L’article ci-dessous rend compte du livre de Nadine Fresco « Fabrication d’un antisémite ».
« Non, moi, quelquefois, je me prends à penser que l’homme de la rue, le pauvre prolétaire, a décidé une fois pour toutes qu’il est moins pénible de subir les effets du fascisme, même comme sous Hitler, et fût-ce pendant des éternités, que de chercher la vérité dans ce fatras. » Le « fatras » dont il est question ici désigne les théories que l’auteur de ce propos, sur le point de rompre avec ses camarades de combat, a défendues avec eux depuis onze ans déjà, au Parti communiste d’abord et ensuite à la FCIE, Fédération communiste indépendante de l’Est, une organisation marxisante où se retrouvent exclus et dissidents du PCF.
L’homme qui rédige cette phrase, placée au beau milieu d’un éditorial de l’hebdomadaire Le Travailleur, publié à Belfort où il réside, le fait en avril 1934, bien avant de se livrer à d’autres écrits, plus sulfureux encore, dans les années qui suivront la Libération. L’aspect prémonitoire de cette déclaration, quant à l’itinéraire suivi par son auteur, apparaît clairement quand on apprend que ce dernier n’est autre que Paul Rassinier, père fondateur de ce révisionnisme et de ce négationnisme abjects dans lesquels s’engouffreront et s’uniront non sans déplaisir l’extrême droite et une partie de l’ultragauche française. C’est l’histoire de cet homme que Nadine Fresco a entrepris de raconter dans un livre* en tous points passionnant.
De manière symboliquement très frappante, l’auteur commence par enterrer Paul Rassinier une seconde fois. Les obsèques du personnage, les réactions suscitées par sa mort, en 1967, lui fournissent l’occasion de planter le décor, de mettre en place tous les éléments qui vont servir, dans les chapitres suivants, à nous conter la vie de cet homme, tout entière fondée sur l’ambiguïté, le désir de jouer un rôle de premier plan, le mensonge, le ressentiment, les liaisons dangereuses, et ce perpétuel penchant à réécrire l’histoire, à commencer par la sienne propre, qui le fera sombrer dans l’antisémitisme, car toujours, Nadine Fresco le rappelle opportunément, « un négationniste est un antisémite ».
De son village natal de Bermont, dans le Territoire de Belfort, où il sera inhumé, en passant par ses divers lieux de résidence ou de déportation et les diverses organisations ou fréquentations qui balisent son itinéraire politique tortueux, Nadine Fresco fait revivre Paul Rassinier tel qu’il fut, en l’inscrivant dans sa petite histoire locale, constamment mise en parallèle avec l’autre, la grande, au niveau national, ce qui permet de mieux comprendre le cheminement de cet homme. L’enquête minutieuse qu’a menée Nadine Fresco, sur les lieux mêmes où évolua le personnage, auprès de témoins l’ayant connu, approché ou fréquenté, avec aussi la mise au jour de documents d’une importance considérable, se révèle passionnante de bout en bout. A l’intérêt constant de cette étude, dont le but, pleinement atteint, est d’en finir avec la légende et le mensonge entretenu qui ont fait de Paul Rassinier un socialiste de cœur, intègre, soucieux de vérité, résistant aux pressions des coteries, s’ajoute un immense plaisir de lecture. L’écriture de Nadine Fresco est en effet un vrai bonheur, où se mêlent clarté de l’exposé, limpidité de la phrase, humour et ironie mordante toujours bien venus, qui viennent appuyer la force irrésistible de sa démonstration.
En se coulant un instant – un instant seulement – dans l’absurde logique révisionniste, qui nous dit qu’une erreur de détail permet de douter de l’existence du tout, on pourrait nier à notre tour, au vu des contradictions et mensonges qui émaillent la vie de Paul Rassinier racontée par lui-même, que ce sinistre personnage ait bien existé. Mais fort heureusement Nadine Fresco nous ramène à la réalité et arrache de manière définitive le masque trompeur de ce cadavre. La fabrication d’un antisémite est à ce jour l’entreprise de démystification du négationnisme la plus forte qu’il nous ait été donnée de lire. C’est un livre utile et admirable.
* Fabrication d’un antisémite, de Nadine Fresco. Editions du Seuil, Paris, 1999.
Pour aller dans le sens de Floréal, je me permets de porter à la connaissance des lecteurs de ce blog, le livre suivant:
Nadine Fresco, La mort des juifs, Paris, coll. »La librairie du XXI siècle », Seuil, 2008.
Pourquoi ? Parce qu’on y trouve son texte de 1980 qui prend pour objet Robert Faurisson (et donc Rassinier): « Les redresseurs de mort ».
Mais le livre est d’un grand intérêt pour comprendre l’antisémitisme et aussi suivre la démarche démystificatrice de l’auteur.
A vous lire,
Zoé