarisée, principalement dans les mains de la grande famiglia par le biais du GAESA (5).
Le budget approuvé pour 2020 par le ministère cubain des Finances et des Prix ne distingue pas les dépenses destinées à la Défense et nous fait seulement savoir que 18,5 % du budget national en CUP est destiné à l’Administration publique et à la Défense. Sans préciser quelle partie des plus de 8500 millions de CUP de cette section va spécifiquement à la Défense. Dans ces conditions, il est impossible de savoir combien d’argent le régime dépense pour maintenir dans l’obscurité et le silence les citoyens qui mâchent les restes, pendant qu’il nourrit bien, équipe et forme les agents du silence.
En cherchant ici et là dans les bases de données étrangères, on apprend que Cuba a acheté à l’Espagne, en 2010, des matériaux et des technologies « à double usage » (civil et militaire) pour 2,8 millions de dollars. Entre 2005 et 2014, le régime cubain a acheté à ce même pays pour 27,7 millions de dollars de technologie « double usage », 871000 en armes et munitions, 776000 en armes de chasse et de tir sportif, et 463000 en matériel de défense. Plus récemment, en 2015, il a acheté des systèmes de vision nocturne pour la PNR, d’une valeur de 208000 dollars, alors qu’en 2017 le régime a dépensé 2776115 dollars en technologie « à double usage » achetée rien qu’à l’Espagne.
Combien Cuba aura dépensé au total, en achetant à d’autres pays, en matériel destiné à la répression ? Par exemple, en 2018, la Russie a ouvert un crédit de 50 millions à Cuba pour les dépenses de défense. On ne sait pas non plus combien l’Etat encaisse en formant les forces de répression de pays comme le Venezuela ou le Nicaragua. On n’a aucune idée de l’argent que le commerce de la répression dépense ou rapporte, mais on devine que le régime cubain investit dans cette entreprise avec beaucoup d’élan et de zèle.
On pourrait continuer à essayer de percer le mystère, mais les statistiques ne serviraient pas à grand-chose pour argumenter contre une réalité qui parle d’elle-même. Pour chaque personne affamée ou opprimée qui proteste à Cuba, il y a sans doute un ou deux répresseurs bien nourris prêts à la faire taire.
Cette proportion peut changer dans la mesure où la situation critique du pays ne se résout pas. De nombreuses personnes sont à nouveau au bord du désespoir. Mais l’expérience montre que, dans ces moments-là, la répression ne cesse pas, mais au contraire s’intensifie. On voit qu’il est clairement nécessaire de continuer à recruter des répresseurs bien payés. En d’autres termes, le régime dépensera ce qu’il faut pour ne pas perdre le pouvoir, même au prix du verre de lait promis aux enfants.
Ivan Leon
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(1) Il y a deux monnaies à Cuba. Le CUP est le peso cubain, principalement utilisé par les habitants de l’île, alors que le CUC, le peso convertible, est majoritairement utilisé par les touristes.
(2) Les « guêpes noires » désignent les membres des unités d’élite des Forces armées révolutionnaires, ainsi appelées à cause de leur accoutrement.
(3) Le mot coleros désigne les Cubains dont l’activité consiste à aller d’une file d’attente à une autre, celles-ci étant bien plus nombreuses et chronophages qu’à l’ordinaire depuis l’arrivée de la pandémie à Cuba. Les coleros achètent ainsi de la nourriture qu’ils revendent ensuite à ceux qui, pour diverses raisons, ne peuvent accéder aux magasins d’alimentation. Les anticoleros désignent les agents de la répression chargés de les repérer et de les arrêter.
(4) La Sierra fait référence ici à la Sierra Maestra, le massif montagneux de l’est de l’île, qui fut le refuge des révolutionnaires cubains à la fin des années 50. La Moncada est le nom de la caserne de Santiago de Cuba attaquée le 26 juillet 1953, attaque considérée comme le début de la révolution cubaine.
(5) GAESA : le Groupe d’administration entrepreneurial SA est une entité appartenant aux Forces armées cubaines, avec des ramifications dans le tourisme, le secteur hôtelier, les commerces, les boutiques de vente de produits en devises étrangères, en passant par les douanes, les ports, entre autres activités.
Traduction : Floréal Melgar.
Les notes de bas de page sont du traducteur.
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