Le texte ci-dessous a paru sur le site d’opposition au régime cubain « CubaNet » et revient sur l’histoire du journalisme indépendant à Cuba, qui aujourd’hui se développe grâce au courage et à la ténacité de jeunes femmes et d’hommes qu’un harcèlement permanent de la part de la police politique ne parvient pas à faire taire.
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Si l’on porte un regard sur l’histoire de l’opposition à Cuba, il convient de noter un avant et un après procès contre le Groupe des 75, pendant la vague de répression connue sous le nom de Printemps Noir, en 2003. Parmi les inculpés se trouvaient différents types de dissidents, mais en particulier une forte représentation du journalisme indépendant de l’époque.
Il faut rappeler qu’en 2003 il n’y avait pratiquement pas de communications sur l’extérieur : la téléphonie cellulaire a commencé à se développer avec la fusion de Cubacel S.A. et de C-Com S.A., sociétés qui ont formé l’unité commerciale d’Etat ETECSA. Les téléphones portables étaient rares et les travaux journalistiques étaient dictés par téléphone fixe. Cependant, cette période a produit d’excellents journalistes, pour la plupart diplômés de l’Université ou provenant d’un organe de presse de l’État.
Parmi eux, on peut rappeler Raúl Rivero Castañeda, poète et journaliste, condamné pendant le Printemps Noir à 20 ans de prison. Né à Morón en 1945, il a remporté plusieurs prix, dont le prix Ortega y Gasset et le prix mondial de la liberté de la presse de l’UNESCO. Il a été l’un des signataires de la lettre adressée à Fidel Castro dans laquelle plusieurs intellectuels demandaient la libération de prisonniers d’opinion, en 1991. Il a également fondé l’agence Cuba Press en 1995, avec un autre groupe de journalistes éminents.
Ricardo González Alfonso, alors condamné à 20 ans de prison, est aussi l’un des journalistes et poètes poursuivis lors de la répression de 2003. Il a reçu le prix du Journaliste de l’année en 2008. Il a été scénariste pour la télévision cubaine et, en 1995, il a rejoint Cuba Press. Il a également fondé la Société de journalistes indépendants Manuel-Marquez-Sterling.
Pour sa part, le poète, écrivain et journaliste Manuel Vazquez Portal fut condamné à 18 ans de prison. Il a reçu le prix de la presse internationale en 2003. Il est diplômé en langue et en littérature de l’université Marta-Abreu à Las Villas et a été conseiller littéraire au ministère de la Culture. En 1997, il a créé le Groupe de travail Decoro.
Tous sont en exil aujourd’hui. Il ne reste à Cuba que Jorge Olivera Castillo, qui avait été condamné à 18 ans de prison à l’époque. Rédacteur pour la télévision, il a commencé son activité dissidente en 1993 à la Confédération des travailleurs démocratiques de Cuba, jusqu’à ce qu’il rejoigne le journalisme indépendant en 1995. Tous ont légué leur travail comme preuve de la lutte pour la démocratie dans notre pays.
Plus tard, d’autres journalistes qui sont également des références se sont distingués. Parmi eux se trouve Yoani Sánchez, auteur du blog Generación Y et, plus tard, fondatrice et directrice du journal en ligne de renommée internationale 14ymedio. Avec la création de certains sites consacrés aux affaires cubaines, d’autres journalistes et même des écrivains ont également surgi. Parmi eux se trouve Roberto de Jesús Quiñones Haces, avocat et journaliste indépendant, collaborateur du site CubaNet. Actuellement, il est le seul journaliste cubain emprisonné pour son travail*.
Aujourd’hui, les conditions pour ceux qui souhaitent communiquer sont différentes. L’accès à l’internet via les données mobiles en 2018 et l’arrivée de la 4G en 2019 ont facilité la possibilité d’un journalisme indépendant (mais toujours réprimé). Aujourd’hui même il est possible pour tous de faire des vidéos, des photos et des enregistrements en utilisant son propre téléphone portable. Mais cela n’enlève rien à la qualité du travail des reporters indépendants actuels, qui sont soumis à la répression constante du régime cubain.
Actuellement, les jeunes journalistes sont attaqués en vertu du décret-loi 370 sur l’informatisation de la société à Cuba, qui leur impose une amende de 3000 pesos (1) en monnaie nationale et, dans certains cas, la confiscation de leurs téléphones et matériel divers pour avoir écrit contre la dictature sur les réseaux sociaux.
Les responsables de la Sécurité d’État du ministère de l’Intérieur ne s’intéressent pas à la pandémie qui balaie le pays : ce qu’ils veulent, c’est empêcher – par tous les moyens – qu’ils fassent leur travail et fassent connaître au monde la réalité cubaine (2).
Depuis le début de l’année 2020, vingt dissidents ont été condamnés à des amendes en vertu de ce décret-loi. Bien qu’ils ne soient pas tous journalistes, ils ont été condamnés à une amende pour avoir écrit contre le régime sur les réseaux sociaux. En outre, sept d’entre eux se sont vu confisquer leur téléphone portable.
Un mouvement de protestation s’est créé récemment sur les réseaux, exigeant que les autorités cessent d’utiliser le décret-loi n° 370 comme un outil de harcèlement et de censure contre les journalistes indépendants et les dissidents. Cet instrument juridique est devenu une nouvelle version de la loi-bâillon (3).
Malgré toutes les manœuvres de l’État, comme l’utilisation de fonctionnaires du ministère des Communications pour imposer des amendes et la saisie arbitraire de téléphones portables, la graine du journalisme indépendant qui a été semée il y a des décennies au sein de l’opposition a porté ses fruits, et continuera de le faire.
Martha Beatriz Roque Cabello
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* Note personnelle : aux deux noms cités dans cet article, et parmi les désormais nombreux et courageux journalistes indépendants de l’île, j’ajouterai ici ceux des collaborateurs de divers sites d’opposition cubains sans cesse harcelés par le pouvoir ces dernières semaines, comme Camila Acosta, Iliana Hernández, Mónica Baró Sánchez, Boris González Arenas, Waldo Fernández Cuenca, Enrique Díaz Rodríguez, Yoe Suárez, Esteban Rodríguez, Yeris Curbelo, Nancy Alfaya, Esteban Rodríguez López, Niober García, Jorge Enrique Rodríguez…
(1) Rappelons que 3000 pesos correspondent à peu près à quatre mois du salaire moyen à Cuba.
(2) La photo qui illustre cet article a été prise, depuis une fenêtre de son appartement, par la journaliste indépendante Mónica Baró, à La Havane. Cela lui a valu d’être menacée de se voir infliger une nouvelle amende de 3000 pesos. Photographier des files d’attente devant les magasins ou des regroupements divers est actuellement interdit à Cuba et passible d’une forte amende pour « propagation de fausses nouvelles » (sic) en vertu du décret-loi n°370.
(3) La loi-bâillon fait référence à la loi liberticide n°88, de 1999, sur la « protection de l’indépendance nationale et l’économie de Cuba ».
Traduction : Floréal Melgar.
Les notes de bas de page sont du traducteur.
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