J’ai délaissé pendant un moment l’actualité cubaine, occupé par d’autres tâches et aussi pour raisons personnelles. La répression frappant les opposants à la dictature castriste n’a cependant en rien diminué ou disparu pendant ce temps, bien au contraire.
Si cet accroissement de la répression constitue évidemment le mauvais côté de ce qui se passe sur l’île, l’autre face de la médaille, et il faut s’en réjouir et l’encourager dans la mesure de nos moyens, est que de plus en plus de Cubains osent aujourd’hui s’exprimer et agir contre un régime qui les étouffe depuis trop longtemps.
Mes rubriques concernant la répression qui touche principalement les journalistes indépendants et le milieu artistique cubains vont donc reprendre ici régulièrement. Pour commencer, voici la traduction d’une déclaration contre les mesures ultrarépressives prévues par le décret-loi inique n° 370 visant les utilisateurs d’internet et des réseaux sociaux. Inutile de préciser que faire figurer son nom au bas d’une telle déclaration est un acte particulièrement courageux dans un pays dictatorial comme l’est cette île des Caraïbes. Diffuser ce que nous font parvenir ceux qui souhaitent simplement pouvoir s’exprimer librement me semble relever de la solidarité la plus élémentaire. Dont acte.
* (Je précise que prendre et diffuser à Cuba des photos comme celles qui illustrent ce texte [les queues devant les magasins en période de coronavirus] fait partie des délits qui peuvent valoir à leurs auteurs de lourdes amendes.)
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Pour « penser et parler sans hypocrisie », nous, les Cubains, sommes harcelés et risquons d’être contaminés par le COVID-19, ainsi que d’aller en prison.
Ces derniers mois, et surtout en pleine crise du coronavirus, la Sécurité d’État cubaine (SE) a menacé, condamné à des amendes et confisqué le matériel de travail de plusieurs journalistes indépendants, reporters et citoyens cubains en général, en vertu du décret-loi (DL) n° 370. La raison en est la publication sur les réseaux sociaux de ce qui reflète cette partie de la réalité cubaine que le régime tente de minimiser ou d’occulter. Plusieurs militants et membres de la société civile indépendante ont également été intimidés pour avoir publié des informations similaires.
La SE a même obligé les personnes sanctionnées à abandonner leur isolement social en les convoquant de manière répétée pour des interrogatoire de police.
Le DL 370 est entré en vigueur le 4 juillet 2019 et en janvier 2020 ses dispositions en matière de censure ont commencé à être utilisées abondamment. Dès le début du document, on peut percevoir son caractère idéologique, intolérant et discriminatoire, puisqu’il affirme que l’une de ses intentions est de consolider les conquêtes du socialisme et « l’utilisation et le développement des technologies de l’information et des communications comme instrument de défense de la Révolution ».
C’est l’article 68, sur les contraventions liées aux technologies de l’information et de la communication, qui menace la liberté d’expression ; et, plus précisément, le paragraphe (i) : diffusion, par le biais des réseaux publics, de transmission de données, d’informations contraires à l’intérêt social, à la morale, aux bonnes coutumes et à l’intégrité des personnes.
L’ambiguïté est si évidente qu’elle en devient ridicule. Tout d’abord, ETECSA, la seule entreprise de télécommunications qui existe à Cuba, n’est pas un réseau public, mais une société anonyme, et les Cubains paient – à des prix excessifs – pour ses services. Facebook – le réseau social le plus utilisé dans le pays et où se trouvent les publications « criminelles » des personnes sanctionnées – n’est pas non plus un réseau public, mais une entreprise privée. Ensuite, on parle d’intérêt social, de morale, de bonnes coutumes et d’intégrité des personnes, mais ce sont des concepts confus qui ne sont pas précisés plus que ça dans le décret.
En revanche, parmi les pouvoirs accordés – par le même décret – aux inspecteurs du ministère des Communications (MINCOM), il n’est pas prévu de contrôler les publications des citoyens sur les réseaux sociaux. De même, ces personnes agissent sur ordre du MININT (ministère de l’Intérieur), outrepassant ainsi leurs fonctions. Il s’agit donc d’un abus et d’un excès de pouvoir de la part de ces fonctionnaires.
Le DL 370 viole la Constitution de la République de Cuba qui stipule, dans son article 54, que l’État « reconnaît, respecte et garantit au peuple la liberté de pensée, de conscience et d’expression ».
En ce qui concerne les accords internationaux, Cuba viole également la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui stipulent la liberté d’opinion et d’expression, le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions, et celui d’enquêter, de recevoir et de diffuser des informations et des opinions de toutes sortes par tout moyen d’expression.
Aujourd’hui, l’emprisonnement des dissidents ne constitue pas une mesure stratégique pour les répresseurs ; c’est pourquoi il consacre toute sa puissance à affaiblir et à contraindre, avec des normes comme le DL 370, toutes les voix divergentes de l’île.
Le DL 370 est le châtiment, l’exécution publique de ceux qui ont leurs propres critères et qu’on tente de briser, soit en les forçant à renoncer à leurs dénonciations ou à leurs opinions, soit en les obligeant à quitter le pays. Le montant excessif des amendes (120 dollars, alors que le salaire minimum est de 16 dollars par mois) ferait trembler n’importe quel citoyen, car peu de Cubains peuvent disposer de telles ressources.
Le DL 370 est aujourd’hui ce qu’était pour les esclaves, pendant la période coloniale, le fouet, la punition pour rébellion contre l’oppresseur.
Par conséquent, ceux qui sont « fouettés » avec le DL 370, conscients que le fait d’informer, d’émettre des opinions et de s’exprimer librement n’est pas un crime, et que les lois injustes doivent être modifiées et non respectées,
Décident :
1. – A partir de ce moment, nous refusons de payer les amendes découlant de l’application de cette norme et de toutes celles qui violent nos droits humains.
Et exigent :
de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire ou de son Conseil d’État :
1. – L’abrogation de l’article 68(i) du décret-loi 370.
2. – Ordonner au MINCOM de s’abstenir d’appliquer ce DL jusqu’à son abrogation totale.
3. – Annuler toutes les amendes imposées.
4. – Rendre l’argent à ceux qui ont payé les amendes en vertu de cette règle, ainsi que le matériel confisqué.
5. – Soumettre à des procédures disciplinaires les fonctionnaires qui ont outrepassé leurs fonctions (celles du MINCOM), et à des procédures pénales ceux qui mettent en danger de contagion ceux qui sont sanctionnés.
6. – Respect des droits de l’homme des citoyens cubains.
7. – Liberté immédiate pour le journaliste indépendant Roberto Jesús Quiñones, emprisonné pour avoir exercé une expression libre [incarcéré depuis plus de sept mois, note du traducteur].
8. – L’octroi de la personnalité juridique à la presse indépendante.
Nous demandons le soutien de la communauté internationale, de tous ceux qui s’identifient à la lutte pour la liberté d’opinion et d’expression à Cuba.
En adoptant cette position, nous savons que la fureur d’un système avec ses armes légales mais fallacieuses s’abattra sur nous ; et que nous courons le risque d’aller en prison. Nous sommes conscients des conséquences de nos actes et nous sommes prêts à les assumer, toujours guidés par la pensée de José Martí : « Le respect de la liberté et de la pensée d’autrui est mon fanatisme : si je meurs, ou si je suis tué, ce sera à cause de cela. »
Les signataires :
Iliana Hernández Cardosa
Lázara Eumelia Ayllon Reyes
Boris González Arenas
Yeris Curbelo Aguilera
Karelia Contreras Manzano
Camila Acosta Rodríguez
Jiordan Marrero Huerta
Ovidio Martín Castellanos
Diosbani Zalazar Rodríguez
Esteban Rodríguez López
Henry Couto Guzmán
Luis Manuel Otero Alcántara
Tania Brugueras Fernández
Ángel Santiesteban Prats
José Raúl Gallego Ramos
Laritza Diversent Cámbara
Omara Isabel Ruiz Urquiola
Moisés Leonardo Rodríguez
Iván García Quintero
Bravo ! Il ne faut pas oublier Cuba !
« Le respect de la liberté et de la pensée d’autrui est mon fanatisme : si je meurs, ou si je suis tué, ce sera à cause de cela » (Marti).
Nous voilà rassurés pour les fanatiques de la FA !