A l’automne de 1948, Albert Camus entretient une vive polémique avec Emmanuel d’Astier de La Vigerie, alors compagnon de route du Parti communiste, à travers les revues « Caliban » et « La Gauche-Rassemblement de la gauche démocratique révolutionnaire ».
D’Astier de La Vigerie ayant mis Camus au défi d’écrire une lettre ouverte aux journaux américains pour dénoncer la responsabilité des Etats-Unis dans la répression ayant frappé des militants communistes en Grèce, Albert Camus lui adresse cette réponse.
« Vous croyez m’embarrasser en m’invitant à envoyer une lettre ouverte à la presse américaine pour protester contre la complicité directe ou indirecte des Etats-Unis dans les récentes exécutions grecques. Ceci me console un peu, car c’est la preuve que vous ignorez ma véritable position. Vous ne pouvez pas savoir d’ailleurs que j’ai pris parti sur ce cas précis en Angleterre, il y a quelques semaines, et, sur des cas semblables, en Amérique, il y a deux ans, au cours de conférences publiques. C’est pourquoi je ne vais pas avoir de peine à vous répondre : je tiens cette lettre à votre disposition. J’y ajouterai une protestation motivée sur ce qui est le vrai crime contre la conscience européenne : le maintien de Franco en Espagne. Je vous donne carte blanche pour la publication de cette lettre, à une seule condition que vous estimerez légitime, je l’espère. Vous écrirez de votre côté une lettre ouverte, non pas à la presse soviétique qui, elle, ne la publierait pas, mais à la presse française. Vous y prendrez position contre le système concentrationnaire et l’utilisation de la main-d’œuvre de déportés. Par esprit de réciprocité, vous demanderez en même temps la libération inconditionnelle de ces républicains espagnols, encore internés en Russie soviétique, et dont votre camarade Courtade a cru pouvoir se faire l’insulteur, oublieux de ce que demeurent ces hommes pour nous tous, et ignorant sans doute qu’il n’est pas digne de lacer leurs souliers. Rien de tout cela, il me semble, n’est incompatible avec la vocation révolutionnaire dont vous vous prévalez. Et nous saurons alors si ce dialogue a été inutile ou non. J’aurai en effet dénoncé les maux qui vous indignent et vous n’aurez payé cette satisfaction que par la dénonciation de maux qui doivent vous révolter au moins autant. »
Merci pour cet effort de mémoire méritoire envers les positions de Camus. Cette lettre est si limpide. Abuserais-je si je te demandais ce qu’il est advenu ensuite : est-ce qu’Astier envoya la lettre demandée concernant sa « position contre le système concentrationnaire et l’utilisation de la main-d’œuvre de déportés » ? et quelle fut la réaction du PCF ? (la deuxième question est peut-être superflue car le PCF d’alors – comme la gauche ‘sociétale’ actuelle – a plus de certitudes que de questionnements… bien plus !)
AD
J’ignore ce que fut la suite. Mais je serais très surpris qu’il y ait eu une suite, du moins telle que la souhaitait Camus.