« Il faudra que je me souvienne »
Louis Capart
De 1991 à 2002, j’ai animé, sur Radio-Libertaire, une émission consacrée à l’Histoire, « La mémoire sociale ». Compte tenu des sujets traités – la révolution russe, l’anarchisme espagnol, la Commune de Paris, etc. –, il me fallait le plus souvent leur consacrer des séries de trois, quatre ou cinq émissions hebdomadaires. Aussi, pour « respirer » un peu, il m’arrivait de temps à autre d’opter pour des thèmes pouvant être abordés au cours d’une seule émission. C’est ainsi que m’est venue l’idée, après avoir consulté les archives du journal de la Fédération anarchiste, d’évoquer un soir le dossier que Le Libertaire consacra, en janvier 1950, à l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, alors réfugié au Danemark, et au procès qui venait de s’ouvrir contre lui, à Paris, pour avoir « porté atteinte au moral de la nation en temps de guerre ».
La rédaction du Libertaire s’était adressée à des personnalités de l’époque, pour la plupart issues du monde littéraire, afin de leur demander leur point de vue sur ce procès en cours. Les réponses reçues furent publiées sur trois numéros du journal, dont la périodicité était alors hebdomadaire.
Mon propos avait consisté à lire à l’antenne les textes de présentation élaborés par la rédaction du Libertaire, ainsi bien sûr que les réponses reçues. Mon apport personnel consista uniquement à fournir des précisions sur certaines des personnalités contactées par le journal, car si elles étaient connues des lecteurs de l’époque, elles ne l’étaient sans doute plus de bon nombre des auditeurs des années 90.
C’est à partir de cette émission, d’ailleurs, que j’ai rédigé plus tard et publié sur ce blog, en janvier 2011, Louis-Ferdinand Céline et « Le Libertaire », un article consacré à ce thème, que dans son n°40 de mai 2011 le bulletin de critique bibliographique A contretemps a estimé utile de reproduire en le qualifiant de « très objective synthèse (…) intéressante à plus d’un titre ». A ma connaissance, cet excellent bulletin ne fut pas pour autant frappé d’indignité ni ses responsables qualifiés de kapos. Car il n’en fut pas de même pour moi.
Quelque temps après cette émission, en effet, quels ne furent pas ma surprise et mon écœurement à la lecture d’une note effarante, dans le « Bulletin intérieur » de la Fédération anarchiste, sous la plume d’une militante de la région parisienne, alors membre du secrétariat de Radio-Libertaire, affirmant que par le simple fait d’avoir évoqué Céline à l’antenne mon idéal consistait sans doute à « voir autogérer les camps de concentration » (sic). Notez bien qu’il ne s’agissait pas là de mots imbéciles proférés sous le coup de la colère, ce qui aurait pu constituer une – toute petite – circonstance atténuante. Non, c’était écrit. Des années d’engagement militant libertaire n’y faisaient rien, voilà qu’une simple émission de radio consacrée à une page d’histoire de notre journal me transformait en nazi autogestionnaire.
Les années ont passé, sans bien sûr que la dame ait manifesté le moindre regret pour ces mots agressifs et d’une crétinerie sans limite. La sphère militante est un monde violent, en écrits comme en paroles, où les excuses n’existent pratiquement pas. Il m’arrive parfois de penser qu’un jour un historien désœuvré se penchera, à travers les bulletins internes de certaines organisations politiques, sur le type de rapports humains régnant entre militants œuvrant à l’avènement d’un monde fraternel.
Mais voilà qu’aujourd’hui, à l’occasion de la parution d’une très intéressante série d’articles consacrés par Pierre Sommermeyer au thème de « L’anarchisme et les Juifs », le fameux dossier Céline de 1950 est à nouveau évoqué dans le numéro de mars 2019 du Monde libertaire. Et l’auteur*, estimant inutile de traiter le sujet autrement que je l’avais fait, publie donc de larges extraits de mon texte, en le présentant de manière fort aimable.
Me voilà donc enfin « réhabilité ».
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* Avant de rédiger son article pour Le Monde libertaire, Pierre Sommermeyer, que je ne connais pas personnellement, m’avait adressé un courriel pour me demander si je ne voyais pas d’inconvénient ou d’objection à ce qu’il y introduise des extraits de mon texte. Comme quoi il arrive parfois d’avoir affaire à des personnes au comportement élégant, ce dont je le remercie.
Compliments pour cette réhabilitation, Floréal ! Quant à la réaction de l’ancienne secrétaire de RL, que dire… Avait-elle lu cette enquête, au moins ? Cet épisode a au moins le mérite de me diriger vers ton papier, bien que j’abhorre Céline par ailleurs.
Les rapports humains entre militants oeuvrant pour un monde fraternel demanderaient une étude approfondie et très longue, qui donnerait des résultats sans doute surprenants sur la fraternité. Content pour ta « réhabilitation. »
Bonne nouvelle !