Cet article, paru dans le numéro d’été 1992 du « Monde libertaire », rend compte du livre de Jacques Lesage de La Haye « La guillotine du sexe », alors paru aux éditions du Monde libertaire. On peut toujours se procurer cet ouvrage, réédité aux éditions de l’Atelier, à la librairie Publico.
Ignoré du monde de l’écrit professionnel et des belles âmes de la pleurnicherie, régulièrement touchées par les « excès » et qui font dans l’humanisme comme on fait dans sa culotte, « redécouvert » aussi de temps à autre par une information spectacle intéressée à n’en rien dire d’essentiel, l’univers carcéral semble aujourd’hui, malgré ce beau monde, quelque peu sorti de l’oubli. Du moins n’a-t-on plus l’excuse, quand on se veut citoyen responsable et par là même soucieux de ce qu’une société prétendument évoluée inflige en matière de châtiment, de rester dans l’ignorance d’une réalité sordide, depuis qu’à l’initiative de quelques individus solidement déterminés, anciens détenus pour la plupart, articles de journaux et livres se sont multipliés, depuis une vingtaine d’années maintenant.
Comme toujours, et comme dans tous les domaines, le pire a pu voisiner avec le meilleur. Et si, dans ce dernier registre, quelques-uns ont pu exercer ici même une certaine séduction, Comme Roger Knobelspiess ou Charlie Bauer, force est d’affirmer que dans ce combat qui est le nôtre, la destruction de la prison – qui n’est pas à confondre avec la seule défense des prisonniers –, deux hommes, deux auteurs, feront à jamais référence : Serge Livrozet, dont le livre De la prison à la révolte n’a plus à être présenté ici, et Jacques Lesage de La Haye, qui a eu la bonne idée d’offrir aux éditions du Monde libertaire ce texte non moins fondamental intitulé La guillotine du sexe.
Fondamental car, curieusement, si les écrits en question ont dépeint avec finesse les contours de la délinquance, analysé avec justesse ses causes économiques et sociales, dénoncé avec vigueur cette saloperie millénaire qu’est la prison, et montré le vrai visage d’une prétendue réinsertion, aucun de leurs auteurs n’avait jusque-là abordé le thème central de cet ouvrage, la sexualité du prisonnier. Il apparaît donc d’emblée que ce que Jacques Lesage de La Haye répare ici ne relève pas de l’oubli, mais bien plutôt d’une peur. Cette même peur d’avoir à évoquer une fonction essentielle de l’individu, déjà largement répandue dans la vie hors les murs et que l’enfermement ne fait que renforcer. Car si la prison c’est la misère, la sexualité en prison ne peut être que misère sexuelle. Jacques Lesage de La Haye nous le dit avec force et talent, en administrant au lecteur de son livre cette gifle salutaire qui nous apprend ou nous rappelle que l’individu mis en cage n’est pas un être asexué, ce que les tenants de la prison nient ou taisent, et ce que ses opposants feignent d’avoir oublié.
Outre son itinéraire personnel d’avant, pendant et après enfermement, Jacques Lesage de La Haye dresse une minutieuse série de portraits de personnages rencontrés derrière les barreaux, plus quelques autres venus témoigner de leur réinsertion sexuelle après libération, autant d’exemples vivants des effets et méfaits de cette misère sexuelle dénoncée ici.
Il vous appartient bien sûr de découvrir sans tarder ce livre important. Sur le premier aspect, l’itinéraire de l’auteur, contentons-nous d’affirmer hautement à cette canaille en tenue de Mardi gras de la Préfecture et du Palais que, si la prison est voulue par elle pour briser et domestiquer, en ce qui concerne Jacques Lesage de La Haye, c’est raté ! L’homme, vous le verrez, est resté d’une pièce, sans que son propos et sa réflexion, désormais incontournables pour quiconque s’intéresse sérieusement au sujet, ne le transforment en révolutionnaire de salon littéraire ou ne finissent par émousser sa révolte. Quant au second volet, il convient d’abord d’en souligner l’entière liberté de ton et de paroles, salutaire elle aussi. Convaincu que la sexualité fait partie intégrante de l’individu, qu’elle est une fonction nécessaire à son bien-être et à son équilibre, Jacques Lesage de La Haye paraît résolu à s’en entretenir sans chichis, sans fausse pudeur et sans honte. Si un chat est un chat, un sexe est un sexe, en prison comme ailleurs. S’il faut donc ajouter à la force de conviction et au talent de l’auteur cette franchise sans détour, vous pourrez également constater que l’émotion n’est point absente. Car si Jacques Lesage de La Haye nous montre, exemples à l’appui, à quels degrés de violence ou de bassesse peuvent se livrer des individus privés de liberté, de toute liberté, il nous enseigne aussi que cette liberté sexuelle sacrifiée, anéantie, peut mener à la folie et à la mort. Et dites-moi, à cet égard, s’il est possible de lire sans être « remué » l’histoire de Roger le Pendu ou celles du Bougnat, Suzanne et Trotinette.
Aussi faut-il être lecteur apostolique et romain, ou tragiquement prisonnier de sa propre histoire, pour aller chercher dans ce livre une concession au voyeurisme et à la pornographie. Car cela s’est murmuré, paraît-il… Mais laissons là ceux qui ont choisi d’entonner l’air de la bêtise et qui ne veulent pas s’avouer que ce livre de Jacques Lesage de La Haye « possède la force de nous interpeller, d’ébranler nos crédulités, de mettre à mal notre ignorance barbare et nos préjugés civilisés », comme nous en prévient Serge Livrozet dans une belle préface où, par ailleurs, nous est brièvement conté l’épisode du chapitre censuré d’une précédente édition.
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, a écrit le poète. Pour ne pas l’avoir été, Jacques Lesage de La Haye s’est vu condamné par une société inique et vengeresse, à cet âge-là ou presque, à vingt ans de réclusion. Il passera onze années et demie dans ce qui fut, reste et restera l’une des hontes magistrales de nos civilisations. Je vous invite, toutes affaires cessantes, à prendre connaissance du parcours et de la réflexion de cet homme exemplaire.
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