Du temps que le poète René Char était résistant et luttait armes à la main contre la barbarie nazie, il notait, pour le déplorer : « Nous vivons des temps qui font de nous des monstres de justice et d’intolérance ; nous sommes devenus des simplicateurs claquemurés… »
On nous somme en permanence de comparer ce qui est comparable (pas d’amalgame !) ; on stigmatise chaque comparaison du point Godwin.
Pourtant, soutenir que la lutte des femmes contre l’ordre barbare du mâle, ses viols, ses meurtres et son oppression quotidienne est comparable au temps qui désespérait – et mobilisait ! – René Char, est-ce si inconvenant que cela ?
Quand bien même le serait-ce, et aussi peu que ce le fût, l’inacceptable hiatus qui sépare les violences concrètes et les procès abstraits faits sur les plateaux et dans les colonnes à celles qui osent cette position finit par faire sonner faux et creux toute tentative d’analyse critique.
Aussi faux, aussi creux, aussi convenu que le spectacle des Césars, aussi faux, aussi creux, aussi convenu que la question de la (pseudo) séparation homme/artiste – alors que si question d’hypocrisie mondaine il y a, c’est celle que l’on vit triompher ce soir-là, de la distance effroyable entre l’artiste (ou l’homme, peu importe) et l’œuvre. Ces grotesques et vulgaires – j’écrirais même volontiers « criminelles » – attitudes se retrouvent quand il s’agit de choisir entre le côté Adèle Haenel ou le côté Lambert Wilson sous l’éclairage clinquant de cette « cérémonie » ou des pages des télémagazines. (Ah ! voir Lambert Wilson donner, sous les faux ors des palais télévisuels, des leçons d’élégance aux victimes qui crient leur douleur et leur indignation !) Mais ce « choix » apparaît dans tout son tragique dans la perspective d’une morgue surchargée d’un nouveau cadavre tous les trois jours, des cloisons nasales, maxillaires et arcades fracassés – par dizaines ? par centaines ? – des survivantes ; des milliers de viols et actes de violence, de vies détruites, de peur et de terreur quotidiennes.
J’ajouterai que ce sont elles les victimes, et je ne reconnais aucune légitimité à leur contester le choix de leurs axes et modes de lutte. La seule question qui vaille est « les soutenir ou non ? ».
Jean Verlinde
Merci Jean pour ce texte.