Cher Lluis Llach, ex-collègue, actuel chasseur de vautours et futur bourreau de fonctionnaires
Je réagis à tes déclarations. L’une sur Twitter, insultant ceux qui allaient défiler à Barcelone pour dire leur attachement à l’Espagne (« Demain, laissons vides les rues de Barcelone. Il ne faut pas que les vautours trouvent de quoi manger »), l’autre dans la presse pour menacer les employés des services publics en leur promettant de « beaucoup souffrir » s’ils ne collaboraient pas avec le futur gouvernement catalan que tu appelles de tes voeux.
Ces « vautours » du 8 octobre étaient près d’un million. Tout comme j’avais accompagné, cinq jours auparavant ceux qui portaient des drapeaux catalans, j’ai défilé avec eux. C’était des gens « normaux », moins aisés que toi peut-être, moins « éduqués », mais qui osaient s’exprimer pour la première fois contre la dictature du « oui » à l’indépendance. Parmi eux : les inévitables nostalgiques du vieux régime franquiste que ta famille a toujours soutenu, des gens venus en autocar de toute l’Espagne, mais la plupart des habitants de la « périphérie » des villes catalanes. Descendants de cette Espagne andalouse, galicienne, asturienne, qui a longtemps fourni la main-d’œuvre bon marché à la Catalogne, ils sont aujourd’hui majoritaires. C’est eux qu’Oriol Junqueras, vice-président du Govern catalan, oublie lorsqu’il déclare : « Les Catalans ont plus de proximité génétique avec les Français qu’avec les Espagnols ; plus avec les Italiens qu’avec les Portugais, et un peu avec les Suisses. Alors que les Espagnols présentent plus de proximité avec les Portugais qu’avec les Catalans et très peu avec les Français. »
Des propos que n’aurait pas reniés un Jean-Marie Le Pen, pas plus que l’opinion de Jordi Pujol, président de Catalogne pendant vingt-trois ans, sur tous mes grands-parents andalous émigrés à Barcelone, sur Garcia Lorca de Granada, et Antonio Machado de Séville : « L’homme andalou n’est pas cohérent. C’est un homme anarchique, un homme détruit. Il vit dans un état d’ignorance et de misère culturelle, mentale et spirituelle. Si, par la force du nombre, il parvenait à dominer, il détruirait la Catalogne en introduisant sa mentalité anarchique et pauvre, autrement dit son absence de mentalité. » Ce même Jordi Pujol, aujourd’hui en examen pour faits de corruption très graves, que tu as soutenu et qui t’a généreusement aidé !
Quoi qu’il en soit, Lluis, les artistes populaires que nous sommes ne peuvent pas être si dédaigneux envers leurs semblables. Même quand ceux-ci ne font pas partie de leur « clientèle ». Et je sais de quelle manière tu soignes la tienne. Je me souviens que tu n’as pas voulu chanter en français quand nous avions mêlé nos répertoires au festival des Francofolies. Tu m’as dit : « Je ne pourrai pas. Ceux qui me suivent ne le comprendraient pas. Je chanterai mes chansons, je traduirai un refrain ou une strophe des tiennes en catalan, mais pas plus. » J’avais trouvé ça grotesque, même grossier, puisque j’allais chanter avec toi… et en catalan. Sans parler de cette façon contre-productive de défendre une langue.
Le concert fut un triomphe. Les gens applaudissaient, trépignaient, pleuraient d’émotion face à deux artistes se partageant la scène. À la fin, dans un mouvement d’enthousiasme et de reconnaissance, je t’ai saisi le bras et nous avons chanté une Vie en rose d’Edith Piaf improvisée. Cela ne t’a pas plu. Dans les coulisses, quand le directeur de l’Olympia est venu me dire : « C’est l’un des plus beaux concerts de ma vie. L’Olympia est à vous quand vous le voudrez », tu es resté enfermé dans ta loge, amer et sombre.
Lluis, nous sommes deux artistes populaires, admiratifs l’un de l’autre, tous deux nés en Catalogne, mais de lignées très différentes, presque opposées. Moi, petit-fils et fils de prolétaires andalous émigrés à Barcelone puis à Lyon. Toi, fils et petit-fils d’une petite-bourgeoisie rurale de tradition réactionnaire. Moi, enfant, donnant des coups au directeur d’école tandis qu’on chantait le Cara al sol phalangiste. Toi, adolescent, affilié aux groupes de la « catholicité » franquiste. Moi, artiste d’une « chanson française » tétée depuis l’enfance. Toi, écrivant des chansons en catalan que je parlais, enfant, dans la cour de l’école à Sants.
Précisément, je t’écris aujourd’hui depuis Sants, le quartier ouvrier de mon enfance. Tu es devenu millionnaire et député. Moi, entre Barcelone, Paris et Moscou, je continue d’être de là où je me trouve. Je sors dans la rue, dans les manifestations, bavardant avec tous, lisant la presse de tous bords, dénonçant les ruses de ceux qui, de Barcelone à Madrid – en passant par n’importe quelle partie du monde –, n’aiment pas leur pays ni ses gens qu’ils entraînent derrière leur propre ambition et leurs intérêts déguisés en nationalisme politique.
Tu nommes « vautours » ceux qui s’abritent sous un autre drapeau que le tien. Malheureusement, Lluis, tous les drapeaux sont sales et personne ne nous protège. Alors, dis ce qu’il en est. Va dans la rue. Persuade nos concitoyens de ne pas former des troupeaux menés par des loups. A défaut de le faire, tu seras anéanti par la misanthropie, le mensonge et le ressentiment.
Nilda Fernandez
Cette correspondance me remplit de joie (et de fierté), moi qui ne sais même pas si mon père était collabo ou résistant, et qui n’ai pour racines que celles que je me suis choisies, de lectures en engagements.
Cher Nilda, j’étais avec toi et Lluis sur scène aux Francofolies. J’ai le même souvenir que toi. Pendant puis après dans la loge. Même sentiment de frustration, même constat de décalage face à la joie du public. Nous trois avons partagé pas mal d’aventures sur scène dans le vaste monde. Nous n’avons pas toujours été d’accord, mais aujourd’hui j’admire ton courage. Je découvre ta lettre ouverte grâce à Vicente Pradal. Je te rejoins aussi publiquement pour regretter cette brèche qui pue l’égoïsme, le nationalisme le plus mesquin, le pot-pourri entre le populisme qui mêle les pires iconographies de gauche et de droite qui ne nous ont jamais rendus plus dignes ni plus heureux. Merci cher Nilda pour ton engagement d’homme et d’artiste libre que tu as toujours été.
Tout le monde est d’accord ! L’autodétermination des peuples, ce n’est acceptable que pour les pays déjà autodéterminés comme la France ou l’Espagne. Les Catalans qui veulent une république comme les Français, c’est mal et ça pue l’égoïsme, et le nationalisme le plus mesquin (sic).
Tous des nazis !
Voilà bien le genre de commentaire totalement inutile, qui ne répond à rien de ce qu’écrit Nilda Fernandez dans sa lettre à Lluis Llach. Personne n’a parlé de puanteur, d’égoïsme ou de mesquinerie, mais ça ne fait rien, on fait comme si… Et pour couronner le tout, l’allusion particulièrement originale aux « nazis ». Quelle misère !
« Personne n’a parlé de puanteur, d’égoïsme ou de mesquinerie » ? Vous plaisantez ? Relisez le post de Luis que je ne fais que citer.
Le post de Luis ? Quel post ?
Eh bien, le commentaire juste au-dessus du mien.
Ah oui, mes excuses, j’avais mal compris.
Sur le fond la lettre de Nilda Fernandez est d’une violence assez inouïe et me déçoit beaucoup venant d’un artiste que j’appréciais. Llach ne s’est jamais caché des sympathies franquistes de sa famille. En est-il responsable ? C’est mieux d’être fils de prolo pour chanter ? On sent chez Fernandez une blessure, une aigreur et une volonté de nuire, de la jalousie peut-être ? Llach défend et a toujours défendu une langue minoritaire longtemps interdite. Les Catalans n’ont rien contre le peuple espagnol, ils veulent simplement avoir un Etat sous la forme d’une république qui leur permette de sauvegarder leur culture et leur langue. En quoi je le répète est-ce que cela pue l’égoïsme, et le nationalisme le plus mesquin ? Français, les Catalans veulent ce que vous avez depuis 1789 et qu’on leur a volé en 1936. Tout simplement.
S’agissant du rappel du passé franquiste de la famille de Lluis Llach, je suis d’accord, et je l’ai d’ailleurs écrit ailleurs qu’ici, ça n’aurait sans doute pas dû être évoqué. Pour le reste, je ne marche pas dans le genre de formules « les Catalans veulent… », « les Catalans n’ont rien contre… ». Cela ne veut rien dire. Il y a là un accaparement tout à fait discutable et incongru de l’ensemble d’une population. Il y a aussi beaucoup de Catalans non indépendantistes. Il y a aussi des Catalans xénophobes. D’ailleurs, le propos de Jordi Pujol concernant les Andalous le montre bien. Par parenthèse, il est cocasse de constater que « les Catalans » (comprendre par-là ceux d’entre eux qui rêvent d’un Etat catalan) se soient choisi pendant vingt-trois ans pour les représenter un personnage corrompu jusqu’à la moelle et xénophobe. Passons également sur son successeur, qui ne m’a pas eu l’air beaucoup plus propre.
Sur la question de l’Etat, me situant dans une tradition libertaire et considérant donc que cette institution symbolise le parasitisme absolu, je ne vois pas quoi attendre de bon de la multiplication des parasites. Qu’il faille un Etat pour sauvegarder une culture et une langue est une affirmation totalement gratuite qui demanderait à être argumentée. Je constate d’ailleurs qu’un Etat (franquiste) ennemi de cette langue, en l’absence d’un Etat catalan, n’a en rien éradiqué, bien au contraire, l’existence de la langue catalane.
Quant à 1936, vous y allez un peu fort avec l’histoire. La motivation principale du coup d’Etat franquiste ne m’a pas semblé reposer sur le fait d’avoir voulu empêcher la naissance d’un Etat catalan. S’il avait fallu compter sur les catalanistes pour résister à ce coup d’Etat, l’affaire eût été pliée avant 1939…
Je partage votre avis sur le fait que les généralisations sur les Catalans sont non avenues. Sur l’Etat, bien qu’éduqué dans un milieu libertaire catalan, je ne vois pas ce qui pour l’heure pourrait le remplacer. Il faudrait que l’utopie d’un peuple éclairé, conscient des enjeux de société et autoadministré soit possible. Il existe de belles aventures localisées comme celle du village andalou de Marinaleda qui peuvent encore faire rêver.
Voici un exemple de la propagande fasciste publiée ces jours ci :
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C’est très con ce dessin. Mais pas plus que les insultes et calomnies visant les Catalans non partisans de l’indépendance et qui sont tout sauf fascistes. Les qualificatifs adressés par exemple à Juan Manuel Serrat ne me paraissent pas relever d’une grande finesse d’analyse.