Le texte ci-dessous, rédigé avec un camarade de l’époque, a paru dans « Le Monde libertaire » du 7 mars 1996.
« Périsse la patrie et que l’humanité soit sauvée. »
Pierre-Joseph Proudhon (Correspondance)
Le « DROIT DES PEUPLES à disposer d’eux-mêmes ». Ce mot d’ordre, ce principe, est généralement énoncé avec des majuscules peu innocentes et intégré invariablement dans des écrits ou discours ronflants où il côtoie les mots de « libération », « patrie », « nation », destinés à en imposer. Les sacrifiés présents ou futurs se doivent en effet d’adopter cette attitude de respect qui constitue le nécessaire prélude à celle du renoncement dont le sacré a besoin pour commettre ses exactions à l’encontre de ceux qu’il réduit au rôle d’instruments. Il convient d’impressionner ceux dont les gangs qui se disputent les rôles d’administrateurs de l’espèce humaine veulent disposer afin d’édifier, de conserver et de développer leurs rackets étatiques.
N’étant pas adeptes des divers stupéfiants utilisés depuis des siècles pour faire des humains des serviteurs dociles, nous rejetons cette conception qui vise à nous faire accepter et à nous imposer comme des faits de nature l’appartenance à des peuples dont le destin serait de se constituer en nations. C’est-à-dire en États avec leurs armées, leurs polices, leurs tribunaux, leurs prêtres, leurs entreprises….
L’utilité du mythe national comme matériau contribuant efficacement à rendre les prolétaires solidaires des intérêts de la bourgeoisie n’est plus à démontrer. Proudhon l’affirmait déjà (1), qui soulignait l’imposture, plus que confirmée depuis, du rétablissement de la Pologne, de l’Italie, de la Hongrie et de l’Irlande, et qui se demandait avec pertinence pour quelles raisons les États-nations constitués sur le modèle de ceux qu’ils remplacent s’empresseraient d’entreprendre l’immense réforme sociale et la révolution économique si nécessaires, quand le but affiché n’est précisément pas la révolution sociale mais l’établissement d’une nouvelle autorité, prétendument légitime parce que nationale, en fait aussi exécrable que la précédente. Aucun exemple n’est venu démentir le sage Proudhon, et l’Histoire a abondamment montré que la supercherie nationalitaire a, partout où la lutte de libération a sévi, et souvent sans même attendre de triompher, combattu les libertés individuelles et reconduit, immanquablement, tous les outils, tous les instruments de domination et de gouvernement de l’homme sur l’homme.
La propagande étatique au moyen de l’éducation, des médias, etc., s’est toujours employée, entre autres, à faire accroire aux exploités que le fait de naître sur le même territoire que leurs exploiteurs leur conférait une possession commune que les uns et les autres partageraient. Cet enseignement a eu pour résultat de donner aux prolétaires le sens des devoirs à accomplir pour la plus grande gloire de la nation, c’est-à-dire de chefs de bandes avides de pouvoir au nom du drapeau national. D’abord en travaillant pour son économie de profit, ensuite en acceptant de mourir et de donner la mort dans des guerres et conflits nécessaires à l’expansion et à la défense de leurs bourgeoisies respectives.
Pour les adeptes de la religion nationaliste, les hasards qui ont fait naître les individus sur tel territoire, dans un ensemble ethnique et/ou religieux, imposeraient de faire abstraction de nos vies propres, en nous considérant avant tout comme des êtres liés à un sol, une ethnie, une religion, quelle que soit notre place dans la hiérarchie sociale. L’identification des individus à un tel ensemble permet précisément de faire peu de cas des différents rôles et fonctions qui séparent les humains dans cette entité fumeuse, la nation, ce leurre qui entend disposer de nos vies. Les divisions réelles sont ainsi mises de côté, et cette identification trompeuse à l’ensemble implique que les antagonismes à l’œuvre à l’intérieur de celui-ci soient projetés vers l’extérieur. Les ennemis, ce sont alors les « autres », ceux qui ne font pas partie du groupe ou ceux qu’il a rejetés. La perversité du nationalisme apparaît ici dans toute sa splendeur, car il est effectivement l’arme de ceux-là mêmes qui en seront les futures victimes, qui se trompent d’ennemis et installent des « compatriotes » aux commandes de leur patrie « libérée » mais toujours exploiteuse, faisant triompher ce que Proudhon appelle la « constitution unitaire de territoires sur le modèle des grandes puissances dont la centralisation pèse si lourdement sur les peuples ; ce n’est pas de la liberté, encore moins du progrès ».
Insensibles au chant guerrier et mensonger du nationalisme « libérateur », les anarchistes ont toujours prétendu que c’était les individus qui devaient se libérer, pas les nations. Ce qui est loin d’être la même chose. Il est aujourd’hui encore dommage que certains adorateurs de drapeaux nationaux, certains « agités » frétillant au spectacle navrant de porte-flingues maquisards ne l’aient toujours pas compris et viennent chanter ici même (2) les louanges de leur « mouvement de réappropriation de la souveraineté » (sic), de leur « émancipation nationale » (re-sic) et autres âneries politico-patriotiques ayant invariablement servi de tremplin à des conquérants du pouvoir qui n’eurent toujours qu’une hâte : perpétuer l’autorité, la hiérarchie, la domination.
Marcher en dehors des clous de la nation, ne pas caresser dans le sens du poil indépendantiste, là surtout où le fanatisme patriotard ne tolère guère d’autre attitude, reste une tâche autrement plus difficile, plus responsable et plus authentiquement courageuse que la participation ou le soutien à des singeries guerrières en répétant des stupidités millénaires.
« Il faut rayer du Code les titres concernant l’état-civil des Français. Le droit de cité appartient à tout individu dans tous les pays civilisés où il se trouve », affirmait Proudhon. A la différence des arbres, en effet, les humains peuvent marcher. Leur territoire potentiel, c’est la terre. Chacun devant être libre de vivre ici plutôt que là-bas. Dans la compagnie de ceux-ci, plutôt que dans celle de ceux-là. Nos particularités ne doivent en rien nous enfermer. Ce qui nous distingue peut nous permettre de rencontrer ceux qui ne nous ressemblent pas, avec lesquels nous pourrons nous comprendre et, peut-être, nous aimer.
Au lieu de consacrer nos existences à la reproduction des divisions artificielles qui conduisent l’humanité à l’abîme et qu’entretiennent allègrement les diverses sectes nationalistes, ne serait-il pas temps de se demander comment et pour quoi nous vivons…
Gérard et Floréal
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(1) Sur le sujet, vous lirez avec bonheur la brochure de notre camarade Jacques Delatelier intitulée « Les nationalités ont-elles le droit de vivre ? », parue aux éditions de la Vache Folle.
(2) [note de 2013] Il est fait allusion ici à un article paru précédemment dans le même journal se livrant à une apologie surprenante du nationalisme corse et de ses méthodes.
Au fur et à mesure de mes propres observations je suis de plus en plus persuadée que les loups feront toujours meute (tout en se mangeant entre eux, ils appellent cela des « scissions »).
Les autres se croient protégés parce que regroupés au sein d’un « bataillon » sous une même bannière… jusqu’au jour où de longues dents auront poussé à l’un des ses nouveaux coreligionnaires.
L’émancipation de l’Homme passe par la création de l’individualité solidaire.
Martine (Mtiness)
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Nationalisme : quelle connerie !
Attention danger !