Le 10 mai 1983, en pleine bataille pour l’existence de Radio-Libertaire sur la bande FM, une lettre à en-tête de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle parvenait à la librairie Publico, siège de la Fédération anarchiste et de notre radio. Signé Michèle Cotta, présidente de cette instance, ce courrier nous informait de notre définitive interdiction d’émettre et nous intimait l’ordre d’interrompre nos émissions sous vingt-quatre heures.
Au nom du secrétariat de Radio-Libertaire, je rédigeai alors la réponse suivante :
« Madame la présidente et chère consœur,
Nous soussignés, journalistes bénévoles de Radio-Libertaire, nous adressons à vous parce que nous n’avons pas oublié que vous avez exercé le même métier que nous. Nous vous envoyons ci-joint un document dont la simple lecture nous a prouvé qu’il s’agit manifestement d’un faux grossier. Ce canular nous a bien amusés et nous espérons qu’il vous fera sourire.
Convaincus de l’attachement que vous portez à la notion de pluralisme et de l’intérêt suscité par notre station, nous vous prions d’accepter, Madame la Présidente, l’expression de nos sentiments confraternels et libertaires. »
Une rumeur prétendit que cette réponse ne fit pas du tout sourire Mme Cotta…
Le dimanche suivant, le 15 mai 1983, la Fédération nationale des radios libres, antenne du Parti socialiste dans le panier de crabes des radiolibristes surtout intéressés par les perspectives de bénéfices financiers à venir, organisait un colloque-débat dans les luxueux locaux d’une banque du quartier de la Défense. Malgré les déclarations péremptoires, quelque temps plus tôt, du ministre de la Communication, M. Georges Fillioud, affirmant qu’il n’y aurait jamais de publicité sur la bande FM, nous avions compris que cet aspect du financement à venir des « radios locales privées », comme disaient alors ceux que gênait l’expression « radios libres », allait figurer au cœur du débat. L’invité d’honneur de cette rencontre en était M. Stéphane Hessel, membre de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle en charge du dossier desdites radios.
Officiellement interdits de « causer dans le poste » depuis quelques jours, et même si nous continuions alors d’occuper l’antenne, nous nous présentâmes à une quinzaine de militants, chacun d’entre nous arborant au revers du veston un badge « Radio-Libertaire » particulièrement visible. La star du colloque n’était pas encore arrivée, et un morne débat ronronnait, soudainement interrompu par un représentant de la FNRL annonçant la présence de Stéphane Hessel.
Dans son livre Histoire de Radio-Libertaire, voici comment Yves Peyraut relate ce grand moment :
« Donc, colloque il y a. Avec la présence de Stéphane Hessel, représentant de la Haute Autorité. En fin d’après-midi, il tente de prendre la parole. Je dis bien « il tente », car il ignore que, dans la salle, Floréal, Gérard, Régis et les autres, en tout une quinzaine de militants de la Fédération anarchiste, sont présents. Dès qu’il ouvre la bouche, aucun son n’en sort, car les copains déclenchent un chahut d’enfer. Depuis la salle, Floréal prend la parole et en substance affirme : « Monsieur Hessel, vous voulez nous interdire d’émettre, eh bien, nous, nous vous empêcherons de parler ! » Cinq fois ce diplomate de carrière tentera sa chance, mais finalement il déclarera forfait. Floréal trouvera le mot de la fin : « M. Hessel ? Je ne connais même pas le son de sa voix ! »
Quand Stéphane Hessel était chahuté par des… indignés
3 mars 2013 par Floréal
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« Indignez-vous… » Un bel exemple pourtant du langage vermoulu de ceux qui toujours se tinrent du « bon côté du manche de la cognée », à psalmodier des formules de salons participatifs… Une variante du very british « Shoking »… qui n’engage pas même celui qui la reprenant ne remet pas en cause le monde ni son organisation mais y « consent » pourvu qu’y soient apportés quelques aménagements propres. Finalement rendre tout assez tolérable du moment qu’y soient mises les « formes » qui tacitement associent le plus grand nombre de personnes dans une « communauté ». Un mécontentement de façade. Quel doux cocon où ronronner de conserve… On y fait des « rencontres », indignées en diable et en boîte, on s’invite au restau’, on s’organise quelques conf’ et autres faux débats, on monopolise la parole, on la confisque à d’autres.
Et voici ces « indignés d’alcôves » de se grandir démesurément, de prospérer à la faveur de ces mémoires trouées par les mites du prêt-à-penser… de se contempler, réjouis d’avoir joué une bonne farce de plus à l’Histoire…
Du moins le croient-ils.
S.K.